Julie Debazac © Gérard Harten

Julie Debazac, comédienne lumineuse et femme rayonnante

À l’occasion de la reprise des Créanciers de Strindberg dans la mise en scène de Philippe Calvario, Julie Debazac, magnifique dans le rôle de Telka, a répondu à notre questionnaire, pour une surexposition bien méritée.

Julie Debazac © Gérard Harten

À l’occasion de la reprise des Créanciers de Strindberg dans la mise en scène de Philippe Calvario, Julie Debazac, magnifique dans le rôle de Telka, a répondu à notre questionnaire, pour une surexposition bien méritée.

© Gérard Harten

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le tout premier, c’est dans un cirque. Plus précisément, j’ai le souvenir vif et coloré d’un clown. C’était lors d’un spectacle de Noël pour les enfants du personnel d’Air France, l’entreprise où mon père travaillait. Je devais avoir 6-7 ans. Je me souviens très bien de l’ambiance du cirque, j’avais adoré. Il y avait un mélange d’odeurs, de couleurs, de tristesse, de mélancolie… Et ce clown était apparu dans ce décor et il m’avait fasciné. Son regard, sa gestuelle, son rire, ses silences… Tout. C’était mon premier moment magique, un moment un peu entre parenthèses, un peu « arraché » à la vie, un petit temps suspendu.

Julie Debazac avec Philippe Calvario dans Les Créanciers de Strindberg © Pascal Gély

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Lors d’une représentation de théâtre de La Ménagerie de Verre de Tennessee Williams. À l’époque, j’étais en première S, au lycée Massenat à Nice, et je prenais des cours de théâtre le samedi. Un des metteurs en scène du cours de théâtre m’a proposé un rôle dans cette pièce, celui de Laura. On a commencé les représentations qui étaient professionnelles. J’ai joué plusieurs dates et lors d’une de ces dates, il y a eu un moment de silence dans la salle entre deux répliques. Et ce temps-là m’a tellement fascinée, électrifiée.
J’en reviens à ce que je disais plus haut : ce temps suspendu, cette écoute, cette communion du temps ensemble. Ce temps qui fuit sans cesse, qui fait un peu peur et qui va vers la mort. Ce temps qui nous plonge dans nos solitudes, qui est un vertige à lui tout seul. Eh bien là, il était partagé par tout le monde. De ressentir ça, cette osmose, ça a été le déclencheur. J’avais envie de revivre des temps comme celui-là, de les partager encore et encore. J’avais été piquée comme une dose de drogue que je recherchais en permanence.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Eh bien justement c’est ce que je viens de dire. C’est ce moment suspendu et puis après la transmission du texte, la transmission de ce que je peux lire : la poésie en premier. Dès que j’ai su écrire, je me suis mise à rédiger des petites poésies. C’étaient des poésies à trois francs six sous, pleines de fautes d’orthographe, que j’écrivais en douce dans ma chambre pour me consoler. Et puis après, je me suis mis à lire, beaucoup. Les livres étaient devenus une seconde maison. Et j’avais envie d’ouvrir les portes de cette maison… J’avais envie de transmettre ce que j’avais pu ressentir, je voulais que le monde entier partage ces secrets de lecture et de poésies.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle, c’est celui que j’ai déjà évoqué, La Ménagerie de Verre. Mais après, je me souviens particulièrement de certaines scènes que j’ai jouées dans des cours. Il y avait, Love de Murray Schisgal et aussi Les Jumeaux étincelants d’Obaldia. C’était important parce que c’était ma première rencontre avec des textes. Mon premier rapport à la langue jouée.

Julie Debazac et Benjamin Baroche dans Les Créanciers de Strindberg © Pascal Gély

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Je pense instinctivement aux Vœux du cœur avec Julien Alluguette, Davy Sardou et Bruno Madinier. On a beaucoup ri sur ce projet. On a eu beaucoup de complicité sur cette pièce. J’ai un souvenir brûlant et tendre d’une tournée à Cannes. On a gagné des semaines de vie tellement nous avons ri.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Une de mes plus belles rencontres, si ce n’est la plus belle, est celle avec Bernard Giraudeau. J’étais complètement dingue de lui quand j’étais adolescente. Je le trouvais le plus bel homme du monde, il avait une aura, quelque chose qui me fascinait, une fantaisie aussi. Et puis, humainement j’aimais beaucoup l’être. J’ai eu la chance de jouer avec lui beaucoup plus tard, de faire une tournée de théâtre dans Les Libertins d’Éric Emmanuel Schmitt. Là, je le voyais comme un grand professionnel, un grand artiste, plus du tout avec les yeux de mon adolescence.
C’était un rêve de jouer avec lui, de partager un plateau ensemble. C’était un rêve et il s’est réalisé, je me sens chanceuse. C’est beau de concrétiser un rêve. Il n’a jamais su, je ne lui ai jamais dit, à quel point sa rencontre a compté pour moi. J’ai aussi rencontré sa femme, Anny Duperey. J’ai joué avec elle bien avant de jouer avec Bernard. Elle jouait ma mère dans un téléfilm. 
Et puis, il y a aussi eu la rencontre avec Sara Giraudeau, sa fille. Je n’oublierai jamais son visage, et sa voix quand je suis devenue maman et qu’elle m’avait dit, toute émerveillée, « Oh la la, c’est merveilleux de combiner les deux ». (Elle faisait référence à la carrière et à la vie privée avec des enfants). Plus tard, elle est devenue également maman, et j’étais heureuse qu’elle puisse connaître ce doux équilibre. Cette famille, la famille Giraudeau me touche beaucoup, j’ai une tendresse particulière pour chacun de ses membres. 
Il y a également un homme qui m’a particulièrement marqué, au fer rouge, à l’encre indélébile. C’est impossible de ne pas parler de lui : cet homme, c’est Jean Rochefort. Aucun mot n’est à la hauteur de ce grand monsieur. La rencontre a été géniale, l’homme était génial. J’ai adoré la rencontre, j’ai adoré l’homme. Et quand je dis homme je parle autant de l’artiste, profondément sublime, que l’humain, tendrement merveilleux.

Julie Debazac © Marlène Da Rocha
© Marlène Da Rocha

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Parce que tout d’abord, ce métier est lui-même essentiel et vital ! Sans ce métier, je me sens orpheline. J’ai besoin de lui dans mon corps, dans ma chair. S’il n’était pas là, si je ne pouvais plus me nourrir de ces textes dont je parlais ou de ces rencontres, je me sentirais un peu abandonnée. Donc même si j’ai construit une famille, qui est également essentielle pour moi avec mes enfants et mon mari, j’ai besoin de faire mon métier. C’est une vraie balance. 
Ma famille c’est ma stabilité, mon socle, mon ancrage, là où je me réoxygène avec les feux de la tendresse. Mon métier, c’est l’endroit du vertige, de la prise de risque, de l’aventure. Ce n’est pas rassurant, mais c’est passionnel. Le rapport aux personnages, le rapport à la langue, le rapport au jeu, c’est un autre type de feu : le feu sacré. Alors oui, mon métier et ma vie privée c’est vraiment un équilibre parfait dans ma vie. Ce sont beaucoup de choses très différentes et opposées, et qui font la femme que je suis dans son entièreté. Une femme très complexe qui se nourrit de calme et de tempête, de force et de fragilité, une femme mer et mère, une femme terre, une femme ciel…

Qu’est-ce qui vous inspire ?
La musique, la peinture, une odeur, un rayon de soleil, une pluie, une goutte d’eau, les carreaux d’un carrelage, une photo oubliée, un manuscrit froissé, un mot doux laissé, une blessure du passé, une maladresse, un arc-en-ciel, la poésie… Pour résumer la vie.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
ORGANIQUE

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le bas-ventre. Le cerveau d’un comédien est dans son ventre. Le cœur du comédien également. Moi je pense même qu’il est partout dans le corps. Il y a une phrase de Colette que j’aime beaucoup et que je trouve très juste qui dit « Moi c’est mon corps qui pense : Il est plus intelligent que mon cerveau. Il ressent plus finement, plus complètement que mon cerveau. Quand mon corps pense, tout le reste se tait. À ces moments-là toute ma peau a une âme. »

© Philippe Calvario

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Là tout à coup, je pense instinctivement à Patrice Chéreau parce que je travaille avec Philippe Calvario et que j’ai vu qu’il y avait un documentaire sur Patrice Chéreau sur Arte. Malheureusement ça ne se fera jamais… Mais actuellement mon désir se porte sur des artistes aux univers complètement différents, autant des metteurs en scène de théâtre que des réalisateurs de film. Je pense à Olivier Py, Julien Gosselin, Vincent Macaigne, Aurore Fattier, Jean-François Sivadier, Justine Triet… Et encore bien d’autres…

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Une pièce de théâtre sur Mars (rires). Plus sérieusement, j’en reviens à la première réponse, j’adorais faire un clown. Ça me fait penser à cet acteur, que j’adore, Joachim Phoenix, qui est l’un de mes acteurs fétiches. Un clown femme dans cette ampleur-là, dans cette démesure-là, dans cette poésie-là, cette fragilité-là, ce bouillonnant excès. Et j’aimerais faire cela avec des Américains ! Sortir de ma zone de confort, et chercher avec cette nouvelle équipe une autre manière d’aborder l’art, d’aborder la vie. Une nouvelle façon de travailler, de travailler les mots, de travailler la gestuelle, la poésie du corps. Partir dans une aventure délirante, où tout est possible du moment qu’on y croit fort.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Plusieurs œuvres, je ne me contenterai pas d’une seule œuvre (rires). Si je suis actrice après tout, c’est pour avoir plusieurs vies. Alors ma vie ne peut se limiter à une œuvre. Plus concrètement, je pense que si ma vie était une œuvre, ça serait un tableau. Et dans ce tableau, il y aurait forcément une fenêtre, qui donne sur un paysage et beaucoup de lumière. Oui beaucoup de lumière pour lutter contre l’obscurité. Et ce tableau serait rempli de détails. De plein de détails, semés au gré du vent… Et de couleurs. Parce qu’après tout, la vie est faite de détails et de couleurs.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Pour lire l’article sur Les créanciers, cliquez ici


Les Créanciers d’après August Strindberg.
Théâtre de l’Épée de bois
Cartoucherie – Route du Champs-de-Manœuvre
75012 Paris.
Reprise du 9 novembre au 3 décembre 2023.
Du jeudi au samedi à 19h, matinée samedi et dimanche à 14h30.
Durée 1h30.

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