Olivier Boréel et Perrine Mornay ©Hélène Harder
Olivier Boréel et Perrine Mornay ©Hélène Harder

Olivier Boréel et Perrine Mornay, cherchez le théâtre

Au Maif Social Club, Olivier Boréel et Perrine Mornay présentent "Lumen texte", une pièce sans acteurs. Rencontre.

Olivier Boréel et Perrine Mornay ©Hélène Harder

Après un été au Train bleu d’Avignon, Perrine Mornay et Olivier Boréel du collectif Impatience installent Lumen Texte au MAIF Social Club. Cette pièce sans acteurs, à la fois ludique et théorique, s’inscrit dans la réflexion au long cours menée par le duo d’artistes sur la relation théâtre-public. 

©Hélène Harder

Comment est née l’idée de Lumen Texte ?

Olivier Boréel : L’idée à germé vers 2017. Plusieurs axes de réflexion se croisaient. Mais nous avions lu un livre de l’anthropologue Eduardo KohnComment pensent les forêts. En travaillant avec les Runa dans la forêt équatoriale, il analyse la façon dont les signes, chez ces Amazoniens, prennent vie. Ça a été un déclic, pour nous : si les signes sont vivants, peut-être que nous pouvons en faire du spectacle vivant. Ensuite, de manière générale, dans nos travaux, la place du spectateur n’est pas stable : nous la questionnons, nous ne voulons pas qu’elle soit confortable. Il y avait donc, dès l’origine, un désir de métathéâtre. Et l’idée d’un spectacle fait de signes nous permettait forcément d’interroger l’essence du théâtre.

Lumen texte d'Olivier Borréel et de Perrine Mornay 
© Perrine Mornay
© Perrine Mornay

Perrine Mornay : Il y avait un vrai challenge dans l’idée de vider le théâtre de sa substance matérielle pour mieux y revenir. Mais ça nous permettait de jouer avec la pauvreté de moyens. Le processus ne repose que sur du texte et des spectateurs, sans acteurs pour le dire. En tant que metteurs en scène, nous devions juger seulement de la réception et de l’adresse. C’était à la fois de la tension et de l’excitation. Notre boîte à outils habituelle devait se condenser dans un mini-tupperware. Nous avons disséqué notre manière de travailler : l’écriture, le mode d’adresse, la réception, l’espace, l’odeur…

Olivier Boréel : On a aussi pensé à nos propres expériences de spectateurs. Je me rappelais la fois où j’avais vu ‌Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci. Les premières représentations françaises avaient été perturbées par des groupes de catholiques intégristes. Quand j’y ai été, un service d’ordre nous surveillait, dans la salle, pour s’assurer qu’il n’y ait pas de débordements. Je garde le souvenir d’être regardé en train de regarder la pièce. C’est un cas extrême, mais il arrive dans presque toutes les représentations que ce qui se passe excède le plateau. Une autre chose nous est venue : l’idée de placer les spectateurs dans une position de lecteurs. On n’a jamais l’occasion de lire collectivement sur un temps long. 

Comment travaille-t-on un spectacle comme celui-là ?

Perrine Mornay : Le spectacle change tout le temps. Ce qui était intéressant, pour nous, c’était de travailler sur un temps long, pour faire émerger un processus de création. Grâce à des partenaires précieux, on a eu l’opportunité de rester un mois ou une saison avec un même théâtre. Puis, on a eu besoin de tester la forme dans des lieux différents — centres d’art, lycées, bibliothèques, parkings, jardins… Des groupes de spectateurs nous suivaient d’une étape à l’autre, et grâce à des dispositifs de prise de parole collective que nous avions inventé en nous inspirant de l’agitprop ou de l’éducation populaire, ils pouvaient faire des retours. Ces moments ont été si riches qu’ils ont nourri un deuxième spectacle, la Conférence de la TTension, écrit à partir d’éléments soulevés pendant ces discussions.

Dans le spectacle tel qu’on le voit comme dans le processus de travail que vous décrivez, il y a un déplacement du vivant depuis le plateau vers un mi-chemin entre le plateau et la salle.
Lumen texte d'Olivier Borréel et de Perrine Mornay © Hélène Harder
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Perrine Mornay : Il est vraiment important, pour nous, que ça se passe autant dans le public que sur le plateau. Dans Lumen Texte, on ne cherche pas les limites, le dangereux ou le trash, mais il y a quand même l’envie, à travers une proposition assez radicale, l’envie de questionner la personne qui vient chercher ça. Et nous, on met en jeu nos limites en tant qu’artiste : jusqu’où on peut se mettre à nu, se dégager de nos artifices. 

Vous parliez de l’importance, de vos propres désirs de théâtre en tant que spectateurs. Quels sont-ils ?

Olivier Boréel : J’ai envie d’être pris en considération. Que ma place de spectateur soit pensée. Je m’y retrouve quand je sens un désir que je regarde ou reçoive les choses d’une certaine façon. Je vois bien, à l’inverse, quand la place du spectateur n’est pas traitée, ou qu’elle est appréhendée d’une façon molle. Dans les programmations, je traque ce qui est annoncé comme une expérience. Et ce sont souvent des croisements avec la performance, la danse, l’installation… et pas toujours ce qui est estampillé « théâtre ». 

Perrine Mornay : Je crois que j’aime lorsque le théâtre dévoile une vulnérabilité, de mon côté ou sur le plateau. Et le fait de sentir ça collectivement. La communauté éphémère du théâtre me plaît encore plus quand s’y révèle une fragilité ou une force. Ça n’arrive pas souvent, mais quand c’est là, je le reconnais. Récemment, j’au vu Le Souper de Julia Perazzini, et j’y ai trouvé une vraie intelligence formelle dans l’orchestration de ce partage de vulnérabilités.

Vous travaillez sur l’économie de l’attention. Que peut le théâtre face à l’instrumentalisation impitoyable de l’attention par le capitalisme ?
Lumen texte d'Olivier Borréel et de Perrine Mornay © Perrine Mornay
© Perrine mornay

Olivier Boréel : Au milieu de l’accélération des connexions rapides et distantes que permettent les nouvelles technologies, le théâtre est une connexion lente et en présence. Il offre un contrepoint salvateur, et c’est aussi pour cela qu’il tient. Mais la lenteur et la coprésence, bien que vitales, ne peuvent pas faire fi du fait que les choses changent autour : il faut l’intégrer et travailler avec ces cerveaux qui sont les nôtres, qui sont habitués à ces rythmes-là. 

Perrine Mornay : Dans la Conférence de la TTension, on évoque l’idée de cultiver son attention, de la chérir, de comprendre qu’elle est quelque chose que l’on reçoit et que l’on donne.

Olivier Boréel : Prendre conscience de son attention est un premier pas pour lutter contre sa captation.

Dans votre champ de références, on imagine facilement l’apport du lettrisme ou du situationnisme dans votre démarche. Celui de l’animisme amazonien est un peu plus surprenant…

Perrine Mornay : Il y avait aussi beaucoup de l’Uncreative writing de Kenneth Goldmith. Goldmith disait qu’à partir du moment où tu recopies un morceau de Proust, tu crées déjà quelque chose. C’est un rapport récursif à la forme — en l’occurence littéraire — et dans le côté métaréférentiel de Lumen Texte, il y a un petit peu de ça. 

Olivier Boréel : Je me souviens d’un article de Pierre Alferi sur son amour des panneaux-texte au cinéma, du muet aux Histoire(s) de Cinéma de Godard. C’est devenu un axe de réflexion. Il y a eu aussi l’article Signes, traces, pistes de Carlo Ginzburg, dans lequel il analyse la montée, à la fin du XIXe siècle, de la position d’enquêteur en littérature. Ça nous intéressait de placer les spectateurs dans cette position, à devoir traquer les signes et les contempler… Notre geste artistique naît d’un croisement de faisceaux. 

Comment votre duo fonctionne-t-il ?
Lumen texte d'Olivier Borréel et de Perrine Mornay © Hélène Harder
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Perrine Mornay : On aime bien mélanger les choses à partir de points de vue très différents. Nos points de départ ne sont pas du tout les mêmes. Sur chaque sujet, on les confronte. Venant des arts plastiques, je suis plutôt dans un rapport au corps et à la forme, même dans l’écriture : la mise en forme des blagues, le rythme, la façon d’utilise les mots… Olivier apporte pas mal de théorie.

Olivier Boréel : Sur les premiers projets où Perrine m’a demandé d’être interprète, la direction d’acteurs n’était pas du tout celle à laquelle j’avais été habitué en tant que comédien, qui portait beaucoup sur la langue… Perrine pense à partir d’images. Ça rendait le travail parfois rude pour moi, mais un dialogue s’est progressivement instauré. On n’entrait plus dans ma psychologie, comme d’autres metteurs en scène pouvaient le faire, mais dans la construction d’une image.

Perrine Mornay : Je construis les images de façon très organique. J’ai découvert la mise en scène sans aucune méthode, en faisant. Avant, je faisais des photos. Et le rapport à l’image a beaucoup traversé les pièces précédentes : apparaître-disparaître, comment une image naît, la révélation de la photographie dans le bain, le négatif et le positif… Toutes ces choses sont dans l’arrière-plan de notre collaboration.

Vous avez d’autres projets en gestation ?

Perrine Mornay : On entame une recherche qui s’appelle Que peut la nuit. Pour l’instant, on a le luxe de pouvoir être payés pour chercher, et on ne nous demande pas de faire un spectacle. On va travailler avec des chercheurs sur le rapport de l’enfant à la nuit, dans la ville. La nuit est un endroit de transgression et d’émancipation, et particulièrement pour des enfants qui sont censés dormir. On avait envie de discuter et construire, avec les enfants, des outils d’émancipation et de désobéissance. La nuit, c’est aussi un endroit menacé dans le sens où on a de plus en plus envie qu’elle soit habitée, productive. C’est un bon terrain pour parler à ces futurs adultes de la façon dont on protège un milieu, en tant qu’élément écologique. En sous-texte, on questionne des processus de création d’artistes qui ne sont pas les nôtres, et qui sont participatifs. Pour nous, la notion de participation est galvaudée. On veut la découdre.

L’idée, c’est de critiquer la façon dont on pense le théâtre participatif ?

Perrine Mornay : Je sais pas si c’est une critique, mais il y en a tellement qu’on ne sait plus ce que ça veut dire. Ça désigne tellement de modes d’adresse.

Olivier Boréel : Ce serait plutôt préciser ce que cela veut dire.

Perrine Mornay : On n’arrivera jamais à être exhaustifs, mais on aimerait faire une sorte de catalogue de tous les processus, et les tester. On commencera par des arpentages de nuit, avec des chercheurs et du public.

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban

Lumen Texte d’Olivier Boréel et Perrine Mornay
présenté cet été au Théâtre du Train bleu – Festival Off Avignon
Durée 45 min

Maif Social Club
37 Rue de Turenne
75003 Paris
Les 9 & 10 novembre 2023

Mise en scène Olivier Boréel, Perrine Mornay
Création logicielle Sébastien Rouiller

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