Que ma joie demeure d'après Jean Giono - mise en scène de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage

L’épopée magnifique de Clara Hédouin

Au Festival d'Avignon, Clara Hédouin entraîne les spectateurs à la recherche de Giono sur les hauteurs de Barbentane.

Que ma joie demeure d'après Jean Giono - mise en scène de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage

Après l’aventure « en extérieur » des Trois mousquetaires, la metteuse en scène fait découvrir Que ma joie demeure de Jean Giono aux spectateurs-marcheurs, en pleine nature, près de Barbentane. Le spectacle, qui commence à six heures du matin et dure six heures, est un bonheur. Il sera repris dans toute la France en 2024.

© Christophe Raynaud de Lage

Elle a la fougue de d’Artagnan, l’amour du langage de Cyrano et la grâce des héroïnes qui n’ont peur de rien. Six, sept heures de spectacle en pleine nature : ce pari un peu fou, Clara Hédouin l’a gagné et on le voit à chaque représentation lorsque les spectateurs, tous conquis, applaudissent les comédiens (Mikchael PinelliHatice ÖzerJade FortineauPierre GiafferiHector Manuel et Clara Mayer) et elle, brune solaire. De longues minutes de joie, simplement, qu’elle savoure comme il se doit, car cette joie-là, au contraire de celle de Giono, celle-ci demeure.

L’épique au théâtre
Que ma joie demeure d'après Jean Giono - mise en scène de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage
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« Après l’aventure des Trois mousquetaires, qui nous a pris beaucoup de temps puisque chaque partie était un spectacle en soi d’une heure et demie, je me suis retrouvée sans projet, car j’avais aussi terminé l’écriture de ma thèse en études théâtrales… ». Titre de la thèse en question : La tentation épique : épique et épopée sur les scènes françaises (1989/2017). On comprend bien qu’avec une telle passion, notre aventureuse allait chercher de nouveaux héros et leur faire battre la campagne. Elle choisit ceux de Giono, façonnés en Provence, des paysans qui voyaient leur terre s’abîmer, se perdre, mourir et à qui un voyageur mystérieux, Bobi, fait revenir oiseaux et espoir. 

À 6 heures, le jour crépite un peu et au plus loin du champ, face à nous qui sommes assis sur des pliants, s’avancent les comédiens qui parlent, si près, si loin. On les entend, on les voit, ils s’approchent et durant six heures, on partagera avec eux leurs joies et leurs douleurs. L’épopée, c’est cela et les héros, qu’ils se nomment Bobi, Jourdan, Marthe ou Zulma… qu’ils vivent sur le plateau de Grémone ou à Fra Joséphine, qu’ils retrouvent le goût du bonheur avec la venue d’un cerf ou l’éclosion des narcisses, redonnent à nous public l’envie d’y croire. De croire en tout cas en ce théâtre différent qui sort de la boîte et de ses conventions, qui respire à l’air libre. Comment a procédé la metteuse en scène pour obtenir de ses comédiens une telle qualité de voix et de présence ? « Je les ai choisis pour leur vitalité forte, pour leurs voix qui portent loin. Nous avons toujours travaillé à l’extérieur, tous les textes, tout le temps. Toutes nos répétitions se sont faites dehors même l’hiver. Elles ont commencé dans l’Hérault en août 2020, une période caniculaire. C’était la première mise en place, cinq scènes seulement, aucun financement, on s’est lancés comme ça dans un élan. »

Du récit dans le paysage 
Que ma joie demeure d'après Jean Giono - mise en scène de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage
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Il y en a, du panache ! Car Clara Hédouin, passionnée du genre, déplore que notre théâtre ait l’épique triste. Sa thèse s’articulait autour du retour du récit tel que l’ont envisagé les metteurs en scène européens depuis la chute du mur de Berlin et la disparition de la dernière idéologie jusqu’à nos jours. Comment traiter l’histoire, la petite, la grande, la famille, le groupe, comment aborder l’idée de la communauté ? Et si elle n’a pas toutes les réponses, elle en a une que lui a fournie Nietzsche : il faut de la joie ! Que ce mot figure dans le titre de Giono n’est pas par hasard. 

La metteuse en scène, ici, donne à voir et surtout à ressentir ce qu’elle-même aime, à savoir la réalité des vivants, femmes, hommes, animaux, terre, leurs paroles et leur voix, leurs corps et leurs désaccords, les chemins qu’on creuse et les traces qu’on abandonne. Elle a voulu que son « Bobi » soit joué par une femme pour éviter l’image du prophète, de l’homme qui sauve. « Chez Giono, les animaux sont invisibles et c’est cette vie animale et sensuelle qui rassemble. On mange la colline quand on mange le lièvre qui a couru dans la colline. On mange la montagne quand on mange ses herbes. »

Giono, son côté terrestre 
Que ma joie demeure d'après Jean Giono - mise en scène de Clara Hédouin © Christophe Raynaud de Lage
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Clara Hédouin a hésité entre deux Giono : Que ma joie demeure et Le hussard sur le toit. « Mais le hussard, c’était un seul héros, et dans Que ma joie demeure, ils sont tous des héros. » Les mots, dans les livres ou livrés au grand air, portés par le vent, sont des formules magiques. « Je disais aux acteurs : ce n’est pas Tchekhov, il n’y a pas de psychologie, c’est cosmique ! Je les voulais terrestres, oui, terrestres, j’aime ce mot, je les voulais ancrés ! ».

La première étape après le casting et l’adaptation avec Romain de Becdelièvre était de participer à une journée de marche et de théâtre, organisée par le Sillon, la scène conventionnée de Clermont-l’Herault, et de trouver des financements. Aujourd’hui, pour chaque nouveau lieu, la vallée de Chevreuse en avril prochain, la côte d’Opale en mai etc., l’artiste recrée, remodèle le spectacle. « Ici, à Barbentane, dans la Montagnette, étrangement, tout est plat et il a fallu résoudre ce problème dans la mise en scène, parce que j’ai beaucoup joué sur les différences de hauteur, le plongeon et la contre-plongée » 

À quel héros notre héroïne se donnera-t-elle après cette aventure ? Elle aime citer son Nietzsche, encore : « pour se relever, se souvenir qu’il y eut des héros ! » sans oublier un cinéaste du sublime : Pasolini, dont elle aime le tracé de l’antique, la voix païenne, la beauté, la tendresse… « le théâtre est-il un art populaire comme le cinéma ? Non, il faut bien le reconnaître, le théâtre est élitiste, et certains metteurs en scène pour revenir au fameux théâtre populaire donnent plutôt la représentation du populaire sur le plateau. Alors comment fédérer, comment, avec qui ? » Que ma joie demeure, ce round trip émotionnel et charnel, là où le soleil piste l’ombre, où la rocaille cailloute les chemins, où la fatigue pèse doucement, ce théâtre présent, intelligent et sensible, franc du collier et pourtant plein d’ombres, ce théâtre-là, tout autour de nous, répond à ces questions.  

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Avignon

Que ma joie demeure d’après Jean Giono
Festival d’Avignon
Barbentane
Jusqu’au 24 juillet à 6h du matin
durée 6h30

Tournée
Les 13 et 14 avril 2024 à Théâtre Nanterre-Amandiers, recréation en vallée de Chevreuse
Les 18 et 19 mai 2024 au Channel Scène nationale de Calais, recréation côte d’Opale
Les 25 et 26 mai 2024 à La Garance Scène nationale de Cavaillon
Le 1er et 2 juin 2024 à la Scène nationale d Grand Narbonne
Les 22 et 23 juin 2024 au Carreau, Scène nationale de Forbach, Nest CDN Transfontalier de Thionville Grand Est
Les 6 et 7 juillet 2024 à l Ferme du Buisson dans le cadre du festival Par Has’ Art. 

Mise en scène de Clara Hédouin
Adaptation de Romain de Becdelièvre & Clara Hédouin 
Avec Jade Fortineau, Pierre Giafferi, Clara Hédouin, Hector Manuel, Clara Mayer, Hatice Ozer, Mickael Pinelli
Texte Jean Giono 
Adaptation Romain de Becdelièvre, Clara Hédouin 
Costumes Nelly Geyres, Anna Rinzo
Régie André Neri, Franck Gélie 

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