L'Avare - Grignan © Loïc Julien

L’Avare s’invite aux Fêtes nocturnes du château de Grignan

Cet été, Jérôme Deschamps recrée sa mise en scène de "L'Avare", pour les Fêtes nocturnes du château de Grignan.

Si Harpagon refuse de dépenser l’argent nécessaire pour habiter ce magnifique château, on peut facilement l’imaginer vivre à quelques pas de la demeure où séjourna la Marquise de Sévigné. L’été va être festif dans la Drôme, par la grâce de Jérôme Deschamps et de son univers si réjouissant.

© Julien Loïc

Pour la deuxième année consécutive, Molière, dont on a célébré l’année passée le 400e anniversaire, est au programme de cette manifestation prestigieuse qui célèbre le Théâtre. L’été passé, pour la 35e édition, c’était Les Fâcheux, dans la mise en scène de Julia de Gasquet. Cette année, c’est un « tube » qui va être présenté, L’Avare porté sur le parvis du château par Jérôme Deschamps. Nous nous sommes rendus à Grignan pour assister à une répétition et discuter avec cet artiste hors normes dont la créativité n’a eu de cesse de nous enchanter.

Une récréation récréative

La règle des Fêtes nocturnes est de présenter une création. Cette année fait exception, puisque Jérôme Deschamps a créé ce spectacle le 6 octobre dernier au TNP de Villeurbanne. Nous y étions et avions adoré son remarquable travail. Lorsqu’on lui en demande la raison, le metteur en scène est clair et net. « On a baissé les subventions de ma compagnie ! » Lorsque l’équipe des Châteaux de la Drome l’a contacté, il avait pensé aux Femmes savantes, puis, à Monsieur de Pourceaugnac. « Je voulais les faire avec des musiciens, mais la baisse de mes aides a fait que cela n’était plus possible ». C’est ainsi qu’il propose de reprendre L’Avare, mais dans une version destinée au plein air et au château. Donc, que ce soit clair, ce n’est pas complètement une reprise, mais plutôt une recréation. Ce que je peux vous assurer !

Un château en raccommodage
L'Avare - Grignan © Loïc Julien
© Loïc Julien

La particularité de la mise en scène d’origine était la boîte noire. Ce qui, « en raison du vent, n’était pas exploitable en extérieur ». Alors, une idée géniale est sortie de son imaginaire bien particulier, celle de mettre une palissade devant le château ! J’éclate de rire ! La palissade on la connaît bien, elle était déjà dans la cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon, en 1995, dans l’hilarant et poignant Les pieds dans l’eau.
« Le château a une histoire de travaux multiples. Il a été reconstruit façon XVIIe puis façon XIXe, alors qu’au départ, c’est un château médiéval. Après sa démolition à la Révolution française, il est fort probable que certaines de ses pierres ont servi à construire certaines maisons des alentours. Derrière la palissade, il y a donc un château en travaux ». Lorsque je découvre ces bouts de bois qui longent la façade, il m’apparaît qu’ils la magnifient ! « En même temps, je ne voulais pas massacrer la beauté du lieu et la relation particulière entre le public et le château. ».

Une belle aire de jeu

Il lui a fallu aussi organiser l’espace du jeu. Il a demandé à son décorateur, Félix Deschamps Mak, « mon petit grand » de penser une avant-scène en demi-lune, d’une hauteur de 10-15 cm. « Je me suis servi de l’arc de cercle pour marquer la scène, ce qui va permettre d’utiliser les entrées latérales et celles par le public ». On a le sentiment que les personnages arrivent de quelque part, d’autres lieux. Cela fonctionne très bien. La circulation est ainsi d’une grande fluidité. Autres petites nouveautés, puisqu’on est en dehors de la maison d’Harpagon, ce sont les deux bosquets. Ils ne sont pas de verdure, mais en ont la forme. Ils rappellent le décor initial de la création.
Félix affine la peinture, dans un beau bleu nuit, et l’on y aperçoit la fameuse lune ! « Félix a fait des choses totalement stylisées, ce sont des bosquets peints, placés de chaque côté de la scène, qui nous servent aussi de coulisses, vers lesquels on peut se sauver, et d’où on peut ressortir… » Il a comme toujours peaufiné l’habillage sonore, avec les aboiements de ce vieux chien, que l’on devine famélique, dès que quelqu’un s’approche du jardin où la fameuse cassette est enterrée et, sinon nous ne sommes pas chez Deschamps, le bruit de verres brisés ! Les costumes de Macha Makeïeff, comme magnifiés par le décor naturel qu’offre la demeure de la Marquise, prennent un éclat différent qu’à la création.

Une troupe inspirée
L'Avare - Grignan © Loïc Julien
© Loïc Julien

C’est toujours passionnant d’assister à une répétition. Ici elle est particulière puisque chacun des comédiens et comédiennes jouent depuis des mois le spectacle. Mais là, on ne leur redemande pas de refaire « à l’identique » ce qu’ils ont fait durant toute la tournée. Jérôme Deschamps compris, puisqu’il interprète Harpagon, tous ont le plaisir de retrouver leur personnage et d’aller vers d’autres couleurs. Il faut savoir, et c’est en ça que l’exercice m’a totalement scotché, c’est que s’ils partent vers la comédie, les tonalités de la création demeurent.
La jeune garde (composée ce soir-là Bénédicte Choisnet, Louise Legendre, Geert Van Herwijnen et Bastien Chevrot) s’éclate, donnant à Élise, Marianne, Valère et Cléante des nuances étonnantes. Quant aux aînés (Hervé Lassïnce, Fred Epaud, Vincent Debost et Yves Robin), ils se lâchent intelligemment dans La flèche, Brindavoine, Maître Jacques, Maître Simon, Dame Claude, le commissaire. sur le plateau règne une belle énergie, celle de la troupe, celle d’artistes heureux d’être là, ensemble.
Mon plus grand plaisir a été de regarder travailler le duo Harpagon – Frosine. Entre Jérôme Deschamps et Lorella Cravotta, il y a des années de collaboration qui ont fait naître entre eux une grande complicité. Elle arrive même encore à le surprendre et à déclencher chez lui des éclats de rire. Et lorsque Deschamps-Cravotta se sont lancés dans une improvisation digne des « Deschiens », j’ai ronronné de bonheur. La comédienne, après chacun de ses passages, va discrètement s’installer sur un des fauteuils du gradin, pour regarder ses camarades travailler. Elle n’hésite jamais à les encourager d’un rire franc et communicatif.

La cerise sur le gâteau
L'Avare - Grignan © Loïc Julien
© Loïc Julien

Jérôme Deschamps m’avait prévenu lors de notre entretien qu’il préparait une surprise. Nous sommes en fin de soirée, la nuit est tombée depuis longtemps. Il arrête la répétition, libère les comédiens qui n’ont plus à être sur le plateau. Je me dis, mince je vais rater la fin, que je connais pourtant. Et là, le metteur en scène met en place, avec son assistant Damien Lefèvre, un gag sonore qui célébrera l’arrivée de Monsieur Anselme. La technique est sur les dents, tout comme les deux silhouettes placées sur la terrasse ! L’idée est que l’on entende, comme s’il débarquait du bas du village à bride a battu, le carrosse du riche seigneur Anselme et qu’il s’annonce au son des trompettes, sur une musique jarrienne-vilarienne !

Au cœur de la passion du théâtre

Pour avoir, assisté, en tant que spectateur, par deux fois, aux fêtes nocturnes, Jérôme Deschamps m’avoue, lors de notre entretien avoir été saisi à chaque fois, par la qualité du public. « Il y a, et c’est assez rare, des gens d’origines complètement différentes et qui ont une immense curiosité, un désir, une joie d’être là. Ce ne sont pas des spécialistes, ils n’en ont pas l’air, mais souvent ils le sont plus qu’on ne l’imagine. Il y a chez eux un appétit que je trouve absolument merveilleux. Ils viennent avec un a priori joyeux, se disant : On ne va p’t-être pas s’embêter ! »
Les habitants de Grignan sont très attachés à cette manifestation. Ce que j’ai pu mesurer auprès de mon jeune chauffeur de taxi, qui m’a accompagné de la gare à l’hôtel, auprès des villageois, lors de leurs conversations au café du coin. La tradition est de les inviter, en avant-première, à venir découvrir le spectacle. Ils attendent tous avec impatience ce rendez-vous qu’ils ne manqueraient pour rien au monde !

Lorsque je lui dis au revoir, entre deux réglages techniques, car il est tard, Jérôme, avec ce sourire qui lui donne une bouille si particulièrement attachante, m’interroge sur mes impressions, s’ils ont « trouvé le ton juste ». De ce que j’en ai aperçu, je ne peux que le rassurer. Son avare est riche de la promesse d’une belle soirée théâtrale !

Marie-Céline Nivière – envoyée spéciale à Grignan

L’Avare de Molière
Les Fêtes Nocturnes de Grignan
Château de Grignan (26).
Du 24 juin au 19 août 2023.
Du lundi au samedi à 21h, relâche les 11, 28, 29 juillet et 7 août.
Durée 2h15.

Mise en scène de Jérôme Deschamps.
Avec Bastien Chevrot (en alterance), Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta, Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Fred Epaud, Hervé Lassïnce, Louise Legendre (en alternance)
, Yves Robin, Stanislas Roquette (en alternance), Pauline Tricot (en alternance), Geert Van Herwijnen (en alternance) et l’apparition de Jean-Mary Feynerol, Isabelle Granier / Marie-Caroline Massé, Damien Lefèvredans les rôles de chevaliers et trompettistes.
Décor de Félix Deschamps Mak.
Costumes et accessoires de Macha Makeïeff.
Lumière de Bertrand Couderc.
Assistanat à la mise en scène Damien Lefèvre
Régie générale de Lionel Thomas.

Assistant décor Anton Grandcoin.
Assistant peinture Alessandro Lanzillotti.
Assistante costumes Laura Garnier.
Assistant Lumière Enzo Cescatti.
Perruques et maquillage d’Emmanuelle Flisseau.
Régie Accessoires Agnès Linais.
Habilleuse Marlène Hémont.
Couturières Anaïs Abel, Séverine Allain, Emilie Boutin.

Son de Nicolas Rouleau.
Confection des costumes par les ateliers du TNP.
Construction du décor par les Châteaux de la Drôme.

Directrice de production Julia Lenze.

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