Aïla Navidi - 4 211 km © June Assal

Aïla Navidi, une belle artiste au cœur perçant

Rencontre avec l'autrice et metteuse en scène Aïla Navidi, autour de la reprise de son magnifique spectacle, "4 211 Km", au Studio Marigny.

En puisant dans son histoire familiale, la comédienne, née de parents exilés iraniens, s’est révélée avec 4 211 km une autrice et metteuse en scène remarquable. Après son succès au Théâtre de Belleville puis au 11 d’Avignon, le spectacle s’installe au Studio Marigny.

Il existait depuis toujours. J’avais en moi cette nécessité de raconter et de laisser une trace. Certainement cette crainte que l’on a tous en tant qu’enfant, et peut-être encore plus en tant qu’exilé, de se dire que le jour où nos parents ne seront plus là, quelque chose va s’effacer. J’ai eu besoin de raconter le combat de leur vie, l’histoire de leur exil, comme un devoir de mémoire. La naissance de mon premier enfant a fait naître cette nécessité, une question d’héritage. L’idée n’était pas de raconter mon histoire mais une histoire qui me semblait être celle de beaucoup de gens, qu’ils soient iraniens ou non.

4 211 Km - Aïla Navidi © Dimitri Klockenbring
© Dimitri Klockenbring

J’avais ce devoir de mémoire envers ma famille et mon entourage, que je vois vieillir. Ça me bouleverse de penser à ce qui va se passer après leur disparition. Aujourd’hui, j’hérite d’une histoire qui se passe à 4 211 km de chez moi et des amis issus de ces exils qui ressentent aussi le besoin de laisser une trace pour les générations qui suivront. Le temps passe et cet espoir d’un retour en Iran n’a jamais été assouvi. C’était le moment opportun.

J’ai écrit cette pièce bien avant les révoltes en Iran qui sont nées après la mort de Mahsa Jina Amini en septembre 2022. La pièce a eu une résonance plus forte pour le public, compte tenu de l’actualité, mais elle résonnait déjà profondément en nous, les exilés iraniens. La prise de conscience, nous ne l’avons pas eue à ce moment-là. Cela fait plus de quarante ans que l’on dénonce la barbarie de ce régime. C’est notre préoccupation quotidienne : Quand est-ce que le régime islamique va tomber ? Quand est-ce que nous aurons une démocratie laïque en Iran ?

Cette prise de parole publique fait partie de mon héritage. Cette façon parfois impulsive, instinctive d’aller dans la rue, de se dire que notre voix porte et que cela peut faire bouger les choses. Pour mes parents et pour tous les gens qui manifestaient alors, le sens de la démocratie était important et il passait par là. Pour eux, descendre dans la rue avait un impact. On allait systématiquement au défilé du 1er mai. Derrière les syndicats, il y avait un char iranien, et derrière un char chilien, etc. Des exilés venaient relayer la voix de leur peuple opprimé. Cela fait partie de ma culture.
Au-delà de cet héritage je me souviens de l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002. J’étais adolescente dans la rue, je manifestais avec tant d’autres. Aujourd’hui, on peut se dire : « À quoi bon ? » C’est en partie lié au développement des réseaux sociaux. Les jeunes s’expriment différemment. Je ne sais pas si c’était mieux avant, car malgré tout, les réseaux sociaux ont aussi un impact.

4 211 Km © © Dimitri Klockenbring
© Dimitri Klockenbring

Cela a été une arme extrêmement forte contre le régime Islamique. Qui aurait imaginé qu’Instagram ou WhatsApp pouvaient faire vaciller une dictature aussi tyrannique que ce régime ? Ils se sont retrouvés à devoir mettre l’économie en suspens en coupant internet. Nous n’arrivions plus à joindre nos familles, parce que les lignes étaient coupées pendant des semaines. Dans certains cas, les réseaux sociaux, permettent de relayer la voix de ceux que l’on n’entend pas et c’est une très bonne chose. Mais je reste convaincue que l’« être ensemble » est essentiel. Et c’est aussi pour cela que je fais du théâtre. J’aime l’idée de tout mettre en suspens le temps d’un spectacle, de vivre ces émotions ensemble, de prendre le temps d’échanger après le spectacle, qu’il nous ait touché ou pas.

Chez nous tout était politique. Je n’ai pas trouvé mes réponses dans la politique. Mon engagement, je l’ai mis dans l’écriture et la mise en scène… L’art a entre autres la force de nous permettre de nous interroger collectivement, de laisser une trace sur ce qui se passe dans notre société, de donner la température. Une histoire d’amour raconte aussi comment on s’aime aujourd’hui. C’est nécessaire pour moi d’avoir des œuvres qui permettent d’éveiller nos consciences, de nous faire du bien ou de nous faire rire. On en a bien besoin en ce moment.

Cela faisait tellement longtemps que je portais cela en moi que finalement, la question ne s’est pas posée. Il n’y a eu aucune cérébralité là-dedans. Il suffisait que j’entende une musique, que je sente une odeur qui me rappelait quelque chose pour que tout se réveille. Je me suis replongée dans quelques vieux carnets intimes et tout me parvenait à nouveau. Ces souvenirs ont ouvert une vanne sur quelque chose de beaucoup plus grand. J’y retrouvais les événements qui m’avaient marquée, comment je m’étais construite. C’est souvent quand on regarde en arrière que l’on remarque qu’il peut y avoir des cicatrices à certains endroits, sur le coup on ne s’en rend pas compte. Je ne me sentais pas forcément légitime dans l’écriture mais au départ je l’ai fait parce que j’en avais besoin et pour mes enfants. Puis quand l’écriture est arrivée à peu près à son terme, en 2021, je me suis inscrite au concours du prix du Théâtre 13.

4 211 Km © Dimitri Klockenbring
© Dimitri Klockenbring

C’est un super laboratoire. J’ai présenté un premier jet en me disant, que j’allais bien voir comment le jury allait réagir. On a eu deux prix, la mention spéciale et le prix du public. À l’issue de cela les choses se sont bien faites. Colette Nucci a beaucoup soutenu le projet, alors qu’elle était très malade, elle m’a appelée en me disant « Tu vas à Avignon, je t’ai pris des rendez-vous. » La même année, on a obtenu le fonds SACD théâtre.

C’est sûr, je suis, sans m’en rendre compte, influencée, je pense qu’on l’est tous. Pour l’écriture, je n’ai pas cherché l’inspiration, il y a une forme cinématographique qui s’est imposée, car tout a surgi comme des images et des flashs. Il y a une temporalité très grande, où l’on passe d’un endroit à un autre, d’une époque à une autre, alors la pièce s’est construite un peu comme un puzzle. Sur la mise en scène, je pense oui. Le Théâtre du Soleil est un des premiers endroits où j’ai été petite. Ariane Mnouchkine s’inscrit dans un théâtre qui me touche profondément. Au-delà de l’art, j’avais l’impression d’aller à un endroit où, culturellement, c’était très proche de ce que j’avais chez moi : le collectif.
J’admire le travail de Wajdi Mouawad et je pense qu’il y a des résonances très fortes de par la proximité de nos histoires familiales. J’ai beaucoup discuté avec Marjane Satrapi qui m’a incitée à écrire, parce qu’étant née en France, ce que j’allais raconter résonnerait différemment de Persepolis par exemple. Ma pièce raconte comment une fille née en France va vivre, va recevoir cet exil et se construire avec ce déracinement. Et c’est pour ça que j’ai fait ce choix narratif. Je voulais que tout soit vu par le prisme du personnage de Yalda. Et puis, en point commun, il y a l’effet du collectif, de la troupe, on a porté ce projet ensemble.

4 211 km © Dimitri Klockenbring
© Dimitri Klockenbring

Ces éléments, comme le Prix du Théâtre 13 et celui de la SACD, ont permis de garder l’énergie auprès du groupe. Les choses se sont bien goupillées. En janvier, quand on s’installe au Théâtre de Belleville, le public est vite arrivé, alors on nous a proposé de renouveler en mai et on a eu la chance d’afficher complet tout du long. Les jalons se sont posés et je me suis dit qu’on pouvait faire Avignon. Juste avant, il y a eu le festival d’Anjou, dirigé par Jean Robert-Charrier, et son concours des compagnies. On a récolté les trois prix, ceux du jury, du public et des étudiants ! Cela nous a beaucoup aidés. Avignon est arrivé juste derrière. On était au 11, chez Laurent Sroussi et Fida Mohissen, et là, au bout de quatre jours on était complet.

Avec l’aide de Richard Caillat, Adriana Santini et tout particulièrement de Stéphanie Bataille qui, dès le Théâtre de Belleville, nous a suivis. Elle a tout fait pour que le spectacle soit visible à Paris. Elle dit et elle répète qu’il est nécessaire que ce genre de projet soit vu. C’est galvanisant de se dire qu’il y a des gens qui nous soutiennent et Stéphanie arrive à mettre en lumière des Artistes qui ont parfois moins de visibilité et leur souffle dans les ailes. On est programmé jusqu’au 25 février, sûr, et après on verra !

Lire ici la critique du spectacle


4 211 km, texte et mise en scène d’Aïla Navidi
Studio Marigny
Carré Marigny
75008 Paris.
Du 10 janvier au 25 février 2024.
Durée 1h25.

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