The Romeo de Trajal Harell © Christophe Raynaud de Lage

Trajal Harrell crée les sexy Roméo(s) du voguing

Après à Avignon, Trajal Harrell investit, avec "The Romeo", la Grande Halle de la Villette du 7 au 9 décembre 2023.

The Romeo de Trajal Harell © Christophe Raynaud de Lage

Avec ses codes de la contre-culture new-yorkaise des années 2000, le chorégraphe américain, qui vit entre la Grèce et la Suisse, où il dirige le ballet de l’opéra de Zurich, investit la cour d’honneur du palais des Papes à Avignon.

© Christophe Raynaud de Lage

Trajall Harrell était attendu presque comme le Messie dans ce festival qui avance par secousses. Il était d’autant plus attendu que le Festival d’Automne à Paris lui tirera le portrait en dix pièces de septembre à décembre. Un tel déploiement de reconnaissance laissait présager un choc, une révélation. Peut-être un éblouissement. Qu’allait-il montrer ? Sa danse, habiterait-elle vraiment la fameuse cour d’honneur ?

Un défilé haute-découture
The Romeo de Trajal Harell © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Au lieu de cela, on a assisté à un longuet et coquet spectacle tout en ondulations des bras, avant-bras, épaules, mains, doigts, torse, les jambes étaient sollicitées par la tenue constante sur demi-pointe, quelques torsions du bassin, et voilà… Le tout empaqueté dans un défilé où les danseurs se suivent un par un dans des tenues — chacune créée et cousue peut-être par Trajal Harrell — drôles et inventives, à l’envers, (dé)couturées, (dé)structurées joliment : beaucoup de vêtements semblent saluer l’esprit Comme des garçons de Rei Kawakubo, l’usage des codes du sport ou encore la beauté antique avec les drapés dont les déesses de l’Olympe auraient pu se parer. Et tout cela, nous insistons, sollicitant un pied over-cambré pour figurer le stiletto qui déséquilibre la silhouette sur cet imaginaire catwalk. Déséquilibre, maître mot de la danse, où ça tutoie l’extrême, où ça chute vertigineusement, où tout se dessine dans l’espace résumé à une branche qui rattrape de justesse le corps et ploie sous l’attraction. 

Mais ce n’est qu’une esquisse ici, le corps se tord et tangue certes mais s’il se secoue c’est sans perdre ses repères, l’interdit est ailleurs mais pas sur la scène du Palais des Papes : trop grande la Cour quand rien ne s’y passe, trop inutile le fameux mur où rien ne s’accroche, trop répétitif ce va-et-vient de danseurs aux tenues extravagantes. Chacun finit dans une pose exagérément outrée comme on le voit…dans les défilés de mode. Ainsi va le Voguing : le phénomène est apparu dès les années 60. Le terme Voguing est dérivé du magazine Vogue, alors le numéro un en presse mode. mouvement avant-gardiste de la fin du premier millénaire en « vogue » dans les soirées LGBT, queer… les fameuses Jackie O’ et autres drôles de folies qui se faisaient alors. Depuis, le voguing (défiler comme un mannequin, prendre la pose, etc.) fait partie prenante du langage hip hop, chaque battle exige le respect des codes mais aussi une certaine dose d’audace et d’invention. 

Flow opératique
The Romeo de Trajal Harell © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Le spectateur acceptera que rien ne passe sinon ce gentil flow, rien ne structure le ballet, pièce, show ? Ça défile, voilà tout et une silhouette en chasse une autre. Trajal Harrell assiste à tout cela, essaie de prêter main forte, se fait rabrouer par une autoritaire responsable, ah, voilà un début de dramaturgie, pense-t-on, mais à peine, il part se rasseoir sur son tabouret de piano, les yeux dans le vide. Parfois il danse, le corps nostalgique. Comme lui, ses danseurs étaient présents sur le plateau avant le début, décontractés et souriants, ils se sont présentés : « my name is… », suivi d’une caractéristique façon Pina Bausch : « je cherche un mécène pour financer mes implants mammaires », « je suis au bord du gouffre », « je suis française, nobody’s perfect »… La musique baigne tout, sauve l’espoir, elle donne envie de se lever et d’onduler aussi, mais pas de piano en direct, dommage mais c’eut été trahir l’esprit de l’époque des soirées, une bande son qui rejoue les bonnes ondes (encore… ).

The Romeo n’est pas la représentation d’une « battle » et le spectacle évoque en fait ce qu’on voyait dans les clubs new-yorkais avant 2000. Même si l’on croit reconnaitre un pourpoint digne de Roméo, point de Roméo personnifié ici mais son style, son audace, sa force, sa jeunesse. Roméo est un héros, une tête de proue, un symbole : aucun sur scène ne le figurera mais chacun ici est un·e Roméo qui y croit envers et contre tout : oser, bouger, se doper à l’audace, la scène étant le moteur de tout, l’espace où tout est permis. Dans la présentation du spectacle, il est écrit : « … une danse qui convoque les imaginaires afin que ce qui est pensé impossible advienne. » Ouh ouh ! À l’ouest, du nouveau ?

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Avignon 

The Romeo de Trajal Harell
Festival d’Avignon
La Cour d’honneur du Palais des Papes
Place du Palais
84000 Avignon
jusqu’au 23 juillet 2023 à 22h30
Durée 1h15

Tournée
les 12 et 13 août 2023 au Berliner Festspiele, Tanz im August (Allemagne) 
les 15 et 16 septembre 2023 à la Comédie de Genève, dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève (Suisse) 
les 30 novembre et 1er décembre 2023 à Comédie de Clermont-Ferrand 
du 7 au 9 décembre 2023 à La Villette, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
le 12 décembre 2023 au Concertgebouw Brugge, dans le cadre du December Dance (Belgique) 
les 14 et 15 février 2024  au Tandem Scène nationale (Arras-Douai)

Chorégraphie et mise en scène de Trajal Harell
Dramaturgie de Katinka Deecke & Miriam Ibrahim
Avec Frances Chiaverini, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Rob Fordeyn, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, New Kyd, Thibault Lac, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Perle Palombe, Norel Amestoy Penck, Stephen Thompson, Songhay Toldon
Mise en scène, chorégraphie, scénographie, costumes Trajal Harrell 
Répétiteurs Ondrej Vidlar, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Stephen Thompson
Musique de Trajal Harrell & Asma Maroof 
Musique originale complémentaire de Felix Casaer
Scénographie de Trajal Harrell & Nadja Sofie Eller
Lumière de Stéfane Perraud
Assistanat à la mise en scène – Camille Charlotte Roduit
Assistanat à la scénographie – Eva Lillian Wagner
Assistanat costumes – Mona Eglsoer & Lena Bohnet
Stage mise en scène – Mia Frick
Régie plateau – Aleksandar Sascha Dinevski
Régie générale – Andreas Greiner​
Régie son – Susanne Affolter
Régie technique – Jan Hoffmann
Régie lumière – Ulrich Kellermann
Régie costumes et habillage – Judith Janser & Liv Senn

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