Kill me de Marina Otero © Sofia Alazraki
© Sofia Alazraki

Kill me : Marina Otero débride ses folies

Avec sa nouvelle création, dernier volet de sa trilogie introspective, l’artiste argentine fait rougir les murs de la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et offre au Printemps des comédiens ce petit truc en plus, baroque et impudique, qui saisit, chamboule et secoue. Jubilatoire !  

Après le très caliente Fuck me, qui la faisait exploser en Europe il y a trois ans, et le nerveux Love me, Marina Otero poursuit son travail d’introspection en plongeant au cœur de sa propre folie. Face au diagnostic psychiatrique qui lui découvre un trouble de la personnalité borderline, elle convoque ses démons au plateau pour explorer jusqu’à l’excès les tourments dans lesquels la jettent les passions amoureuse et la peur du rejet. Dans Kill Me, la sulfureuse Argentine se repaît avec délice et gourmandise de cette étiquette que lui colle le corps médical, et entraîne ses interprètes et le public dans un tourbillon vertigineux qui les laissera exsangues mais heureux. 

Kill me de Marina Otero © Sofia Alazraki
© Sofia Alazraki

Sous les voutes millénaires du tinel, l’ancienne salle de réception de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, une voix en espagnol s’élève. Le timbre chaud, la cadence rapide, elle évoque une histoire d’amour qui s’est mal finie, le trop-plein d’émotion, le besoin de se faire mal, l’attrait pour le danger, la nécessité de tester ses limites. Illustrant ces propos pour leur donner une force autre, des images défilent sur un écran en fond de scène. Les cheveux roux coupés en un carré long, la silhouette ciselée et musclée, Marina Otero dévoile des vidéos souvent triviales de son quotidien et se met, une nouvelle fois, à nu. Dans le troisième opus de cette trilogie entamée en 2020, après avoir montré son corps meurtri et exposé les méandres de sa biographie, c’est maintenant son âme qu’elle offre en pâture. Insaisissable, effrontée, elle donne libre cours à ses idées et invite à un voyage exploratoire intime et sans filtre. 

Les artistes avec qui elle partage le plateau, qu’ils soient des sosies de Nijinski, des doubles d’Edith Piaf ou des danseuses vidées d’avoir tant données, ont tous été diagnostiqués comme fragiles ou borderline. Ensemble, il forme une sorte de communauté. Si quand le spectacle commence, les six artistes nus, ressemblent à des clones parfaits de la chorégraphe argentine. Au fil des tableaux, tous plus déjantés les uns que les autres, chacun va retrouver son identité, affirmer sa personnalité limite et révéler sans fard ses pulsions suicidaires.

Avec l’autodérision qu’on lui connaît et la folie baroque qui caractère son univers, Marina Otero s’imagine en Sarah Connor prêt à en découdre avec les fantômes et les spectres qui hantent ses pensées. Nikita des temps nouveaux, arme au poing, elle compose une fresque humaine haute en couleur. Aux côtés de ses interprètes, elle danse et se jette à corps perdu dans une partition, où toutes les digressions, toutes les provocations sont autorisées sans jamais faire dévier le propos artistique. Rien n’est gratuit, tout est assumé. Le rire, le grotesque ne sont jamais loin du sensible.

Irrévérencieuse et iconoclaste, Marina Otero déboulonne les bien-pensances, se moque des normes. De spectacle en spectacle, c’est un portrait mordant de ses angoisses qui s’esquisse. Faisant se côtoyer Bach et Miley Cyrus, elle compose avec Kill me, une œuvre totale et radicale, tantôt troublante, tantôt subversive, mais toujours percutante. Un spectacle sidérant qui, après avoir captivé les festivaliers du Printemps des Comédiens, ouvrira auprès des deux autres volets de la trilogie Recordar para vivir (“Se rappeler pour vivre”) la saison du Théâtre du Rond-Point. Le ton est donné !


Kill me de Marino Otero
Printemps des Comédiens 
La Chartreuse – Villeneuve-lès-Avignon
les 4 et 5 juin 2024
Durée 1h30

Reprise
25 au 29 septembre 2024 au Théâtre du Rond-Point
5 novembre 2024 à L’Onde Théâtre Centre d’Art – Vélizy-Villacoublay dans le cadre du festival Immersion Danse

Mise en scène de Marina Otero assistée de Lucrecia Pierpaoli
Avec Ana Cotoré, Josefina Gorostiza, Natalia Lopéz Godoy, Myriam Henne-Adda, Marina Otero et Tomás Pozzi
Musicienne au plateau – Myriam Henne-Adda
Création lumière de Victor Longás Vicente et David Seldes
Son de Antonio Navarro
Costumes de Andy Piffer
Régie générale et régie lumière – Victor Longás Vicente
Regard extérieur – Martín Flores Cárdenas
Photographie de Sofia Alazraki
Création vidéo de Florencia de Mugica

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