Frédérique Voruz © Sarah Robine

Frédérique Voruz, au cœur de la famille théâtre

Surexposition de Frédérique Voruz, à l'occasion de la reprise au théâtre des Halles de son spectacle Lalalangue.

Frédérique Voruz © Sarah Robine

Appartenant à la grande famille des Enfants du Soleil et ayant travaillé notamment avec Simon Abkarian, Frédérique Voruz s’est servi du théâtre pour créer Lalalangue, une étonnante thérapie scénique. La reprise de son spectacle au Théâtre des Halles, pour le Festival Off d’Avignon, nous a donné l’occasion de mettre en lumière une artiste passionnée et passionnante.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Quand j’étais petite, mon frère aîné m’emmenait parfois au théâtre. Il avait failli devenir comédien, et il était persuadé que moi je devais devenir comédienne. Alors on partageait cela ensemble. La première pièce dont je me souviens est Boeing Boeing, une pièce de Boulevard. Je n’avais pas trouvé cela transcendant, mais j’avais adoré partager un moment avec mon frère ainsi qu’avec le reste du public. Et puis être dans cette salle de théâtre, avec ses fauteuils rouges, j’ai beaucoup aimé. Nous étions au premier balcon, et mon frère m’avait appris à compter les chauves dans l’orchestre, et à jeter des avions en papier sur scène quand la pièce était mauvaise. Je devais déjà avoir une empathie avec les comédiens, car je ne l’ai pas fait ! Et je me souviens de mon frère, qui hurlait de rire, se frappait les cuisses. Le spectacle, c’était lui.

Lalangue de Frédérique Voruz © Giovanni Cittadini Cesi
Lalangue de Frédérique Voruz © Giovanni Cittadini Cesi

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai été, entre mes quinze et dix-neuf ans, membre d’une troupe amateur : Les Cabotins. La metteuse en scène s’inspirait du travail du Théâtre du Soleil. La première pièce que nous avions montée était La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, c’était une expérience incroyable. Nous faisions des résidences de création hors de Paris, et j’ai adoré cela : vivre en collectif, m’immerger dans une pièce et tout chercher du personnage, son costume, son maquillage, sa musique, sa démarche. D’abord donc, le désir de collectif. Je voulais rencontrer ma famille, une famille de création. Créer ensemble, chercher comment incarner, comment raconter, je trouvais que c’était un métier formidable. Mais je n’ai pas osé tout de suite me lancer. J’ai attendu un peu.
Puis, à mes 20 ans, la metteuse en scène de la troupe amateur m’a dit : « Tu devrais aller voir le Théâtre du Soleil ». Alors, j’ai acheté le livre L’Art du présent, propos d’Ariane Mnouchkine recueillis par Fabienne Pascaud, et ça a été une révélation. Je lisais ce livre fébrilement, les yeux écarquillés, le cœur battant, ayant la sensation de lire mon destin. J’ai su qu’à ce moment-là le Théâtre du Soleil revenait de tournée pour une dernière exploitation des Éphémères à Paris, j’ai pris mon courage à deux mains, j’y suis allée un matin. Je suis arrivée et j’ai vu Ariane en train de guider un technicien qui rentrait dans le théâtre avec un chariot élévateur. Je lui ai dit : « Bonjour, je voudrais vous aider ». J’y suis restée 7 ans.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
On dit en psychanalyse lacanienne que le métier que l’on choisit est une réponse à notre symptôme. Je crois qu’être comédienne a été ma solution. C’est ce dont traite mon spectacle Lalalangue. Ma mère nous disait que Dieu nous regardait en permanence, ainsi que tous les morts. Enfant, j’ai pris cela au pied de la lettre. Je mettais en scène ma vie. J’avais peur de penser quelque chose qui aurait déplu à Dieu. Je me cachais sous la douche pour que Jésus ne voie pas ma zézette. Je crois que devenir comédienne a été une méthode pour me réapproprier le regard de l’autre. Choisir d’être regardée, d’une autre façon. C’était comme faire un pied de nez à Dieu, être regardée par une foule autre que lui. Je n’étais plus qu’à lui. Je l’ai compris plus tard bien sûr. En analyse.
Et le désir d’échapper au réel, de le transposer. Sur scène, les choses se simplifiaient pour moi, dans la vie, c’était plus compliqué de savoir comment être, comment vivre. Sur scène, j’étais quelqu’un d’autre. Je m’échappais, c’était comme une pause, une parenthèse. Et je voulais vivre dans cette parenthèse.

Le grand jour © Antoine Agoudjian
Le Grand Jour de Frédérique Voruz © Antoine Agoudjian

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était lorsque j’étais en sixième. Nous avions répété une mise en scène du Médecin malgré lui de Molière pour la fin de l’année. Nous l’avions présenté devant tout le collège dans le réfectoire. Je jouais Jacqueline, la nourrice, et j’avais inventé une sorte d’accent de la campagne, affreusement caricatural certainement, mais qui avait fait rire tous les élèves. Je me souviens de cet éclat de rire collectif, et j’ai adoré ça. Dès lors j’ai demandé à ma mère de m’inscrire à des cours de théâtre, et systématiquement, je voulais faire rire.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
L’aventure du spectacle Électre des bas-fonds de Simon Abkarian a été (car elle est presque terminée), incroyable. Je me souviens de Simon qui nous disait au tout début des répétitions : « On s’en rappellera toute notre vie ». Il a réussi à rassembler une équipe si bienveillante, engagée et joyeuse. Travailler une tragédie dans cet état d’esprit était merveilleux. C’était la première fois que je travaillais sur un tel texte, si destinal, et que je défendais un rôle comme celui-là. Dans Électre, nous sommes vraiment ensemble, nos cœurs battent d’une même pulsation. Il a réussi à créer une famille, une vraie troupe. À tel point que pour mon deuxième spectacle, Le Grand Jour, j’ai écrit des rôles pour 5 autres comédiens et comédiennes de la troupe. Nous travaillons vite ensemble, nous parlons la même langue, nous recherchons la même chose. Et surtout, nous travaillons dans la joie.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Au Théâtre du Soleil j’ai rencontré Geoffroy Adragna, nous travaillons ensemble depuis 2018 où il a fait sa première création lumière avec Lalalangue. Il a également créé la lumière de mon deuxième spectacle Le Grand Jour. Et c’est fabuleux de travailler avec lui, nous avons à peine besoin de nous parler, il sait mettre en lumière l’intime. Il est complètement au service du texte, des comédiens. Je lui donne au départ des directions (par exemple d’aller vers un certain type de peinture), et il le traduit en lumière.
Simon Abkarian fut également une rencontre décisive. Il y a un avant et un après. Dans mon travail de comédienne premièrement, mais aussi car il m’a encouragé à mettre en scène, à continuer à écrire. Il m’a en somme poussé vers mon autonomie. C’est précieux.
Et les comédiennes et comédiens que j’ai rencontrées grâce à lui, et avec qui je souhaite vraiment continuer à travailler.

Ariane Mnouchkine et Frédérique Voruz © Anne Lacombe
Répétition avec Ariane Mnouchkine © Anne Lacombe

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je dirais même que ce métier est mon équilibre, et que l’enjeu a été de laisser un peu de place à la vraie vie. Ce que l’on vit sur scène, en création, en tournée est si intense qu’on peut devenir vraiment accro et en délaisser le reste. C’est un accélérateur d’émotions. On vit plus vite en création. Ce n’était, par conséquent, pas très équilibré, je vivais pour et par cela.
Aujourd’hui, j’ai réussi à le mettre à un endroit toujours aussi passionné, mais moins vital. C’est mon métier. J’arrive à alléger un peu les enjeux. Mais c’est ma nourriture. Quand j’étais adolescente, dans ma troupe amateur, j’avais trouvé une vieille valise noire, j’en ai fait ma mallette à maquillage et j’avais écrit dessus au Tipex : « Le théâtre ne nourrit pas l’acteur, mais il nourrit l’âme ». J’ai donc très jeune fait le choix que ce métier réponde à quelque chose de beaucoup plus grand qu’une simple carrière. C’est mon combustible.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
En tant que comédienne, je peux être inspirée par beaucoup de choses, tant que l’approche est intéressante. J’aime découvrir de nouveaux mondes, de nouvelles histoires. Par exemple, Kanata, de Robert Lepage, m’a permis de découvrir un monde auquel je ne connaissais rien : j’incarnais une jeune femme autochtone, toxicomane, qui finissait par se prostituer pour payer sa drogue. J’ai pour jouer ce rôle été bénévole à la salle d’injection supervisée à Gare du Nord. Robert voulait que nous jouions de manière naturaliste, il m’a fallu pour cela comprendre les choses de l’intérieur, et j’ai adoré cette démarche.
Et j’ai mieux découvert l’histoire du génocide des premières nations du Canada.
Tout peut m’inspirer tant que ce sont des sujets réels, profonds, sociétaux, et qu’il y a une transposition poétique. J’aime que les différents projets m’amènent à découvrir de nouveaux mondes, des pans de l’histoire que j’ignorais.
Pour mon écriture, je suis inspirée par ma vie, la vie, les ressorts profonds de l’évolution intime. Les rapports de famille prennent beaucoup de place dans mes textes. C’est comme s’ils me permettaient d’évoluer, de réparer des choses de ma vie. Cela me fait avancer, je mets sur scène des choses qui me manquent dans la vie : du dialogue, des paroles que j’aimerais dire ou entendre, des situations que j’aimerais voir être réglées. Mon écriture évolue en même temps que moi, et me fait évoluer.
La psychanalyse lacanienne me passionne et laisse sa trace dans mon écriture.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Je suis très angoissée avant de monter sur scène. J’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. L’enjeu est très grand pour moi. Je me prépare pendant très longtemps, m’échauffe pour être bien dans mon corps, je refais mon parcours, je relis mes notes avant chaque représentation quasiment. Je me sens une grande responsabilité, je dois faire de mon mieux, on n’a pas le droit de mentir. Et cela exige beaucoup de travail d’être vrai.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est ma peau qui me guide. Quand un projet m’inspire, quand un spectacle me parle, m’émeut, quand j’aime un texte, quand je suis au bon endroit dans le jeu, j’ai des frissons. Surtout dans les jambes. Ce sont mes jambes qui me disent si je suis au bon endroit, tant au niveau du jeu, que du désir de travailler avec une personne.

Les loges du théâtre du Soleil, Electre des bas-fonds de Simon Abkarian © Antoine Agoudjian
Les loges du théâtre du Soleil, Electre des bas-fonds de Simon Abkarian © Antoine Agoudjian

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Je ne vais pas être très originale en disant que j’aimerais travailler avec Joël Pommerat, Simon McBurney ou Thomas Ostermeier. Les metteurs en scène des pièces qui m’ont bouleversée en somme. J’adorerais retravailler un jour avec Robert Lepage. J’ai vraiment aimé cet endroit de jeu dépouillé, simplement incarné. J’aimerais rencontrer Fred Blin dans le travail. J’aime beaucoup le clown, ça a été pour moi un moment de libération de ma créativité, et Fred Blin est un clown merveilleux, improviser avec lui doit être génial. Je souhaite retravailler avec Simon Abkarian évidemment. Et plus largement j’aimerais travailler avec des auteurs-metteurs en scène. Je trouve ça formidable de porter un texte qui sera joué pour la première fois, et de le travailler avec son auteur ou autrice. On travaille vraiment une matière vivante, on aide l’auteur à faire des choix, on comprend vraiment ce qu’il a voulu raconter.
Au cinéma, si je devais choisir un réalisateur, je crois que j’aimerais travailler avec Albert Dupontel. Quelqu’un dont l’engagement est au même endroit que la puissance et la poésie de son travail.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Je crois que j’adorerais travailler sur un cycle des pièces de Shakespeare, une sorte de nuit des tragédies, en extérieur. Des nuits de théâtre comme je peux les imaginer en Grèce antique, j’imagine les pièces d’Eschyle jouées au théâtre d’Epidaure, sous les étoiles, où la parole poétique rejoint les éléments, où l’on voit le soleil disparaître pendant la pièce, où le vent souffle dans les arbres.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Je ne sais pas si ma vie serait cette œuvre, mais en tout cas j’aimerais vivre dans le Seigneur des Anneaux. Un monde où il y a de la magie, où la beauté est partout. Cette œuvre est en même temps intime et universelle, elle parle du monde, de sa noirceur, mais aussi de sa lumière.
Et si ma vie était une peinture, elle serait une œuvre de Chagall : Le Rêve.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Lalalangue, prenez et mangez-en tous, écrit et interprété par Frédérique Voruz.
Festival Off AvignonThéâtre des Halles
Rue du Roi René – 84000 Avignon.
Du 7 au 26 juillet 2023 à 14h, relâche les jeudis.
Durée 1h20.

Mise en scène de Frédérique Voruz et Simon Abkarian.
Conseil artistique de Franck Pendino.
Création lumières de Geoffroy Adragna.
Création son de Thérèse Spirli.

Livre édité par Harper Collins France.

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