Catania Catani d'Emilio Calcagno © FEN Photography

Emilio Calcagno fait souffler un vent de Sicile sur Sète

Au théâtre Molière – scène nationale archipel de Thau, Emilio Calcagno revient sur les terres de son enfance, 27 ans après les avoir quittées, pour dresser un double portrait sans concession de son île, de son pays.

Catania Catani d'Emilio Calcagno © FEN Photography

Au théâtre Molière – scène nationale archipel de Thau, le chorégraphe originaire de Catane revient sur les terres de son enfance, vingt-sept ans après les avoir quittées, pour dresser un double portrait sans concession de son île, de son pays. Attention, les yeux, ce diptyque sicilien est une bombe à fragmentation tant chorégraphique que politique ! 

Dans la cadre de la semaine Sicilia Nostra, imaginée par Sandrine Mini, directrice de la Scène nationale archipel de Thau, Émilio Calcagno, tout comme sa compatriote Emma Dante avec Misericordia et Ballarini, présente deux pièces portées par sa compagnie ECO, Catania Catania, crée en 2017 et L’Isola fin 2019, juste avant la crise sanitaire. Toutes deux font référence à l’île de son enfance. Après vingt-sept ans loin de Catane, le chorégraphe, nommé depuis un peu plus d’un an à la tête du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, ancien danseur du Ballet Preljocaj, retourne aux sources, au pieds de l’Etna, règle ses comptes, se délivre de ses fantômes, de ses conflits intérieurs, pour enfin, apaisé et serein, dire son attachement à cette terre de contrastes, fière, troublante, violente, sensuelle… envoûtante.

Œuvre volcanique 
L'Isola d'Emilio Calcagno © Daniele Salaris

Sur la scène du théâtre à l’italienne de Sète, six danseuses et trois danseurs s’affairent, indifférents au public qui s’installe. L’une déguste une orange, un deuxième propose à ses comparses une tasse de café, un ristretto pour sûr, pendant qu’un suivant enlève son pantalon, bientôt rejoint par tous les autres. Imperceptiblement, le voyage a déjà commencé. La Sicile déborde du plateau, s’instille un peu partout dans la salle. Derrière les pendrillons noirs, on imagine des oliviers, des villages où rien n’aurait bougé depuis des siècles, posés sur des promontoires escarpés, et une odeur de fleur d’oranger enivrante. Les mots en italien, tirés de l’entretien du fils de Totò Riina par Bruno Vespa, déferlent des enceintes, ne laissant aucune place au silence. Dans ce bordel, ce bouillonnement tantôt joyeux, tantôt effrayant, des images émergent. Traversées par la partition électro pop de Pierre Le Bourgeois, itérative, entêtante, les individualités se fondent dans la masse, dans la troupe. Une ronde s’organise. Jeux de hanches, jambes tendues, bras pliés, dépliés, réminiscences de danse traditionnelle, de tarentelle, l’impression fugace que derrière le foutoir apparent se dessine une histoire intime et universelle, celle d’une Sicile baroque, balayée par les vents, d’une insularité étouffante où omertà, mafia, patriarcat, religion oppressante, coutumes immuables et loi du talion corsètent une société que l’on perçoit bouillonnante, altière, patriote et totalement discordante. Au rythme d’un volcan qui refuse de s’éteindre, Emilio Calcagno lâche la bride à ses rancœurs, ses blessures d’adolescent, tire à vue, libère son écriture, inonde le plateau de sa grammaire très dansée, très fiévreuse, très saccadée, conjuguant habilement néo-classique, contemporain et gestuelles du quotidien. S’appuyant sur la fougue de ses neufs interprètes, pour la plupart italiens, il signe une œuvre foutraque, protéiforme, inclassable, sorte de grand cri d’amour à ce pays de cocagne où les contraires cohabitent, où la violence des rapports laisse entrevoir dans quelques interstices, derrière les immondices qui se sont accumulés plus d’une heure durant sur les planches, joie, folie, jouissance et passion.

Inquiétante vague brune
L'Isola d'Emilio Calcagno © Daniele Salaris

Une heure plus tard, retour en salle, et le plateau, entièrement nettoyé, laisse place à une tout autre ambiance. Les couleurs chatoyantes d’une Catane fantasmée et fantasmagorique, ont laissé place au noir, celui du deuil, de la triste destinée d’une Italie en proie à ses démons fascistes. Crée en 2019, et retravaillée 3 semaines durant pour l’actualiser, L’Isola a tout d’un chant prémonitoire, d’une danse annonciatrice d’un drame que beaucoup ont refusé de voir venir. Avec l’accession au pouvoir en octobre dernier de Giorgia Meloni, membre du parti italien d’extrême droite, le doute n’est plus permis. Le pays se replie sur lui-même. La société se sclérose. La corruption gangrène les institutions. Les riches pleins de morgue font la nique au pauvre. Le sublime chœur des esclaves, extrait du Nabucco de Verdi, ne suffira pas à enrayer cette machine infernale qui fait de l’autre, celui qui est différent, un étranger, et qui dénie l’asile au migrant. Terriblement sombre, la prophétique Isola d’Emilio Calcagno touche en plein cœur. Affirmant une écriture faite de passion, de désir, une danse éclectique, compulsive, ancrée dans le sol, le chorégraphe affine sa plume en geste précis, politique, radical. Sa troupe au diapason habite la scène et brûle les planches. Frappé par un direct du droit, le public sort K.O. de ce portrait en miroir d’une Sicile belle, rebelle, dissonante, en proie au chaos. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Sète 

Catania Catania & L’Isola d’Emilio Calcagno
Théâtre Molière Sète – scène nationale archipel de Thau
Avenue Victor Hugo
34200 Sète

Catania Catania : 1h15
Entracte de 1h15
L’Isola : 1h

Chorégraphies d’Emilio Calcagno
Lumière d’Hugo Oudin
Création sonore de Pierre Le Bourgeois
Photographies, vidéo de Daniele Salaris
Avec Coralie Meinguet, Annalisa Di Lanno, Giovan Francesco Giannini, Giulia Di Guardo, Ilyes Triki, Luigi Villotta, Rozada Zangri, Amalia Francesca Borsellino, Flaminio Galluzzo, Greta Martucci, Gloria Pergalani

Crédit photos © Daniele Salaris

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