Le Roi Lear de Shakespeare - Mise en scène de Thomas Ostermeier - © Jean-Louis Fernandez, coll Comédie-Française

Au Français, le Roi Lear court après Shakespeare

Salle Richelieu, Thomas Ostermeier ouvre la saison en confrontant une nouvelle fois, la troupe de la Comédie-Française à l’œuvre du dramaturge anglais et fait entrer le Roi Lear au répertoire.

Le Roi Lear de Shakespeare - Mise en scène de Thomas Ostermeier - © Jean-Louis Fernandez, coll Comédie-Française

Après le choc de La Nuit des rois en 2018, le metteur en scène allemand, Thomas Ostermeier, adapte Le Roi Lear, fait entrer l’œuvre au répertoire, mais passant du vers à la prose, perd tout le souffle épique, tragique de la poésie shakespearienne. 

Lear est fatigué par le pouvoir, le poids de la couronne. Conscient sa décrépitude, il décide de partager son royaume entre ses trois filles, l’ainée, la perfide Goneril, la cadette, la cruelle Regan et la benjamine, la douce et préférée Cordelia. Dans un dernier sursaut d’orgueil, il décide d’éprouver leurs sentiments filiaux. Celle qui par ses mots saura le flatter, lui prouver la force de son amour et acceptera sans sourciller de s’occuper de lui et de sa suite, obtiendra la plus grosse part. À ce jeu de la flagornerie, de l’hypocrisie, les deux premières sont maîtresses. La dernière, malheureusement, est trop honnête, trop sincère. Reniée, elle fuit l’Angleterre pour trouver refuge après de son futur époux, le Roi de France, le seul à avoir vu juste dans ce bal de dupes.

La folie comme refuge 

Le Roi Lear de Shakespeare - Mise en scène de Thomas Ostermeier - © Jean-Louis Fernandez, coll Comédie-Française

Confronté à sa pire erreur de jugement, à de douloureux éclairs de clairvoyance, à ses regrets, Lear perd pied, fuit la triste réalité de son échec, s’enfonce chaque jour, un peu plus dans une folie agitée. Errant dans une lande noire, stérile, en compagnie de son impertinent et lucide fou, l’homme fait corps avec la nature hostile, se confond avec les éléments déchainés, devient tempête furieuse, orage ravagé. L’apocalypse est proche. Le feu royaume de l’ex-monarque est au bord du chaos. Guerre « soricide », amours blessées, aliénation des esprits calculateurs, concourent aux désastres. L’âme pure de Cordelia suffira-t-elle à empêcher le drame ?

En quête de Shakespeare 

Avec cette sixième incursion dans l’œuvre du dramaturge anglais, Thomas Ostermeier continue à explorer les coulisses du pouvoir, les tragédies qui s’y tapissent, les vilénies qui s’y fomentent. En s’emparant du Roi Lear, pièce écrite entre 1603 et 1606, er s’inspirant à la fois de la mythologie celtique et de L’arcadie de Sir Philip Sidney, le directeur de la Schaubühne de Berlin ne s’intéresse pas tant à la mort, qu’à la vieillesse, au déclin qui la précèd. Focalisant sa mise en scène sur l’amour presque marital du père pour ses filles, sur les errances de Lear, la duplicité des mal-aimés, il place l’action au cœur d’un désert sombre, d’une friche dont rien de bon ne peut sortir. Afin de donner un coup de jeune à la pièce, d’en lifter les grandes lignes, de la faire entrer au répertoire du Français dans une version plus contemporaine, plus limpide, il a demandé à Olivier Cadiot, déjà à l’œuvre sur La Nuit des rois, de lui proposer une nouvelle traduction. Bien mal lui en appris. Estimant que les vers élisabéthains trop emphatiques et trop difficilement adaptables à notre langue, il s’est affranchi de la poésie pour mouliner le texte en prose. L’idée aurait pu être bonne, si l’ensemble ne tombait pas par endroit dans une forme de trivialité. Malheureusement, n’est pas Shakespeare qui veut. Faute du souffle épique, tragique et lyrique de l’original, ce Roi Lear perd de sa superbe. Adresses au public et autres galéjades, certes brisent le fameux quatrième mur, mais ne suffisent pas à retenir l’attention. 

Une troupe dans le feu de la salle 
Le Roi Lear de Shakespeare - Mise en scène de Thomas Ostermeier - © Jean-Louis Fernandez, coll Comédie-Française

Reprenant la coursive centrale qui traverse la salle comme dans sa dernière création au Français, Ostermeier amène les comédiens au plus près du public. Presque palpable, la troupe virtuose s’en donne à cœur joie, habite les personnages, les drape de leur folie, de leurs mensonges, de leur félonie. Troublant Roi Lear, Denis Podalydès insuffle gravité au vieil homme errant. Jennifer Decker irradie la scène de sa rancune, de sa cruauté. Noam Mongenszten est épatant en frère bafoué, en fou éclairé et philosophe.  La jeune recrue du Français, Claïna Claveron se glisse avec retenue et grâce dans la peau de Cordelia. Une vraie révélation ! Le reste de la distribution n’est pas en reste faisant son possible pour redonner à ce Lear en manque de paternité, un peu d’élan homérique …

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Le Roi Lear de William Shakespeare
Salle Richelieu
Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris
Jusqu’au 26 février 2022
Durée 2h40 sans entracte

Le spectacle sera en direct dans les cinémas Pathé le 9 février 2023 et en rediffusion à partir du 26 février 2023.

Adaptation de Thomas Ostermeier & Élisa Leroy 
Traduction d’Olivier Cadiot 
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène – Élisa Leroy 
Avec Éric Génovèse, Denis Podalydès, Stéphane Varupenne, Christophe Montenez, Jennifer Decker, Noam Morgensztern, Julien Frison en alternance avec Gaël Kamilindi, Marina Hands, Claïna Clavaron, Séphora Pondi, Nicolas Chupin, Henri Deléger en alternace avec, Arthur Escriva et Noé Nillni
Scénographie et costumes de Nina Wetzel 
Lumière de Marie-Christine Soma 
Vidéo de Sébastien Dupouey 
Musiques originales de Nils Ostendorf 
Réglage des combats – Jérôme Westholm 
Assistanat à la scénographie – Zoé Pautet 
Assistanat aux costumes de Magdaléna Calloc’h 

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie -Française

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com