ADN © Ema Martins

ADN, un spectacle cathartique qui prend aux tripes

Marie Mahé signe avec ADN, un spectacle coup de poing sur une jeunesse en perdition.

ADN de Dennis Kelly - Mise en scène de Marie Mahé © Ema Martins

Pour sa première mise en scène, Marie Mahé a choisi ADN du dramaturge anglais, Dennis Kelly. Un texte qui explore cette part de violence qui peut se cacher en chacun de nous. Un spectacle coup de poing, mené tambour battant.

© Ema Martins

La pièce a été écrite en 2007, mais les sujets abordés, comme le harcèlement, la torture, la destruction, la violence, n’ont rien perdu de leurs actualités. L’histoire est celle d’adolescents partis en forêt. Pour s’amuser, ils s’en prennent à Adam, leur tête de Turc favorite. Le jeu vire au drame, il se tue en glissant dans un trou. Pour s’en sortir, le groupe forme une entente cordiale et invente un coupable. Mais la victime ressurgit, il a survécu. Une seule solution, le tuer pour de vrai.

L’enfance devrait être un pays joyeux

Dans l’œuvre originale, ils sont dix petits monstres. Marie Mahé les a réduits au nombre de quatre. En enlevant l’effet de groupe, elle accentue toute l’horreur de ce dérapage. Cela lui permet également de se concentrer sur les caractères de chacun et sur le processus mis en marche par eux. On ne saura jamais qui ils sont vraiment dans la vie ni comment ils se comportent au sein de leur famille. Ainsi, ils deviennent n’importe quel gamin de n’importe quelle ville ou pays. Leurs attitudes sont juste expliquées par la fascination qu’ils ressentent pour le groupe qu’ils forment. C’est par lui qu’ils existent et se détruisent. L’auteur ne fait intervenir aucun adulte, les laissant ainsi seuls face à leurs actes. Ils jouent aux grands, mais ils ne sont que des sales gosses.

La gêne du singe
ADN de Dennis Kelly - Mise en scène de Marie Mahé © Ema Martins
© Ema Martins

Marie Mahé a situé l’action dans ce qui pourrait être une cours de lycée, froide et sans âme. Toutefois, un tag orne le mur du fond. Il représente, dans des tons rouge sang, le doigt de Dieu tendu vers celui d’Adam. L’allusion au tableau de Michel Ange rappelle que Dieu à créer l’homme à son image ! Mais aussi, comme le souligne Léa, une des participantes au jeu de massacre, l’homme descend du singe. On a cru longtemps que nos cousins étaient les chimpanzés, mais depuis, on y a ajouté les bonobos. Ces deux primates, à l’instar d’un Docteur Jekyll et d’un Mister Hyde, ne se comportent pas de la même manière. Qu’avons-nous donc de commun dans nos gènes ? La bonté, l’empathie, la haine, la destruction ?

À travers le rap, les joggings dont sont habillés les protagonistes, la jeune metteuse en scène inscrit son histoire dans ce qui pourrait être la banlieue. Ce n’est pas anodin, car on le sait qu’aujourd’hui les guerres entre bandes rivales, souvent pour des broutilles, font rage et bien des victimes. La barbarie gagne du terrain chaque jour. Son principe scénique fonctionne très bien. Il situe les personnages dans un no man’s land dans lequel ils cherchent une place.

Les quatre Mousquetaires du mal
ADN de Dennis Kelly - Mise en scène de Marie Mahé © Ema Martins
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Ils étaient trois, deux filles et un garçon, à s’être « amusé ». C’est ainsi qu’ils définissent leurs actions. Ce n’était qu’un jeu ! Il y a John, le meneur. Tigran Mekhitarian (en alternance avec Achille Reggiani) est irrésistiblement drôle en caïd de bas étage totalement dépassé. Cela veut jouer les costauds, mais cela n’en a pas la carrure. D’ailleurs, il s’échappera du groupe pour se tourner vers Dieu. Marie Mahé, impeccable, s’est distribuée le rôle le plus terrible, celui de Cathy, la fille prête à tout pour trouver grâce aux yeux de celui qu’elle admire. Pour être aimé et regarder, cette gamine ordinaire et certainement douce à la maison, accepte l’idée d’aller jusqu’au meurtre. La deuxième, Léa, admirable Léa Luce Busato, est plus subtile. Même si au début, elle est comme les autres, ces failles vont apparaître et faire qu’elle tentera de se rebeller avant de prendre la fuite. Sa danse, sur l’air de Dance Monkey, représentant son abandon, est d’une grande force.

Et puis, il y a le quatrième. Il n’était pas avec les autres. Pourtant, il est le pire. Phil est le camarade charismatique vers qui on se tourne pour trouver les solutions. Le gamin en a dans sa caboche. C’est un manipulateur né. On n’ose même pas imaginer l’adulte qu’il deviendra. Maniant la distance et les silences, ce meneur va entraîner à leur perte ses compagnons ! Et comme il a les mains propres, sa conscience peut aller en paix. Maxime Boutéraon incarne avec brio ce pervers narcissique.

Un bel avenir en prévision

Marie Mahé, que l’on avait découverte comme comédienne au Lucernaire, dans Dom Juan, mis en scène par Tigran Mekhitarian, signe un spectacle d’une grande intensité émotionnelle. S’il comporte quelques défauts, on les lui pardonne, car ils sont ceux de la jeunesse. En tout cas, c’est rondement mené, comme un thriller haletant. Et nous vous conseillons vivement d’y amener vos adolescents ou vos élèves. Ils vont adorer.

Marie-Céline Nivière

ADN de Dennis Kelly.
Théâtre Paris Villette
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris.
Reprise du 23 novembre au 3 décembre 2023.
Les mardis, mercredis, jeudis, samedis à 20h, dimanche 3 déc. à 15h.
Durée 1h15.


Théâtre de la Tempête – Salle Copi.
Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre
75012 Paris.
Du 2 au 19 mars 2223.
Du mardi au samedi à 20h30, dimanche 16h30.
Durée 1h15.

Traduction de Philippe Le Moine.
Adaptation et mise en scène de Marie Mahé.
avec Maxime Boutéraon, Léa Luce Busato, Marie Mahé, Tigran Mekhitarian en alternance avec Achille Reggiani.
Scénographie de Marie Mahé et Isabelle Simon.
Costumes de Marie Mahé.
Lumières d’Édith Biscaro.
Peinture d’Ymanol Perset.
Texte publié à L’Arche éditeur.

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