La Obra, Mariano Pensotti ©Nurith Wagner Strauss
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La Obra, le mensonge de théâtre de Mariano Pensotti

Avec "La Obra", le metteur en scène argentin Mariano Pensotti tisse le récit d'un projet prométhéen dans un faux « biodrama » où l'imposture humaine rencontre le mensonge du théâtre.

La Obra, Mariano Pensotti ©Nurith Wagner Strauss

Avec La Obra, le metteur en scène argentin Mariano Pensotti tisse le récit d’un projet prométhéen dans un faux « biodrama » où l’imposture humaine rencontre le mensonge du théâtre.

©Nurith Wagner Strauss

Dans Los Años, Mariano Pensotti composait un traité architectural montrant Buenos Aires comme une copie composite des villes européennes. Il est aussi question d’architecture et de reproductions dans La Obra, la nouvelle pièce du Porteño, créée au Wiener Festwochen et jouée pour la première fois en France au Théâtre de la Cité internationale dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

Walid Mansour (Rami Fadel Khalaf), metteur en scène libanais, raconte l’histoire obsédante de Jürgen Richter, un ex-officier nazi réfugié en Argentine après la Seconde Guerre mondiale. Vingt ans après l’Holocauste, Richter vit à Coronel Sivori, un village perdu au milieu du pays, sous un nom d’emprunt. Désormais, sous l’identité Simon Frank, un Juif polonais rescapé des camps de concentration, le criminel de guerre développe un projet fou, démiurgique : construire une copie en carton-pâte de Varsovie au milieu des champs pour y mettre en scène « le plus grand spectacle du monde », soit une reconstitution rigoureuse de la vie dudit Simon Frank dans sa jeunesse polonaise d’avant-guerre.

Une pièce-monde
La Obra, Mariano Pensotti ©Nurith Wagner Strauss
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Les habitants du village s’amassent peu à peu autour du projet. Bientôt, c’est la communauté toute entière qui, s’improvisant comédiens ou régisseurs, fait corps avec la pièce. Mais un jour, la vérité éclate. La terre se dérobe alors sous les pieds de cette petite société : s’ils savaient qu’ils vivaient dans du semblant, aucun ne pensait vivre dans un mensonge.

Au présent, certains des témoins vivants interrogés par Walid Mansour apparaissent sur le plateau, rejouant ces années théâtrales et l’ignorance qui l’accompagnait. Devant La Obra, le public ne se doute pas plus qu’eux de la vérité, avant la grande révélation. Et Pensotti la fait advenir tard. Cette terrible histoire d’usurpation d’identité est donc rendue, tout du long, à une sorte de conte de théâtre, un Huit et demi poétique raconté avec des moyens semblables à ceux qui forment aujourd’hui le biodrama argentin : alternance de récit au micro et de dialogues joués, ton confidentiel, discours à la première personne à l’origine de la théâtralité.

Angles morts

Le trucage mis en œuvre dans la pièce de Pensotti est pervers, puisqu’il épouse les contours d’une terrible imposture pour plonger le spectateur dans l’état d’ignorance qui fut, quarante ans durant, celui des habitants de Coronel Sivori. Se loge là une figuration nette du malaise de l’Argentine, terre d’asile nazie à la fin des années quarante. Après-guerre, l’investissement des nazis dans la Shoah s’y est dissumulé derrière des fausses identités et des mensonges — derrière une mise en scène, donc. Mais La Obra est-elle la représentation lucide et entière de cet aveuglement ? Ou ses manques, ses angles morts sont-ils précisément le fruit d’une frivolité indue, sacrifiant la pensée de la cruauté humaine sur l’autel de l’efficacité théâtrale ?

« Parfois, les imposteurs sont beaucoup plus envoûtants que les personnes réelles », dit le texte, délivrant sa garantie réflexive, se dédouanant aussi un peu. Sans conteste, sa mise en scène marche aussi bien que le décor tourne : régulièrement, agréablement. Surtout, elle est servie par une équipe de comédiens talentueux qui maîtrisent parfaitement ce style confessionnel. Mais il semble in fine que pour toutes les questions qu’il soulève, La Obra penche un peu trop du côté de l’anecdote sans s’engager entièrement dans la profondeur du problème qu’il s’invente : qu’un nazi ait dépossédé, quarante ans durant, jusqu’au nom et à l’histoire de l’un des Juifs qu’il a exterminés.

Samuel Gleyze-Esteban

La Obra de Mariano Pensotti
Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Cité Internationale
17 boulevard Jourdan 75014 Paris

Du 23 au 26 octobre 2023
Durée : 1h35

Mise en scène Mariano Pensotti
Avec Rami Fadel Khalaf, Alejandra Flechner, Diego Velázquez, Susana Pampin, Horacio Acosta, Pablo Seijo
Musicien Julián Rodríguez Rona
Décor et costumes Mariana Tirantte
Musique Diego Vainer
Production artistique Florencia Wasser
Lumière David Seldes
Vidéo Martin Borini, José Jimenez
Assistance à la mise en scène Juan Francisco Reato
Dramaturgie Aljoscha Begrich

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