Pierre-Yves Lenoir © Christophe Urbain
Pierre-Yves Lenoir © Christophe Urbain

Pierre-Yves Lenoir, les Célestins à l’heure de l’inattendu

À Lyon, le capitaine de navire de ce très beau théâtre municipal dévoile sa saison 24-25. Audacieuse dans son éclectisme, passionnante par sa richesse, elle donne de quoi saliver aux curieux comme aux néophytes. 

Pierre-Yves Lenoir : Avant tout, il s’agit d’une maison de création. C’est un axe fort du lieu, que je revendique d’autant plus fortement que cette année, six créations verront le jour dans nos murs, dont deux en ouverture de saison. Par ailleurs, le lieu ayant été longtemps dirigé par une metteuse en scène, Claudia Stavisky, avec qui j’ai travaillé plus de quatre ans et à qui je succède, il me semblait important d’affirmer ce lien fort avec l’artistique. Nous avons donc fait le choix d’associer quatre équipes artistiques au théâtre : trois femmes, trois hommes — Ambre Kahan, le Munstrum Théâtre, Tatiana Frolova et le Théâtre Knam, Valérie Lesort et Christian Hecq. Présents cette saison, ils ont, rencontré le public de manière forte et intense. Ils ont, tous à leur endroit, créé une forte effervescence.

À mon sens, ils incarnent parfaitement l’esprit de ce lieu bicentenaire, en tout cas l’impulsion que je souhaite lui donner. Après je crois que Les Célestins, c’est aussi des histoires de fidélité. On aura plaisir l’année prochaine de retrouver Emma Dante, Joël Pommerat, Cyril Teste et Sylvain Creuzevault, des artistes que nous suivons et soutenons depuis longtemps. Enfin, ce théâtre lyonnais est aussi un lieu d’accompagnement pour les équipes émergentes. C’est pour moi une autre des missions essentielles d’une maison comme celle-ci, qui se veut exigeante, ouverte sur l’avenir et créative. 

Les Célestins, théâtre de Lyon © OFGDA
Les Célestins, théâtre de Lyon © OFGDA

Pierre-Yves Lenoir : Mon projet s’inscrit dans la suite logique entre les fondamentaux de la maison et mon parcours personnel. Le point de départ est évidemment la proposition de Claudia et de Gérard Collomb, alors maire de la ville, à co-diriger le théâtre. Avec Claudia, nous avions déjà eu l’occasion de nous croiser et de travailler ensemble, notamment à La Colline. J’avais perçu, à travers elle et sa manière de faire, qu’il y avait aux Célestins quelque chose d’assez atypique, un peu hors des labels, comme ce que j’avais connu dans des lieux comme le théâtre du Rond-Point. Cela donne une souplesse et liberté dans les choix artistiques que l’on peut défendre.

L’accompagnement de la création et des artistes, qu’ils soient au début de leur carrière ou déjà lancés, la volonté de suivre de près les écritures contemporaines, tout cela est à la fois dans mon ADN et dans celui du lieu. J’ai juste accentué l’attention portée aux jeunes équipes artistique. Je trouvais important que les Célestins puissent être aussi un endroit où naissent des premiers spectacles. Certes il faut accompagner le regard des spectateurs, moins habitués à ces formes nouvelles et parfois un peu vertes, mais c’est une nécessité et un devoir. Cette saison, nous avons pu constater un renouvellement des publics, tout particulièrement autour de formes singulières comme celles, par exemple, portées par le Munstrum. Il est important de capter leur attention pour qu’ils aient envie de revenir. Car c’est de notre responsabilité de faire tout pour préparer au mieux l’avenir de ces maisons. Nous ne sommes que de passage, d’autres après nous reprendrons le flambeau, nous devons accompagner cela. C’est aussi pour cela que j’ai souhaité placer la saison prochaine sous le signe de l’inattendu, avec la volonté d’offrir aux publics des spectacles qu’ils n’attendent pas forcément. 

40° sous zéro d'après Copi - Munstrum théâtre © Darek Szuster
40° sous zéro d’après Copi du Munstrum théâtre © Darek Szuster

Pierre-Yves Lenoir : Lorsque que nous avons présenté une semaine durant Hors-piste de Martin Fourcade mis en scène par Matthieu Cruciani, spectacle dans lequel il évoque son parcours de champion olympique de biathlon, le public était différent de celui que nous avons habituellement. Beaucoup des spectateurs étaient des passionnés de sport, dont certains venaient pour la première fois au théâtre. On voyait l’émerveillement dans leurs yeux pour ce lieu dont ils n’auraient imaginé un jour passer la porte. Ce premier pas franchi, Certains, on l’espère, reviendront. De même, quand nous avons accueilli 40° degrés sous zéro du Munstrum, nous avons vu à quel point la troupe draine avec elle un auditoire fidèle, qui n’avait jamais mis les pieds aux Célestins. Ces pas de côtés, qui nous semblent pertinents et apportent à la programmation quelque chose de plus, permettent automatiquement d’élargir nos publics et d’offrir un spectre de formes et d’écritures plus étendu.  

Pierre-Yves Lenoir : De l’extérieur, le théâtre affiche fièrement deux cents ans d’existence. On peut donc s’attendre à ce que la programmation du lieu soit assez classique. L’objectif consiste à dépasser ces préjugés en portant sur les plateaux des écritures d’aujourd’hui, des esthétiques modernes et contemporaines. Par ailleurs, il me semblait important de pouvoir permettre aux artistes de s’exprimer, d’exposer leur vision du monde tel qu’il va ou plus exactement tel qu’il ne va pas. Confronter le public à ces regards différents, parfois radicaux, n’est pas forcément quelque chose auquel il s’attend de prime abord. Et puis je trouvais intéressant de déplacer la focale. Actuellement, les réseaux sociaux et les algorithmes qui les régissent nous confortent dans nos goûts, nos avis, nos convictions. Proposer quelque chose d’autre, c’est certes déstabilisant, mais ce n’est pas pour cela que ça ne va pas intéresser. Avec l’inattendu, ce que je propose, c’est la promesse de vivre une expérience forte et intense, et peut-être aussi de réapprendre à regarder. 

La Barbichette de Jérôme Marin alias monsieur K.  © DR
La Barbichette de Jérôme Marin alias Monsieur K. © DR

Pierre-Yves Lenoir : Ce n’est évidemment pas simple. De toute façon, programmer est quelque chose de particulièrement difficile. Il faut en permanence se déplacer, ne pas rester dans sa zone de confort, se laisser surprendre. On ne programme pas pour nous, mais pour le public. Quand je regarde la saison à venir telle qu’elle est construite aujourd’hui, je me dis avec le recul qu’il y a un an, je n’aurai même pas eu l’idée d’inviter certains des artistes qui seront présents. Mais il y a des rencontres qui changent tout, qui bouleversent, secouent. C’est le cas avec Jérôme Marin alias Monsieur K et ses créatures du cabaret Le Secret. J’avais entendu parler de son travail, mais je ne le connaissais pas du tout. Je suis allé à Paris dans son lieu, situé dans le XXe arrondissement. J’ai été bluffé par la force de sa proposition. J’ai tout de suite eu l’envie de lui proposer de venir aux Célestins. 

Pierre-Yves Lenoir : En premier lieu, il y a des fidélités. C’est le cas notamment de Michel Raskine, une des figures majeures des Célestins, qui ouvre la saison tout en malice avec La Chambre rouge (Fantaisie) de Marie Dilasser, autrice avec laquelle il travaille depuis longtemps. Nous présentons aussi évidemment les nouvelles créations de nos artistes associés. À l’automne, nous accueillerons les premières dates de Nos prochaines vacances ensemble de Jeanne Garraud, une autrice et metteuse en scène de la région qui était passée ici il y a deux ans et qu’on a plaisir à retrouver. Pour mettre en lumière l’émergence, nous présenterons en janvier Indestructible, la création de Manon Worms et Hakim Bah autour d’intellectuels maoïstes qui dans les années 1960 sont allés s’établir dans les usines aux côtés d’ouvriers. Ce qui me plaisait dans tout cela, c’est d’avoir entre le début et la fin de la saison un vrai écart esthétique, des chocs visuels très différents. 

May B de Maguy Marin © Herve Deroo
May B de Maguy Marin © Herve Deroo

Pierre-Yves Lenoir : C’est même essentiel et cela fait partie de nos missions en tant que théâtre municipal. En tout l’an prochain, sept compagnies locales et régionales seront présentes sur nos plateaux. Avec certaines, il y a des accompagnements de longue date, avec d’autres des coups de cœur sur le vif. Et puis nous avions aussi envie cette année de mettre l’accent sur des artistes du cru mais qui ont acquis une belle reconnaissance nationale voire mondiale, comme Gwenaël Morin et Maguy Marin.

Pierre-Yves Lenoir : Oui nous présentons trois de ses œuvres. Elle a installé sa compagnie en 2007 à Sainte-Foy-lès-Lyon. C’était important à ce moment de son histoire et de la nôtre d’avoir ce moment dans la saison, où il sera possible de voir son mythique May B, sa dernière création DEUX MILLE VINGT TROIS, et Spingspiele, une pièce datant de 2014. Cela permet de voir sa vitalité, sa manière unique de se remettre toujours en cause, d’être toujours en mouvement, sa capacité à toujours s’indigner. C’est une chose que nous ne reproduirons pas forcément, inviter une artiste avec trois spectacles. Ce temps fort, ce paysage, est lié à la personnalité unique de cette chorégraphe incroyable. 

Re Chicchinella d'Emma Dante © Masiar Pasquali
Re Chicchinella d’Emma Dante © Masiar Pasquali

Pierre-Yves Lenoir : Ils sont au nombre de quatre, avec en tête de file Emma Dante. Je l’ai rencontrée quand je travaillais au Rond-Point. Il y a de cela plus vingt ans. J’ai accompagné ses premiers spectacles. Avec Jean-Michel [Ribes], nous avons contribué en partie à la faire connaître en France et je suis heureux de constater aujourd’hui que c’est une des artistes européennes les plus populaires. C’est à mon sens extrêmement mérité, tant sa patte et son sens du grotesque sont reconnaissables. Je suis donc très fier de l’accueillir l’an prochain, avec Re Chicchinella. Et j’espère continuer longtemps à l’accompagner. Nous aurons aussi Kill me, la nouvelle création de Marina Otero, qui avait fait sensation il y a deux ans avec Fuck me. Puis nous recevrons la compagnie italienne, Kepler 452, avec Il Capitale. Un libro che ancora non abbiamo letto, pièce autour d’une usine florentine vouée au démantèlement en 2021 et qui n’a cessé depuis d’être occupée par les ouvriers.

Pierre-Yves Lenoir : De continuer à pouvoir prendre des risques portés par l’engouement d’un public de plus en plus nombreux. En 23-24, nous avons accueilli plus de 100 000 spectateurs. C’est un record auquel on ne s’attendait pas du tout. Souhaitons poursuivre dans cette voie, celle de la curiosité, de l’exigence et bien évidemment de l’inattendu. 


Les Célestins, Théâtre de Lyon
4, rue Charles Dullin
69002 Lyon

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