Théorème / je me sens un cœur à aimer toute la terre d'Amine Adjina, d’après Pier Paolo Pasolini - Mise en scène d'Amine Adjina et d'Émilie Prévosteau - La Compagnie du double © Amandine Besacier

Émilie Prévosteau et Amine Adjina conjuguent Pasolini au temps présent 

Au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française, Émilie Prévosteau et Amine Adjina s’emparent de Théorème de Pier Paolo Pasolini.

Théorème / je me sens un cœur à aimer toute la terre d'Amine Adjina, d’après Pier Paolo Pasolini - Mise en scène d'Amine Adjina et d'Émilie Prévosteau - La Compagnie du double © Amandine Besacier

Au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française, le duo Émilie Prévosteau et Amine Adjina, à la tête de la compagnie du Double, s’empare de l’emblématique œuvre de Pier Paolo Pasolini, Théorème, pour la faire résonner au plus près de l’actualité. Évoquant le repli de nos sociétés occidentales sur elles-mêmes, les deux artistes questionnent notre capacité à aimer. 

Le temps est gris. Devant le théâtre du Vieux-Colombier, les stigmates des grèves des éboueurs sont là et donnent au lieu un air de révolution. À l’intérieur, dans le hall, juste devant l’entrée de la salle, bien rangés, étiquetés, les décors de La Dame de la mer attendent d’être stockés, vestiges du temps qui passe, de la création en marche. Le silence règne. Une fois les portes battantes passées, l’atmosphère est studieuse. La pénombre domine. Quelques lumières éclairent les consoles du son, les pupitres des metteurs en scène, de leur assistant. Sur scène, Alexandre Pavloff et Adrien Simion échangent quelques mots avec Émilie Prévosteau. Depuis quelques jours, l’équipe a intégré le plateau pour la dernière ligne droite des répétitions. Le voyage peut commencer. C’est sur les bords de la méditerranée que le duo d’artistes nous entraîne.

Une villa au bord de l’eau 
Théorème / je me sens un cœur à aimer toute la terre d'Amine Adjina, d’après Pier Paolo Pasolini -  Amine Adjina et Émilie Prévosteau © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

En fond de scène, une immense toile évoque une falaise, des eaux bleues profondes. L’imaginaire s’emballe. Une île grecque, peut-être ? Non, les roches sont trop sombres. Certainement une crique, une calanque du sud de la France. « Quand Éric Ruf nous a proposé de réfléchir à un projet pour la Comédie-Française, raconte Amine Adjinanous avons tout de suite pensé à Théorème de Pasolini. Je vois dans ce texte, le canevas d’un mythe, que l’on peut réinventer, revisiter et adapter au monde qui nous entoure, à l’actualité. Une famille bourgeoise voit débarquer dans son petit monde bien réglé, un garçon qui va chambouler leurs certitudes, bouleverser leurs convictions, attiser leurs désirs. C’est une matière incroyable à malaxer, très stimulante. Je suis donc parti de cette idée qu’un été, dans une maison de vacances, un étranger, invité par la grand-mère, va révéler à chacun leur part d’ombre, réveiller leur personnalité enfouie. »

Après une courte pause, les répétitions reprennent. Au cœur de ce qui ressemble à un salon avec vue sur mer, deux silhouettes échangent quelques mots. Leur connivence ne fait aucun doute. Birane Ba joue le garçon. Claïna Clavaron est Nour, la jeune femme qui s’occupe de la maison et tient compagnie à la Grand-mère, incarnée par Danièle Lebrun. Très vite, ils s’éclipsent par une trappe vers le dessous de la scène. Derrière eux, une ombre apparaît. C’est le petit-fils de la maison. Caméra à la main, Adrien Simion les suit, observe leurs premières caresses, le début de leur intimité. Sur le plateau, les autres membres de la famille font un à un leur entrée. Les convenances sont respectées. La belle-fille (Coraly Zahonero) essaie de faire plaisir à sa belle-mère. Le fils, qui a hérité de l’entreprise familiale, se chamaille gentiment avec sa mère. La petite-fille, une comédienne en devenir, joue les enfants modèles. Mais derrière ce tableau idyllique, des fêlures lézardent la chaleureuse harmonie. 

Aimer toute la terre
Théorème / je me sens un cœur à aimer toute la terre d'Amine Adjina, d’après Pier Paolo Pasolini -  Amine Adjina et Émilie Prévosteau © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française:

Loin d’établir un parallèle, comme beaucoup le font, avec TartuffeAmine Adjina et Émilie Prévosteau se sont intéressés à un autre personnage de MolièreDom Juan. « Ce qui nous a intéressés et qui a été le socle de notre travail, souligne la metteuse en scène, c’est d’une part cette réplique incroyable de Dom Juan « je me sens un cœur à aimer toute la terre », et d’autre part la manière dont le personnage d’Elvire entre en écho avec celui de Nour. Liés avec le monde d’aujourd’hui, où les questions écologiques sont de plus en plus prégnantes, où les êtres se renferment sur eux-mêmes et où la peur de l’autre grandit, nous trouvions passionnant d’essayer de questionner notre capacité à aimer. Est-ce qu’il est possible, comme le fait Dom Juan, d’embrasser le monde ? Rien n’est moins sûr. » 

Journal à la main, Alexandre Pavloff évoque les élections, la possible percée du Rassemblement national et la victoire éventuelle de Marine Le Pen, jamais nommée mais facilement reconnaissable. D’une génération à l’autre, les idées divergent. Les discussions s’enflamment. « Pour écrire cette pièce, explique Amine Adjinaqui n’est pas une adaptation scénique du scénario de Pasolini mais bien une création s’inspirant de son œuvre, je me suis inspiré du climat ambiant. Les incendies de feu de forêt qui ravagent chaque année des hectares entiers de végétation, la montée de l’extrême droite partout en Europe, les tensions sociales qui fragmentent notre société, tout cela irrigue mon propos. »

Les scènes s’enchaînent. Certaines sont revues plusieurs fois afin d’en affiner l’intention, d’ajuster la partition de chacun des comédiens. Passant de la salle à la scène, les deux metteurs en scène ont su, au fil des répétitions, créer un lien avec les comédiens du Français. On sent une belle complicité au plateau. Danièle Lebrun donne des conseils pour percer une oreille avec deux glaçons et une aiguille. Elle amuse la galerie avec malice, gourmandise. Chacun écoute. L’ambiance est bon enfant. Il est temps pour nous de refermer le livre de cette création en devenir. Les extraits auxquels nous avons pu assister sont pleins de promesses. Le 5 avril, dans quelques jours, nous pourrons découvrir la pièce. Émilie Prévosteau et Amine Adjina ont su en tout cas nous mettre l’eau à la bouche !

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Théorème / je me sens un cœur à aimer toute la terre d’Amine Adjina, d’après Pier Paolo Pasolini
Théâtre de Vieux-Colombier
La Comédie-Française
21 rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
du 5 avril au 11 mai 2023

Mise en scène Amine Adjina et Émilie Prévosteau
avec Coraly Zahonero, Danièle Lebrun, Alexandre Pavloff, Birane Ba, Marie Oppert, Claïna Clavaron et Adrien Simion
Scénographie de Cécile Trémolières
Costumes de Majan Pochard
Lumière de Bruno Brinas
Vidéo de Jonathan Michel
Musique originale et son de Fabien Aléa Nicol

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