Rafaële Giovanola © Thilo Beu

Rafaële Giovanola, une écriture chorégraphique à corps

En ouverture des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, au Théâtre Public de Montreuil, Rafaële Giovanola présente Vis Motrix.

Rafaële Giovanola © Thilo Beu

En ouverture des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, au Théâtre Public de Montreuil, la chorégraphe suisse présente une de ses créations phares, Vis Motrix

© Thilo Beu

Qu’est-ce qui vous inspire ? 

Rafaële Giovanola : C’est toujours un peu différent. Dans le cas de Vis Motrix et toute la série de spectacles que j’ai intitulé « à la recherche du corps impensé », les pièces sont nées de rencontres avec des corps, de partages de pratiques mais aussi d’échanges avec des danseurs, des artistes, des sportifs ou des chercheurs. Tout ce qui concerne le mouvement, surtout s’il émane de personnes non issues de professionnels de la danse, vient nourrir mon écriture, alimente mon processus créatif. Pour cette pièce que je présente au Théâtre Public de Montreuil, tout a commencé par trois semaines de laboratoire avec des breakdancers, des hip-hopeurs, qui dansent en free time. C’est-à-dire que ce n’est pas leur métier, que c’est plutôt un hobby, une passion qu’ils partagent sur leur temps libre. À cette occasion, lors d’une journée, que j’avais ouverte au public, une danseuse de krump est venue nous voir. J’ai trouvé sa manière de bouger passionnante. Sa manière très physique de se mouvoir a été le point de départ de Vis Motrix. Je m’intéresse à la façon dont les corps réagissent face à leur environnement, face à certaines contraintes, à certains événements, à certaines directives. Petit à petit, à partir de ces informations, j’imagine une ligne directrice, une colonne vertébrale. 

Quand vous commencez à écrire, c’est d’abord dans votre tête ou au plateau ?
Vis Motrix de Rafaële Giovanola © Klaus Frolich
© Klaus Frolich

Rafaële Giovanola : au plateau, j’ai besoin de voir les corps en mouvement, de voir comment les figures qui naissent dans ma tête, prennent vie au plateau. Si cela a du sens, si cela fonctionne. Après avec les danseurs, nous travaillons ensemble, nous échangeons. Mes idées viennent nourrir leurs gestuelles et inversement. Quand nous sommes en répétitions, j’essaie de me mettre dans un état d’alerte permanent à la recherche du moment, du déclic qui sera le point d’origine de toute la création. C’est pour ça que je n’ai jamais d’idées préconçues, je travaille à l’instant afin de me laisser porter en toute liberté. 

Vis motrix semble s’inspirer notamment du déplacement des insectes….

Rafaële Giovanola : Oui, apparemment, il y a cette image qui revient toujours. C’est en tout cas le retour que nous fait le public. Ce n’est pourtant pas le point de départ de la pièce. Nous ne nous sommes pas du tout inspirés du mouvement des insectes. Mais il est vrai que plus je regarde la pièce, plus je vois à quoi les spectateurs font référence. C’est très subjectif. Tout est parti de la rencontre avec les breakdancers, de leur habitude gestuelle. Le haut du corps est très rigide, très compact. Par conséquent, quand ils impulsent une rotation, ils penchent souvent vers l’arrière. J’ai trouvé cela passionnant. Par ailleurs, le bas de leur corps est à l’inverse très mobile, comme s’il y avait une déconnexion. Cela me rappelait la valse. On a donc fait plusieurs sessions de travail avec les interprètes sur des valses de Chopin. À chaque exercice, je leur demandais de se pencher encore un peu plus jusqu’à ce qu’ils se retrouvent le dos couché à terre. Une des danseuses a commencé à dodeliner de la tête. J’avais un des motifs de ma chorégraphie. Il a suffi de suivre le fil, d’approfondir tous les mouvements possibles dans cette position assez astreignante, car absolument pas organique. Le corps humain n’est pas fait spontanément pour être ainsi. De là est né l’image d’insecte ou de cyborg. Cela a entretenu le fil conducteur de Vis Motrix et cette notion de danse non humaine et transhumanisme. Ensuite, c’est le travail de mon dramaturge, Rainald Endraß, avec qui j’ai créé la compagnie CocoonDance, de s’en saisir pour écrire les textes autour du spectacle.

Vous évoquez le transhumanisme…

Rafaële Giovanola : En effet, c’est une des thématiques qui irradie le spectacle. Mais ce qui m’intéressait au départ c’est la physicalité très robotique qui se dégage du plateau. Après, avec mon dramaturge, nous avons affiné la manière dont des œuvres comme le Cyborg Manifesto, essai féministe de Donna Haraway, ont influé sur mon écriture. Mais ce n’est pas l’essentiel. Je crée d’abord un mouvement. Les lectures viennent en complément, comme pour ciseler mon travail. 

Vis Motrix ouvre les rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis…
Vis Motrix de Rafaële Giovanola © Klaus Frolich
© Klaus Frolich

Rafaële Giovanola : oui, c’est très excitant, car c’est la première fois que cette pièce est jouée en France. Et je suis très contente de la jouer au Théâtre Public de Montreuil. L’équipe est très chaleureuse et la salle est idéale. Par ailleurs, pour tout créateur, pour toute chorégraphie, c’est important de dépasser les frontières, de se confronter à de nouveaux publics, d’observer leurs réactions. En plus, nous allons avoir un temps d’échanges avec les festivaliers. Je suis très curieuse d’avoir leur retour. Et puis je n’aime pas la routine, j’ai besoin d’être stimulée, de me dépasser tout le temps. 

Depuis, la création de Vis Motrix en 2018, vous avez présenté d’autres créations ? 

Rafaële Giovanola : Oui, quatre pièces pour la compagnie, Body shotsHybridityStandard et Runthrough, et une pour une compagnie d’état. Toutes ces pièces sont vraiment liées à l’importance du mouvement. Et ensuite, la dramaturgie émerge de ces corps, les uns après les autres. 

Avez-vous d’autres création en cours ?

Rafaële Giovanola : je suis en train de travailler sur une nouvelle pièce qui s’intitule Chora et qui sera créée en octobre au Théâtre du Crochetan. Cette fois, elle n’est pas née suite à des rencontres. J’ai eu l’envie de changer de processus, de travailler autrement. Avec Rainald Endraß, nous avons eu l’idée de proposer à nos danseurs de participer à l’écriture, d’être moteur en confrontant leur regard sur le corps et le mouvement. Nous sommes donc tous coauteurs et coautrices de ce spectacle. L’objectif était d’aborder autrement le glossaire gestuel. Le spectacle se construit comme une conversation où le public est intégré à la pièce. Il n’y aura pas de gradins, les spectateurs seront debout, évoluerons dans l’espace scénique et influencerons les mouvements des interprètes. On aimerait donner l’impression qu’on est à l’extérieur, mais dans le théâtre. Ça veut dire qu’on cherche un espace sonore et scénique qui donne cette sensation singulière d’être dehors et dedans en même temps. 

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?

Rafaële Giovanola : C’est que le flux créatif qui m’anime continue à se nourrir encore et encore, que jamais je n’arrête de me remettre en question, que rien ne reste figer. Après avoir obtenu l’an dernier le Faust, récompense allemande en art vivant, c’est d’autant plus important de ne pas s’enfermer dans une routine. Et pour la pièce, qu’elle rencontre le public français….

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Vis Motrix de Rafaële Giovanola
Création 2018
Festival les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Théâtre Public de Montreuil
salle Jean-Pierre Vernant, 
10 place Jean-Jaurès 
93100 Montreuil

chorégraphie de Rafaële Giovanola assistée de Leonardo Rodrigues
par et avec Fa-Hsuan Chen, Martina De Dominicis, Tanja Marin Friðjónsdóttir, Susanne Schneider
musique de Franco Mento
création lumière et scénographie de Gregor Glogowski
costumes de CocoonDance
dramaturgie de Rainald Endraß

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