Mon absente, Pascal Rambert © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Mon absente, tranches de vie autour d’une morte

On va voir Pascal Rambert comme on attend un dîner de famille : en espérant que des vérités explosent. Mon Absente remet le couvert avec une distribution onze étoiles.

On peut facilement résumer Mon absente, qui à la fois répond d’une logique systématique et sollicite une thématique archétypale. Au centre, une mère morte, absence figurée par un cercueil qui cache plus qu’il ne présente ; autour d’elle, comme des papillons attirés par une lumière que l’on croirait émaner des objets eux-mêmes (fidèle Yves Godin), des enfants, des petits-enfants et des satellites composent une galaxie familiale tiraillée. Tour à tour, chaque membre entre et, au choix, règle ses comptes ou formule ses hommages.

C’est un bal des cœurs où l’on ambule comme on danse, de manière dessinée et signifiante. À travers lui, Rambert remet sur la table quelques-unes de ses obsessions, déroule aussi un tapis aimant pour des acteurs fétiches (Audrey Bonnet, Stanislas Nordey), retrouvés (Océane Caïraty, Mélody Pini, Claire Toubin, Ysanis Padonou et Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, acteurs de Mont Vérité) ou nouveaux dans la galaxie Rambert (Laurent Sauvage, Vincent Dissez et Claude Duparfait), tous associés au TNS.

Les monologues et quelques dialogues qui entourent le cercueil (Rambert veut que la parole ne s’active qu’autour de lui) exposent une galerie de personnages à vif en même temps qu’il dessinent le portrait posthume et polyphonique de la disparue. L’appartement de 250 mètres carrés du boulevard Haussmann où l’écrivaine vivait désargentée, les souvenirs de l’Afrique où elle avait habité avant, l’évocation des négligences subies par les deux aînés, Stan et Claude, et de l’amour fusionnel partagé avec les cadets, Vincent et Audrey en tête : ces indices recomposent moins le référent d’une mère-type qu’ils n’offrent un pêle-mêle hyperréaliste de détails et d’anecdotes. C’est de leur particularité arbitraire, comme accidentelle, que l’émotion naît tel un punctum.

La pièce dit aussi beaucoup la lutte d’un dramaturge aux prises avec un monde changeant, comme le faisaient, confrontés, le diptyque officieux de Ranger et Perdre son sac. Presque tout, dans Mon absente, peut être lu à l’aune d’une logique de glissement — des valeurs, des manières de voir, de se voir les uns et les autres ou de se voir soi-même — activée par le rappel au temps qui passe qu’est le cercueil au centre. L’auteur et metteur en scène y joue ses cartes avec une nudité parfois désarmante. Mais il est meilleur joueur lorsqu’il fait dire à leur personnages le trouble, l’impureté morale que lorsqu’il s’essaie à la critique de l’époque (la valse d’écrans téléphoniques est la dernière chose que l’on souhaite regarder dans ce théâtre-là). Dès que le verbe se fait prescripteur, il devient caduque. Au centre de l’inconciliabilité, au milieu de la contrariété, c’est là le meilleur territoire qu’habite Rambert.


Mon absente de Pascal Rambert
MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny

Du 12 au 19 janvier 2024
Durée 2h

Tournée
27 et 28 janvier au Teatro Storchi, Modena (Italie)
1er au 3 février à La Criée, Marseille

Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert
Lumière Yves Godin
Costumes Anaïs Romand
Musique Alexandre Meyer
Collaboration artistique Pauline Roussille
Régie générale Félix Löhmann
Régie lumière Thierry Morin
Régie son Chloé Levoy
Régie plateau Antoine Giraud
Régie video Jean-Christophe Aubert
Assistanat à la mise en scène et répétiteur Davide Brancato
Avec Audrey Bonnet, Océane Caïraty, Vincent Dissez, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Claude Duparfait, Mata Gabin, Stanislas Nordey, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Laurent Sauvage, Claire Toubin

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