Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker et Meritxell Aumedes © Danilo Moroni et Juan-Carlos Toledo

Nazareth Panadero, la danse à la vie, à la mort

À Montpellier Danse, Nazareth Panadero, interprète emblématique de Pina Baush, propose un pas de deux complice avec son partenaire Michael Strecker.

Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker et Meritxell Aumedes © Danilo Moroni et Juan-Carlos Toledo

À Montpellier Danse, l’artiste madrilène, interprète emblématique de Pina Baush, propose avec son complice du TanzTheatrer Wuppertal, Michael Strecker et en collaboration avec Adolphe Binder et Meritxel Aumedes, un diptyque autour de leur besoin viscéral de s’exprimer, de danser, de prolonger en plateau un peu de l’ADN que leur a transmis la chorégraphe allemande.

Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker et Meritxell Aumedes © Danilo Moroni et Juan-Carlos Toledo

Vous avez passé plus de 40 ans aux côtés de Pina Bausch. Que représente-t-elle pour vous ? 

Nazareth Panadero : Tellement de choses. C’est très difficile à exprimer, à dire en quelques mots. Je dirais qu’avant tout, c’est ma mère artistique, c’est elle qui m’a fait naître en tant que danseuse et interprète. Quand je l’ai rencontrée en 1979, elle a totalement chamboulé ma vie et changé le cours de ma carrière. Elle a su me révéler à moi-même, réveiller en moi des choses insoupçonnées, me transformer. Sans elle, je ne serais pas qui je suis aujourd’hui. Elle est l’une des plus grandes metteuses en scène et chorégraphe du XXe siècle, avoir travaillé avec elle, joué des partitions de son immense répertoire et pris part à la création de 19 pièces, c’est une chance unique. C’est tellement puissant, que je crois ne m’être jamais habituée.

La danse est la colonne vertébrale de votre vie. Qu’est-ce qui a fait que vous ayez choisi cette carrière artistique ?
Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker et Meritxell Aumedes © Danilo Moroni et Juan-Carlos Toledo
Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker et Meritxell Aumedes © Danilo Moroni et Juan-Carlos Toledo

Nazareth Panadero : je dirais que c’est à la fois accidentel et viscéral. Je devais avoir douze ans quand mon père, m’a demandée si j’aimerais bien faire de la danse. J’ai dit oui sans hésiter. Aussitôt, il a cherché l’adresse du conservatoire et m’a inscrite. Je ne lui ai jamais demandé pourquoi cette question. Tout cela n’était pas conscient à l’époque, mais dès mon premier cours de danse, j’ai su immédiatement que j’étais au bon endroit et que c’était cela que je voulais faire. L’envie que j’avais enfant, qui était quelque chose d’assez abstrait en fait, se réalisait. Après, tout s’est enchainé. J’ai étudié la danse classique avec Ana Lázaro et Juliette Durand au Conservatoire de Madrid, puis avec Maria de Ávila à Saragosse. De 1976 à 1978, j’ai dansé pour le Ballet-théâtre contemporain d’Angers où je me suis confrontée à l’écriture des chorégraphes français et américains du moment. Puis j’ai rejoint afin d’élargir ma formation le studio de Peter Goss à Paris, puis je suis passée par le Ballet de Poche. Et en 1979, après avoir rencontré Pina, je suis rentrée au TanzTheater Wuppertal. 

Depuis 2021, vous ne faites plus partie de la troupe permanente, mais vous êtes artiste invitée… 

Nazareth Panadero : Je suis une femme de 68 ans. J’ai donc suivi l’évolution normale de la vie et j’ai pris ma retraite en tant que membre permanente. J’ai changé tout comme mes possibilités de mouvement. Mes envies et ma façon de faire les choses sont différentes… Mais je suis restée attachée à la compagnie et ici, à Montpellier, je serai dans Palermo Palermo, pièce que je continue à jouer. Avec mon mari, Janusz Subicz, nous vivons toujours à Wuppertal. C’est notre chez nous, notre port.

L’Espagne ne vous manque pas trop ? 

Nazareth Panadero : bien sûr, tout comme la Pologne, la patrie de mon mari. Je suis liée à tous ces lieux, ces coins de terre, qui constituent mon ADN d’aujourd’hui. Nous avons tellement voyagé avec la compagnie, que je me sens un peu comme une citoyenne du monde avec des racines un peu partout.

Vous présentez un diptyque à Montpellier Danse avec votre partenaire du TanztheaterWuppertal, Michael Strecker, pouvez-vous raconter la genèse de ce projet ? 
Vive y Deja Vivir de  Nazareth Panadero, Michael Strecker © Danilo Moroni et Juan Carlos Toledo
Vive y Deja Vivir de Nazareth Panadero, Michael Strecker © Danilo Moroni et Juan Carlos Toledo

Nazareth Panadero : C’est vraiment un projet commun. Seule, je ne l’aurais pas fait. En automne 2019, dans le cadre des Underground de la Compagnie, avec Michael Strecker, avec qui j’ai déjà souvent collaboré dans les pièces de Pina, puis dans des duos, car nous avions envie de nous retrouver. Nous aimions beaucoup travailler ensemble. Il y a une vraie complicité artistique au plateau entre nous. Pina n’était plus là, cela faisait dix ans. Elle a laissé un tel vide, qu’après la période de manque, nous avions besoin de nous exprimer, de parler d’elle, de son absence, de nous. Son œuvre était interrompue, nous avions envie de porter au plateau un peu de ce qu’elle avait su révéler en nous et d’en faire quelque chose. Nous répétions sur notre temps libre, donnions corps à nos idées, à des sentiments, les émotions qui nous habitaient. La première de Two Die For, le premier opus de ce diptyquea eu lieu en novembre 2019 à Wuppertal. Mais il nous semblait qu’il y avait quelque chose d’inachevé. Sous l’impulsion d’Adolphe Binder – ex directrice artistique du Tanztheater, nouvellement nommée à la tête du Ballet du théâtre de Bâle – et Meritxell Aumedes, jeune artiste très portée sur un art hybride qui conjugue performance et vidéo, nous avons décidé de poursuivre ce que nous avions commencé en imaginant une seconde partie. Mais cette fois, nous avons pu bénéficier de temps de résidence à Berlin, à Madrid, en Suède et en Pologne. Le projet est coproduit par Centro Coreográfico Canal, Teatros del Canal de Madrid et le Grec Festival de Barcelone. C’est tellement riche d’avoir cette chance de pouvoir travailler un peu partout, de confronter des regards. On a passé beaucoup de temps ensemble, Adolphe, Michael, Meritxel et moi-même. Le diptyque est le résultat de cette rencontre humaine autant qu’artistique. C’était un temps très créatif et exaltant. Être entouré de confiance, c’est quelque chose de vraiment stimulant. 

Qu’est-ce qui vous a inspiré ? 

Nazareth Panadero : Pour Two Die For, avec Michael Strecker, nous nous sommes nourris de ce que nous traversions. C’est un dialogue dansé avec certaines interrogations que nous portions en nous, concernant l’avenir ainsi que des intuitions, des craintes que nous avions. Les émotions qui nous ont guidées ont des couleurs très différentes, elles dessinent un canevas qui se transforme au plateau pour aller vers d’autres choses, d’autres idées que celles auxquelles nous pensions… Elles nous portent vers d’autres eaux… Par ailleurs, le fait de le jouer dans l’Auditorium de sculptures du Parc de Wuppertal, qui se situe au cœur d’un bois, nous a portés et a stimulés nos imaginaires. Pour Mañana tempranoc’est un travail, comme je vous le disais, qui a été aussi porté par Adolphe Binder et Meritxel Aumedes. La pièce est née pendant la pandémie, cela a beaucoup influencé nos choix, nos mouvements. Nous étions chacun chez nous, coupé du monde. C’est une situation inédite, très compliquée à vivre, mais aussi propice à un champ des possibles incroyable. Après le confinement, nous étions porteurs d’espoirs, de nouvelles perspectives, d’envies différentes.  Cela a réveillé en nous un appétit de vivre et fait naître des pensées, des idées, telles que « laissez-moi recommencer à nouveau » , ou « Partons où personne ne nous connaît « , qui irriguent le spectacle. 

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ? 

Nazareth Panadero : La paix, la santé. Quand nous avons joué la première du diptyque à Madrid. C’était en février, la veille du début de la guerre en Ukraine. Cela m’a marquée. J’espère que ce temps de violence est bientôt révolu. C’est un vœu pieux, je sais bien, mais… voilà.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Vive y Deja Vivir : Two Die For / Mañana temprano de Nazareth Panadero & Co
Montpellier Danse
Le Hangar

3 rue Nozeran
34000 Montpellier

du 24 au 25 juin 2023

Two Die For (2019 / 2022) de Nazareth Panadero & Michael Strecker
Avec Nazareth Panadero & Michael Strecker
Musique de Max Richter, Ryuichi Sakamoto, Mohammad Reza Mortazavi, Ólafur Arnalds, Walter Schumann, violoniste ukrainien du métro de Paris
Lumière de Lutz Depp

Intermezzo
Court-métrage de Meritxell Aumedes
Avec Nazareth Panadero et Michael Strecker
Musique de Richard Wagner

Mañana temprano de Nazareth Panadero, Adolphe Binder, Michael Strecker & Meritxell Aumedes
Avec Nazareth Panadero, Michael Strecker
Artiste vidéo – Meritxell Aumedes
Lumière de Lutz Deppe
Musique de Nils Frahm, Ólafur Arnalds, Joep Bevin
Photographie de Pablo Llorente, Danilo Moroni, Juan Carlos Toledo

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