Julien Gosselin © Simon Gosselin

Julien Gosselin, le théâtre en point de mire

Au Festival d'Avignon, Julien Gosselin présente "Extinction", sa nouvelle pièce-fleuve, où il affirme d'un geste clair son amour du théâtre.

Julien Gosselin © Simon Gosselin

Après le Printemps des Comédiens, où il a créé tout début juin, Extinction d’après les œuvres de Thomas Bernhard, d’Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal, le metteur en scène surdoué, spécialiste des fresques théâtrales, se prépare à investir la cour du Lycée Saint-Joseph à Avignon. Profondément attaché à l’art dramatique, Julien Gosselin ajuste et cisèle son spectacle-monstre pour emporter les festivaliers au cœur de la nuit jusqu’au dernier vestige d’un monde en perdition. 

© Simon Gosselin

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être comédien puis metteur en scène ? 

Julien Gosselin : Je n’ai pas de souvenirs précis. Un déclic, il y en a eu un forcément, mais il s’agit davantage d’un ensemble d’impressions, d’une succession de petites choses, que d’un réel événement. Ce qui me paraît être le plus vrai, c’est que le théâtre a été pour moi une manière d’être encore un peu plus en contact avec les livres, les romans, la littérature. Mon approche vient des mots, des écritures. Quand j’ai commencé à m’y intéresser, je n’avais aucune idée de ce qu’était la littérature dramatique et qu’on pouvait la travailler, lui donner vie. À cette époque, je devais être adolescent, ce n’était pas encore pour moi un métier, mais une pratique qui permettait d’être entouré de plein de gens de mon âge, de partager avec des personnes qui avaient les mêmes passions : aller au théâtre, lire, monter des pièces, etc. C’est à cette période, dans ce cadre particulier, que j’ai découvert Ariane MnouchkineJan Fabre, leur geste artistique puissant, que j’ai su que c’était cela que je voulais faire, être au cœur du spectacle vivant. Comédien, je l’ai été au tout début de ma carrière, mais ce n’était pas mon endroit. Très rapidement, la mise en scène s’est imposée. J’avais le souhait, l’envie de travailler l’espace, la lumière, et surtout faire cela avec les autres. 

Vous évoquez comme point de départ la littérature. Clairement, elle alimente votre art, d’autant que le plus souvent vous portez au plateau des textes non théâtraux… 
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin

Julien Gosselin : Il y a quelques années, j’aurais répondu sans réfléchir. C’était immédiat, mon rapport à la littérature. Quand un texte me touchait, souvent dès les premiers pages, pour ne pas dire les premières lignes, j’avais le désir de le porter au plateau. Je crois que j’étais sensible au geste d’écriture, à ce que cela réveillait en moi, ce que cela me racontait. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’évidence. C’est le cas par exemple de 2666 de Roberto Bolaño. Dès que j’ai commencé à le lire, j’ai vu la structure du livre, la manière dont il écrivait, comment sa pensée se déroulait. J’avais une idée très précise des personnages, de leur contour. Il y avait comme une évidence. Maintenant j’ai une approche avec les textes très différentes. Je me suis rendu compte avec l’expérience, que ce n’est pas parce que tout nous parait limpide, qu’on est touché ou happé par une œuvre, qu’on est le mieux placé pour la mettre en scène, pour la faire résonner au plus juste. C’est assez paradoxal. J’ai aussi constaté que sur certaines œuvres, portant une grande mélancolie ou étant très musicales à la lecture, j’avais tendance à redoubler le geste et donc à en desservir l’écoute. En Lisant Bernhard, j’ai hésité. Sa plume m’a particulièrement saisi. Elle est proche des sentiments et réflexions qui m’animent. J’ai été bouleversé dès les premières phrases. Pourtant il y a dans la violence, la dureté qui s’en dégage, quelque chose qui m’en éloigne un petit peu. Cette tension entre l’auteur et ma propre perception a été motrice. J’ai besoin de cette espace de dialogue pour travailler un texte. C’est comme un binôme. Il y a des connivences, des frictions. C’est devenu essentiel dans mon processus créatif. 

Justement comment choisissez-vous les livres que vous portez à la scène ? 

Julien Gosselin : C’est toujours très mystérieux. Souvent, d’ailleurs, quand je termine un spectacle, j’ai l’impression que je ne retrouverai jamais un livre qui me touchera comme celui que je viens de monter. À la manière d’un rituel très intime, dans les semaines qui suivent une création, je passe beaucoup de temps dans les librairies. J’y reste souvent deux bonnes heures. Je feuillète plusieurs ouvrages. Je prends le temps, car c’est un moment que j’aime particulièrement, j’ai une joie presque enfantine à découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux textes. Je remplis mon panier. J’en lirai certains, d’autres prendront la poussière dans ma bibliothèque. Puis un jour je retomberai dessus, ou non. Je me laisse guider par les mots. Le déclic, que ce soit pour les lire ou les monter, est du même ordre : une sorte d’évidence, de certitude qui me traverse. 

Vous parliez de la structure des textes qui vous apparaît à la lecture, comme si dans votre tête, déjà, une ébauche de spectacle naissait ?
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin

Julien Gosselin : Quand nous lisons, des images se forment dans nos esprits. Nous avons chacun une interprétation propre de tel personnage, de telle scène. Dans mon cas, je dirais que c’est tout à fait nécessaire. Mais je pense que cette petite maladie, tous les metteurs en scène l’ont. Nous avons besoin de nous projeter dans une œuvre pour en explorer le potentiel, pour chercher ce que l’on peut y apporter en passant de l’écrit à la scène. Quand j’ai lu Extinction de Thomas Bernhard, très tôt, dès les premiers paragraphes, j’ai imaginé une femme plutôt jeune dire ce long monologue, qui a tout du bilan d’une vie, d’une lignée. Cette vision s’est accrochée à moi. Elle m’a tenu en haleine jusqu’à la dernière page. Et c’est ainsi que je le porte au plateau. Ce qui est curieux, c’est que parfois le regard que je porte est différent de celui du spectateur. Et par conséquent, celui-ci ne se retrouve pas dans le spectacle que je lui propose. Je me souviens avoir ce genre de retour, avec 2666. Bolaño est un auteur flamboyant, un peu fou, on s’en rend compte notamment sur les passages qui ont pour cadre le Mexique. En l’adaptant, j’ai tendance à le ramener une forme de mélancolie, que je qualifierais d’européenne. C’est aussi cela, mettre en scène, montrer ce que je ressens d’une œuvre, quitte à la trahir parfois. Pour revenir à la structure des textes, je me rends compte, notamment sur les derniers spectacles, que je m’en détache. C’est une phase. Je sens en moi l’envie de revenir à des choses plus narratives, à me rapprocher de ce que j’ai pu faire sur Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq ou sur Joueurs, Mao II et Les Noms de Don DeLillo.

Quelle est la genèse d’Extinction, fresque théâtrale qui traverse plusieurs époques et où s’imbriquent des textes d’auteurs très différents du début du siècle dernier, qui ont comme principal point commun être d’origine autrichienne ? 

Julien Gosselin : C’est venu d’une double idée. Cela fait plusieurs années que je souhaitais traiter dans un spectacle la fin du monde. Avec Le Passé, c’était un peu le moteur, le point de départ. Mais la rencontre avec l’œuvre de Léonid Andréïev a tout changé. Je suis allé vers d’autres horizons. Au fond de moi, la volonté d’explorer cette course vers l’abîme dans lequel se précipite l’humanité était toujours là. J’avais en tête des images du long-métrage de Lars von TrierMelancholia, ainsi que des romans et des pièces d’auteurs allemands. Un schéma s’est esquissé autour de l’histoire mondiale du début du XXe siècle, et tout particulièrement européenne. Vienne en 1900 était en pleine ébullition. La culture était à son plus haut niveau, que ce soit en architecture, en peinture, en musique, en littérature… il y avait foisonnement de nouveaux courants artistiques. C’était vraiment une période très riche intellectuellement parlant. Et puis tout a basculé. Le monde d’alors s’est effondré. Ce qui m’intéressait – et que je cherchais —, c’est que la fin du monde n’est pas venue d’une forme de décadence, mais au contraire d’un pic culturel. Avec Eddy d’Arenjo, mon dramaturge, nous nous sommes plongés dans cette Autriche effervescente, qu’évoque Stefan Zweig dans ses romans, Arthur Schnitzler dans ses pièces. Le côté psychanalytique des œuvres de ce dernier nous a tout de suite frappés. Son écriture est très psychologique. Il évoque les questions de désir, d’animalité, les faces sombres des personnages. Cela nous a particulièrement marqué quand nous avons tissé un récit qui réunit trois de ses pièces — La Nouvelle rêvéeLa Comédie des séductions et Mademoiselle Else. Ce travail, proche de l’écriture, a été particulièrement compliqué. 

Est-ce que cela vous a donné envie d’écrire une pièce ?
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin

Julien Gosselin : Justement, non. Car je pense qu’écrire irait à l’encontre du geste qui me permet d’extirper de l’œuvre les choses qui me touchent, me font vibrer. Cela m’enlèverait une part de la joie que j’ai de mettre en scène. 

Le théâtre est au cœur de votre œuvre. Il est prédominant, pourtant la vidéo est très présente quitte à prédominer au plateau …

Julien Gosselin : C’est assez paradoxal, mais je crois que depuis Le Passé, c’est très clair dans mon esprit, le théâtre est l’art en lequel je crois. C’est la première fois que ce ressenti, presque une certitude, est aussi net dans ma vie. Jusqu’alors, je me questionnais beaucoup sur le fait que le théâtre soit le bon médium pour me permettre de transmettre des idées, des émotions, je cherchais une réponse à travers l’hybridation des arts. J’avais besoin de l’éprouver, de vérifier qu’il résonnait encore avec justesse aujourd’hui encore… C’est un art millénaire. Il est donc normal d’en tester les limites, les contours. Maintenant je sais. Depuis deux spectacles, c’est évident. Je sais ce que je veux faire. De l’extérieur, cela peut paraître contradictoire, parce que sans doute, ce sont aussi mes créations où l’espace théâtral est le plus fermé, le moins visible de la salle. J’ai l’impression que la rencontre avec Léonid Andréïev ou Arthur Schnitzler, qui sont de véritables auteurs de théâtre, m’a ouvert les yeux, m’a permis de créer des situations extrêmement théâtrales. Pourquoi ai-je besoin de le cacher pour le mettre au cœur de mon travail, c’est très mystérieux. Rien n’est prémédité. Le théâtre est un outil qui me permet de m’exprimer. Mais clairement je ne pourrais pas m’en passer. Il m’est nécessaire. Quand j’ai travaillé sur Le Décaloguede Kieslowski avec les élèves du TNS, il y a eu un moment, je m’en souviens très bien, dans une scène, un personnage, une jeune Polonaise qui suit un atelier de théâtre dans les années 1980, dit un texte de Tennessee Williams. Nous avions filmé la scène, ce qui permettait de jouer des temporalités, de voir à travers la vidéo le passé, la nostalgie, la mort aussi. J’avais trouvé que cela permettait, par le prisme de la caméra, de ressentir encore plus intensément la force du théâtre 

Pourriez-vous vous en passer ? 
Extinction de Julien Gosselin - Printemps des comédiens © Simon Gosselin
Extinction de Julien Gosselin © Simon Gosselin

Julien Gosselin : Non. De l’image, oui, mais du théâtre, non. Mes références de jeune créateur étaient des chercheurs de nouvelles formes venant des scènes flamandes, allemandes, toute une génération d’artistes qui s’est produite à Avignon entre 2005 et 2010. Je ne veux pas envisager l’idée de produire une forme théâtrale sans que justement l’idée du questionnement de la forme soit convoquée, de même que l’idée du rapport au public, l’idée de l’attente aussi du spectateur. Que vient-il voir, chercher ? Va-t-il être déçu ? Ou au contraire être complètement subjugué ? Je ne cherche pas à faire des spectacles attendus, mais bien qu’une forme de tension existe pour créer l’émotion. 

Au printemps des comédiens, la pièce s’est jouée en intérieur, à Avignon vous vous installez cour du Lycée Saint-Joseph. Est-ce que cela demande des adaptations ? 

Julien Gosselin : C’est une première à cette échelle. J’avais déjà dû adapter pour l’extérieur, Le Marteau et la Faucille, un intermède du spectacle autour de DeLillo. Cela demande beaucoup de temps et de préparation. Nous devons nous préparer à toutes les éventualités. Les éléments sont incontrôlables, à nous de faire en sorte de le pallier. C’est à la fois très complexe et assez rigolo. Cela fait maintenant un an qu’on travaille à cette adaptation pour l’extérieur, d’autant plus qu’avec les écrans, les bougies, nombreuses au plateau, nous devons être très vigilant et vraiment faire en sorte que le rendu soit proche de ce que nous avions imaginé pour l’intérieur. L’intention et le ressenti pour le spectateur doivent être similaires. Mais le spectacle étant né le jour où Tiago Rodrigues m’a appelé, il était fait pour être joué dehors. Et puis la cour de Lycée Saint-Joseph est je crois mon lieu préféré à Avignon… je suis donc très heureux de pouvoir jouer Extinction là-bas. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Extinction d’après les textes de Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal
Création au Printemps des Comédiens le 1er juin 2023
Festival d’Avignon
Cour du lycée Saint-Joseph
62 rue des Lices
84000 Avignon
du 7 au 12 juillet 2023 à 21h30
durée 5h environ avec entractes

Tournée 
les 7, 9, 10, 14 septembre 2023, les 7, 8, 20, 21 octobre 2023  et les 5 et 6 janvier 2024 à la Volksbühne Berlin
les 10 et 11 novembre 2023 à DE SINGEL, Anvers
le 18 novembre 2023 au Phénix, Scène nationale de Valenciennes, en partenariat avec Le Manège – Scène nationale de Maubeuge, dans le cadre du Festival Next
du 29 novembre au 6 décembre au Théâtre de la Ville – Paris
les 23 et 24 mars 2024 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg

Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin assisté de Sarah Cohen et Max Pross 
Traduction de Francesca Spinazzi / Panthea 
Scénographie de Lisetta Buccellato
Dramaturgie d’Eddy d’Aranjo et Johanna Höhman
Avec Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde et Max Von Mechow
Musiques de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde
Lumières de Nicolas Joubert
Vidéos de Jérémie Bernaert et Pierre Martin Oriol
Son de Julien Feryn
Costumes de Caroline Tavernier
Cadre vidéo – Jérémie Bernaert, Baudouin Rencurel
Avec la participation de tous les départements de Si vous pouviez lécher mon cœur et de Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz 

Tournée 
les 7, 9, 10, 14 septembre 2023, les 7, 8, 20, 21 octobre 2023  et les 5 et 6 janvier 2024 à la Volksbühne Berlin
les 10 et 11 novembre 2023 à DE SINGEL, Anvers
le 18 novembre 2023 au Phénix, Scène nationale de Valenciennes, en partenariat avec Le Manège – Scène nationale de Maubeuge, dans le cadre du Festival Next
du 29 novembre au 6 décembre au Théâtre de la Ville – Paris
les 23 et 24 mars 2024 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg

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