Jouée depuis 1952 à Londres, la pièce de la reine du crime est aux Anglais ce que les deux pièces de Ionesco sont à Paris, un triomphe de longue durée. Ce n’est pas la première fois que La souricière est à l’affiche d’un théâtre parisien, la dernière version remontant à 2019 au Théâtre de la Pépinière. Construite à la manière d’une partie de Cluedo®, il est bien difficile de trouver le coupable.
Un huis clos infernal
L’action se passe dans les années 1950, dans un manoir fraîchement transformé en pension de famille par les époux Ralston (formidable Claire de la Rüe du Can et Jordan Rezgui). Mollie s’active, les premiers clients vont arriver. Elle écoute la radio. Un flash spécial annonce un meurtre à Londres. L’assassin portait un long manteau, une écharpe blanche et un chapeau. Surgit, l’époux de Mollie, vêtu ainsi. Il en sera de même pour tous les pensionnaires qui débarquent en catastrophe. Car dehors la tempête de neige fait rage.
Un coup de téléphone de la police avertit les époux Ralston que le meurtrier est certainement parmi eux. On a trouvé près du cadavre un bout de papier où été inscrit leur adresse. Les routes étant bloquées, l’inspecteur Trotter (admirable Jean Chevalier) arrive à ski. Il doit débusquer le meurtrier, mais tous sont potentiellement susceptibles de l’être.
La vengeance est un plat qui, tel le rosbif, se mange froid
La pièce fonctionne essentiellement à la caractérisation des personnages et la part de mystère qui les entoure. Les membres de la troupe du Français, connus pour la précision de leur interprétation, ont joué le jeu à fond. Avec ses airs à la Thatcher, Clotilde de Bayser est fabuleuse dans le personnage de l’acariâtre Mme Boyle. Serge Bagdassarian, so british, est tout à son aise en Major Metcalf.
Sefa Yeboah est irrésistible en jeune farfelue en manque d’attention. Anna Cervinka, méconnaissable, s’est glissée avec une belle sensibilité dans la troublante et très masculine Mlle Casewell. Quant à Christian Gonon est énigmatique à souhait dans le rôle de l’étrange M. Paravicini.
Fenêtre sur cour
La metteuse en scène Lilo Baur, très fidèle à l’œuvre qu’elle a traduite avec Serge Bagdassarian, s’en donne à cœur joie. Chaque première entrée des personnages est accompagnée d’une intrusion massive de flocons de neige. Le gag est impayable. Cette neige que l’on aperçoit aussi de l’autre côté de la grande fenêtre ne cesse de monter. La scénographie de Bruno de Lavenère, les costumes d’Agnès Falque, les maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar, les lumières de Laurent Castaingt, la musique de Mich Ochowiak, contribuent à donner une ambiance à la Hitchcock.
Dans ce tourbillon d’entrées et de sorties, toutes plus mystérieuses les unes que les autres, la metteuse en scène suisse nous tient en haleine jusqu’à la fin. Derrière ce qui ne pourrait être qu’un bon divertissement, elle n’oublie pas le drame social qui a déclenché les motivations du meurtrier. Et comme le dit le policier à la fin de la pièce, n’oubliez pas « Chers spectateurs, complices du crime… de ne pas révéler l’identité du meurtrier. »
Marie-Céline Nivière
La souricière d’Agatha Christie
Comédie-Française – Théâtre du Vieux Colombier
Du 4 juin au 13 juillet 2025
durée estimée 2h.
Traduction Serge Badgassarian et Lilo Baur
Mise en scène Lilo Baur
Avec Clotilde de Bayser, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Anna Cervinka, Claire de La Rüe du Can, Jean Chevalier, Sefa Yeboah, Jordan Rezgui.
Scénographie Bruno de Lavenère
Costumes Agnès Falque
Lumières Laurent Castaingt
Musique originale et son Mich Ochowiak
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
Assistanat à la mise en scène Rafael Pardillo et Florimond Plantier.
