Johanna Nizard © DR

Johanna Nizard : dans le souffle, l’âme de Lorca

Du TNN aux Bouffes du Nord, en passant par entre autres le Grand R, Johanna Nizard incarne les filles de Bernarda Alba dans Andando Lorca 1936 de Daniel San Pedro.

Dans la pièce chantée Andando Lorca 1936, présentée aux Bouffes du Nord, Daniel San Pedro confie à Johanna Nizard le devenir rebelle d’une des filles de La Maison de Bernarda Alba. Aux côtés d’Aymeline Alix, Audrey Bonnet, Camélia Jordana et Estelle Meyer, avec sa voix grave et son parler franc, la comédienne d’origine niçoise donne vie à cette âme indomptable au rythme des compositions chaudes de Pascal Sangla. Dans les loges des Bouffes du Nord, cette « église » de théâtre, comme elle aime à le décrire, la comédienne incandescente nous parle de cette création chorale, des âmes libres et de la trace des grandes icônes.

Comment le travail sur la pièce se passe-t-il ?

Andando Lorca 1936 de Daniel San Pedro. Johanna Nizard © Juliette Parisot

Johanna Nizard : Ce n’était que de la joie. Pascal Sangla a vraiment écrit la musique pour chacune d’entre nous. On voit bien les mondes différents parce qu’il a vraiment travaillé avec nos différences. Et autant Pascal a composé pour nous, autant Daniel a créé pour chacune un monde à traverser, à transpercer et à faire entendre. On a du sur-mesure, mais avec les mots incroyables d’âpreté, de solitude et de beauté de Lorca.

Comment travaille-t-on une pièce chantée telle que celle-ci ?

Johanna Nizard : On travaille l’endroit le plus chaud de soi. Pascal Sangla nous a guidées comme un chef. Il nous disait : tout va bien, si tu n’as pas envie de chanter, alors tu parles. Donc d’un coup, tu te dis : « Ah bon, je peux parler ? Alors je vais tenter de chanter ! » Et tout ce qui est autre que jouer, j’aime le faire, parce que ça me déplace.

Vous jouez quand même un des personnages les plus rebelles de la pièce : elle a son humour impertinent, elle se travestit, elle prend les armes… Est-ce que ça vous ressemble ?

Andando Lorca 1936 de Daniel San Pedro. Johanna Nizard © Jean-Louis Fernandez

Johanna Nizard : Oui, je me reconnais bien dans ce personnage. Je crois toujours à la multitude de soi, et je crois que la figure que je propose là, cet androgyne un peu étrange et trouble, c’est aussi une part de Lorca. Son homosexualité, qui a été très critiquée, dangereuse même…

Qu’est-ce que ça signifie, pour vous, cette idée d’imaginer un après à la Maison de Bernarda Alba ?

Andando Lorca 1936 de Daniel San Pedro. Johanna Nizard © Jean-Louis Fernandez

Johanna Nizard : L’enfermement et le conditionnement ne peuvent créer que des catastrophes et des traumatismes terribles. Ce besoin de liberté fait écho à tout ce que l’on vit aujourd’hui. Je ne parle même pas de crise sanitaire : je pense que la société dans laquelle on vit produit aussi un enfermement dans des identités, des cases. Et dans ce contexte, le poème nous donne toutes les possibilités d’accéder à la liberté. L’art et la culture œuvrent à faire que la cage thoracique se déploie, et que l’on soit plus ouvert, davantage aux aguets. La Maison de Bernarda Alba raconte ce besoin vital. La femme que je joue est concrète et engagée. En regard de toutes les planètes invitées — Estelle Meyer, Audrey Bonnet, Camélia Jordana, Aymeline Alix, cela crée une vraie harmonie.

Vous avez pensé au duende, cette âme espagnole presque ineffable dont l’idée fut si chère à Lorca ?

Johanna Nizard : Il me hante, le duende. Le texte de Lorca, Jeu et théorie du duende, m’a bouleversée quand je l’ai découvert, et me travaille depuis vingt ans. J’ai une grande passion pour la tauromachie, pour ce monde-là et son rapport au présent, à la seconde. Le duende, appelle à quelque chose d’inconnu en soi, et au fait d’être là. Il n’y a pas de demi-duende. Tu es dans la lucarne ou tu n’y es pas. Et tu sais au niveau du corps qu’il se passe quelque chose. J’y pense toujours : être au bon endroit, dans le bon rapport à ta voix, ton corps…

En Avril, vous serez à nouveau à l’affiche de Surexpositions, à la Cour des Trois Coquins de Clermont-Ferrand. Une pièce construite autour de la figure de Patrick Dewaere…

Surexpositions de Marion Aubert. Mise en scène de Julien Rocha. Johanna Nizard © OFGDA

Johanna Nizard : Écrite par Marion Aubert, une immense autrice ! Elle est folle, c’est une sorcière, une grande jazzwoman de l’écriture comme il est rare d’en rencontrer. Elle se sert de la figure de Patrick Dewaere pour questionner l’endroit du jeu, de l’acteur, de la presse et du regard.

Dewaere, Lorca : les deux pièces rendent hommage à de grandes figures du cinéma et du théâtre, respectivement. Est-ce qu’il y a besoin de passer par les icônes, les influences du passé pour créer au présent ?

Surexpositions de Marion Aubert. Mise en scène de Julien Rocha. Johanna Nizard © OFGDA

Johanna Nizard : Chez les grands artistes, il y a une urgence de vivre. Et cette nécessité peut produire des choses immenses, jusqu’à en crever. Aller jusqu’à l’extrême m’intéresse beaucoup. À l’inverse, les frontières, les règles, ça me donne envie de prendre les voiles — celles des auteurs, des grands musiciens… « J’aimerais entendre, en ce moment, le bruit de chaînes de tous les navires qui lèvent l’ancre sur toutes les mers » : cette citation de Lorca dit cela.

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban

Andando Lorca 1936 de Daniel San Pedro
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, Boulevard de la Chapelle
75010 Paris

Le 24 février au Grand R — Scène Nationale de La-Roche-Sur-Yon

Textes de Federico García Lorca
Mise en scène, adaptation et traduction Daniel San Pedro
Composition et direction musicale Pascal Sangla
Chorégraphie Ruben Molina

Scénographie d’Aurélie Maestre
Costumes de Caroline de Vivaise
Lumières d’Alban Sauve
Création sonore de Jean-Luc Ristord
Maquillages et coiffures de David Carvalho Nunes
Assistant à la mise en scène – Guillaume Ravoire
Assistante scénographie – Clara Cohen
Assistante costumes – Magdalena Calloc’h

Avec Aymeline Alix, Audrey Bonnet, Camélia Jordana, Estelle Meyer, Johanna Nizard
Et les musiciens Liv Heym Violon (solo improvisé), Pascal Sangla, Donia Berriri Piano (en alternance)
M’hamed el Menjra Guitare, luth (solo improvisé), percussions, contrebasse

Crédit photos © DR, © Juliette Parisot, © Jean-Louis Fernandez et © OFGDA

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