Au Corum-Opéra Berlioz, le chorégraphe à la tête du pavillon noir d’Aix-en-Provence présente un triptyque composé de deux pièces de répertoire et d’une création. En accord parfait avec la thématique de cette 43e édition du festival montpelliérain, Angelin Preljocaj propose un voyage à travers le temps au plus près de l’évolution son processus artistique.

Noces d’Angelin Preljocaj © Jean-Claude Carbonne

Il y a la foule des grands soirs en ce jour d’ouverture de Montpellier Danse. Le ban et l’arrière-ban de la ville ont fait le déplacement. Plus une place n’est libre du parterre au perchoir. Tous sont venus découvrir la dernière pièce d’Angelin Preljocaj, un habitué des lieux, qui régale de son écriture ciselée les festivaliers depuis plusieurs années. Certains se souviennent de son Winterreise, sur les lieder de Schubert, d’autres de son programme qui conjuguait le son d’Hendrix à la pensée de Deleuze, enfin une poignée de chanceux – la jauge étant réduite – du travail exceptionnel et bouleversant qu’il avait effectué avec les détenues de la prison des Baumettes, Soul Kitchen, une performance à fleur de peau. Parcourant plus de trente ans de carrière, il présente ce soir un programme en trois temps, où se conjugue au plateau répertoire, reprise et création. 

Ange et démone

Nimbée d’un halo de lumière, seule sur la scène immense de l’Opéra Berlioz, une jeune femme blonde comme les blés semble s’éveiller au monde. Gestes familiers du matin, regard lointain, étirements, lissage de sa nuisette blanc immaculé…, Marie (Florette Jager en alternance avec Verity Jacobsen) rêve à d’autres lendemains. Côté jardin apparaît alors une silhouette noire (hypnotisante Clara Freschel en alternance Mirea Delogu), peut-être une démone, mouvement précis, rapide, bras fendant l’air avec vélocité, elle s’approche de sa proie, l’entoure, la couve. Ange annonciateur, elle s’empare avec gourmandise de l’âme de l’ingénue sylphide, l’ensorcelle, lui révèle sa destinée. 

Avec une maitrise sidérante d’un langage chorégraphique déjà très affirmé qui emprunte autant au néo-classique qu’au contemporain, Angelin Preljocaj s’empare du thème religieux de l’annonciation pour l’emmener vers des eaux plus troubles. Créé en 1995 à Châteauvallon, ce duo féminin mystique autant que charnel échauffe les sangs des spectateurs et montre toute l’inventivité du jeune artiste qu’il était alors. Pièce maîtresse du répertoire du Pavillon noir, Annonciation est une œuvre lumineuse, troublante et captivante, à l’esthétisme rare, qu’il est bon de voir ou revoir, encore et toujours !

Les tourments de la passion

La soirée se poursuit avec une création de l’artiste aixois, une plongée dans le monde trouble du désir, des corps alanguis par la torpeur. Traversés par la musique survoltée du compositeur 79D, les dix danseuses et danseurs de la compagnie jouent des diagonales, entrent à cour sortent à jardin d’un pas rapide, se cherchent se jaugent, s’effleurent sans jamais se toucher. La tension des corps, des appétits sexuels d’un pour les autres est palpable. La température monte de quelques degrés. Gestes amples, jambes tendues et arabesques dessinées dans les airs par des mains semblant battre l’air telles des ailes d’oiseaux, se conjuguent au plateau avec maestria. De ce maelstrom de mouvement rappelant par moment les images vues dans un kaléidoscope naît une œuvre diffractée, composée d’une dizaine de tableaux tous différents mais ayant comme source d’inspiration la passion, la sensualité, une fièvre épicurienne.

Déroulant tout son savoir-faire, Angelin Preljocaj signe avec Torpeur, une œuvre léchée qui fait la part belle à la sensualité dégagée par les corps de ses interprètes. Très écrite, très ciselée, cette nouvelle pièce s’inscrit parfaitement dans son processus créatif, dans la quête permanente d’esthétisme qu’il poursuit depuis plus de 30 ans. Faisant le lien entre répertoire et reprise, elle illustre parfaitement la thématique qui sert de fil rouge à la programmation de cette 43e édition du Festival, dirigé par Jean-Paul Montanari, conjugué passé, présent et futur… 

Amours et violence conjugales

Pour conclure ce triptyque qui interroge les rapports humains et amoureux, les liens qui unissent et déchirent les couples, l’artiste de 66 ans reprend l’une de ses premières créations, celle qui l’a révélé au public, Noces sur la partition prodigieuse d’Igor Stravinsky. Comme pris par le feu de la musique, le chorégraphe déploie son imaginaire et affirme une plume fougueuse, furieuse à ligne impeccable d’une belle acuité. Plongeant dans l’intimité de cinq duos d’époux, il offre une vision entre attraction et répulsion de l’union sacrée de deux êtres. Joueur, il s’amuse à passer de l’humour au drame, de la tendresse à la barbarie, et esquisse une guerre des sexes implacable. Sa gestuelle sans concession, parfaitement exécutée par les danseurs et danseuses de sa compagnie, habite le plateau, saisit le public et l’emporte dans un tourbillon émotionnel jusqu’au vertige. 

Toujours aussi fascinante et prenante, les Noces de Preljocaj n’ont pas pris une ride, résonnent fort avec l’actualité et font chavirer les cœurs et les âmes. La rapidité des pas, les images époustouflantes qui découlent de ces enchaînements complexes, magnifiquement interprétés par une troupe virtuose, déferlent en flux ininterrompu, frappent tels des coups de poings répétés, des uppercuts qui mettent K.O. Poupées de chiffon habillées en mariées jetées au sol, robes virevoltantes, bras tendus des hommes, mouvement d’esquisses des femmes, corps s’enchevêtrant pour mieux se repousser, c’est magistral. Exsangue, le public applaudit à tout rompre afin de saluer un esprit créatif, une grammaire chorégraphique riche et rare. Noces d’hier, Noces d’aujourd’hui est une pépite, une pièce puissante, tout simplement un chef d’œuvre ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore -Envoyé spécial à Montpellier

Festival Montpellier Danse
Du 20 juin au 4 juillet 2023

Triptyque- Ballet Preljocaj
Jusqu’au 21 juin 2023
Au Corum-Opéra Berlioz
Durée 1h50 avec entracte

Tournée 
Du 12 au 15 septembre 2023 au Pavillon Noir, Aix-en-Provence, 
Du 19 au 21 octobre 2023 à l’Opéra de Rouen 
Le 03 novembre 2013 au Quai 9, Lanester 
Du 07 au 10 novembre 2023 au Théâtre couvert d’Ollioules, Châteauvallon – Scène Nationale 
Du 01 au 03 décembre 2023 au Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Les 09 et 10 janvier 2024 à La Coursive, La Rochelle Les 22 et 23 mars 2024 à la Scène 55, Mougins
Le 26 mars 2024 au Théâtre de l’Esplanade, Festival de danse l’ImpruDanse#8 
Du 28 mars au 05 avril 2024 à l’Opéra Royal du Château de Versailles 
Le 07 avril 2024 au Théâtre de Thionville Dieppe 
Le11 avril 2024 au DSN – Dieppe Scène Nationale 
Du 26 au 27 avril 2024 au Théâtre Jean Vila, Suresnes
Du 16 au 18 mai 2024 au Théâtre National de Nice 
24 mai 2024 à l’Opéra de Dijon 

Annonciation d’Angelin Preljocaj
Création au TNDI – Châteauvallon en 1995
Durée 20 min
Chorégraphie et scénographie d’Angelin Preljocaj
Pièce pour 2 danseuses avec en alternance Clara Freschel (Ange) et Florette Jager (Marie) / Mirea Delogu (Ange) et Verity Jacobsen (Marie) 
Musique de Stéphane Roy (Crystal Music) et Antonio Vivaldi (Magnificat) jouée par l’Ensemble international de Lausanne / Orchestre de Chambre de Lausanne dirigé par Michel Corboz
Costumes de Nathalie Sanson
Lumières de Jacques Chatelet 
Assistant, adjoint à la direction artistique – Youri Aharon Van den Bosch 
Répétitrice / Choréologue – Dany Lévêque 

Torpeur d’Angelin Preljocaj
Création 2023 – Montpellier danse 
Durée 30 min 
Pièce pour 10 danseurs avec Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat-Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua
Musique de 79D
Costumes d’Elenora Peronetti 
Lumières d’Éric Soyer 
Assistant, adjoint à la direction artistique – Youri Aharon Van den Bosch 
Répétitrice / Choréologue – Dany Lévêque 

Noces d’Angelin Preljocaj
Création 1989 suite à une commande de la Biennale nationale de danse du Val-de-Marne
Durée 35 minutes 
Pièce pour 10 danseurs- Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot / Florine Pegat-To- quet, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua 
Musique, Les Noces d’Igor Stravinsky interprétées par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence dirigé par Roland Hayrabedian
Costumes de Caroline Anteski
Lumières de Jacques Chatelet
Choréologues – Noémie Perlov & Dany Lévêque
Assistant, adjoint à la direction artistique – Youri Aharon Van den Bosch