Jouer l’archive, octobre-décembre 1940 © Hervé Véronèse
© Hervé Véronèse

Keti Irubetagoyena, deux textes pour deux mondes

Au MAIF Social Club, un diptyque de Keti Irubetagoyena met dos à dos la langue du régime de Vichy et celle de la poétesse Catherine Dorion.

Autour d’une estrade transformée en table, des officiels en costume prennent place parmi les spectateurs assis. Nous sommes en décembre 1940, et les secrétaires d’État du régime de Vichy réfléchissent aux modalités d’application d’une loi visant à exclure les Juifs de la fonction publique. Pur exercice de « reenactment« , Jouer l’archive, octobre-décembre 1940 invite à se replonger dans les documents de la France nazie pour regarder dans les yeux la célèbre « banalité du mal » que décrivait Arendt. À mesure que les officiels incarnés par les élèves du CNSAD pinaillent sur les détails de cette chasse aux Juifs, le langage d’apparence plate et quotidienne de l’antisémitisme nous est donné à entendre. Cette forme relativement courte (45 min.) prolonge le travail entre théâtre et recherche de Keti Irubetagoyena, faisant du jeu des comédiens un enjeu historiographique. Entrecoupée de courtes biographies post-seconde Guerre de chaque technocrate, elle s’offre comme un document édifiant et vivant de cet épisode impardonnable de l’histoire française.

Les trois représentations du Maif Social Club juxtaposaient cette pièce à une autre forme, travaillée avec les élèves de l’Académie de l’Union, qui se présente comme l’opposé diamétral de cette plongée dans la langue génocidaire. Nous serons éphémères mais immenses emprunte encore ses mots à une personnalité politique, mais du présent cette fois, et de gauche — Catherine Dorion, artiste et poétesse élue députée du Québec de 2018 à 2022. La table de réunion a laissé place à un champ libre au-dessus duquel flottent des pages de livres froissées. Les corps y inventent de multiples manières d’interagir, seuls, à deux ou à quatre. Entrelaçant des extraits de discours, d’articles et de poèmes, cette forme chorégraphiée sonne comme un manifeste libertaire brûlant, adressé autant au public qu’à la jeunesse sur scène. Et voilà ainsi prouvé, en deux traits de théâtre, que le monde se décide dans les mots.


Jouer l’archive, octobre-décembre 1940/Nous serons éphémères mais immenses
MAIF Social Club
37 rue de Turenne
75003 Paris
Du 11 janvier au 13 janvier 2024
Durée 2h

Jouer l’archive, octobre-décembre 1940
Direction Keti Irubetagoyena
Conseils dramaturgiques Marc Olivier Baruch
Avec Marc Olivier Baruch, Emma Dupont-Leonardi, Anthony Leichnig, Aristote Luyindula, Alexandre Patlajean, Marie-Aurélie Penarrubia, Jenny Trehoux, Marcel Yildiz, Abel Saint-Bris

Nous serons éphémères mais immenses d’après les textes de Catherine Dorion
Mise en scène Keti Irubetagoyena
Avec Ayat Ben Yacoub, Lilou Bénégui, Sidi Camara, Justine Canetti, Samy Cantou, Hector Chambionnat, Marcel Farge, Nils Farré, Amer Ghaddar, Chahna Grevoz, Anna Mazzia, Juliette Menoreau, Inès Musial, Lila Pellissier, Barthélémy Pollien, Baptiste Thomas

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