Philippe Saire fait danser les Orphelins de Dennis Kelly

À l’Arsenic de Lausanne, Philippe Saire s’empare à corps perdu du thriller familial de Dennis Kelly et signe un huis-clos qui conjuguedanse et théâtre.

À l’Arsenic de Lausanne, Philippe Saire s’empare à corps perdu du thriller familial de Dennis Kelly et signe un huis-clos qui conjugue habilement danse et théâtre. Explorant à chacune de ses œuvres, toujours un peu plus la physicalité de ses acteurs, le chorégraphe suisse donne au texte profondeur et étrangeté. Un travail au cordeau.

Au cœur d’un quartier marqué par son passé industriel, aux allures de friche urbaine so « arty », l’Arsenic, bâtiment noir, sombre, se distingue des autres scènes lausannoises par sa programmation hétéroclite tournée vers la création contemporaine, la recherche, la prise de risque formelle et l’engagement artistique. Avec sept salles et un bar, le lieu convivial favorise les rencontres entre les artistes et le public. En ce jour de rentrée théâtrale, curieux et habitués sont venus découvrir la nouvelle pièce de Philippe Saire, un huis-clos perfidement vénéneux.

Un décor immaculé

Orphelins de Dennis Kelly. Mise en scène de Philippe Saire. Arsenic. © Philippe Weissbrodt

Chez Helen (troublante Valéria Bertolotto) et Dany (étonnant Adrien Barazzone), couple de trentenaires bien sages, bien proprets, tout est blanc, immaculé. L’important est d’être dans le rang, la norme. Ce soir, cependant, c’est jour de fête. L’annonce d’une nouvelle maternité est l’occasion de mettre un peu de couleur dans un monde aseptisé, sans saveur. Vin blanc pour monsieur, robe criarde pour madame, premier fils chez belle-maman, il faut savourer l’instant, se laisser porter, flirter avec l’ivresse, une douce folie tout à fait mesurée. Il ne faudrait pas sortir du cadre qui les maintient à flot. Mais on est chez Dennis Kelly, rien n’est comme il paraît, un grain de sable vient enrayer la belle mécanique. L’idyllique tableau s’écaille, se craquèle imperceptiblement.

Mensonges et préjugés

Orphelins de Dennis Kelly. Mise en scène de Philippe Saire. Arsenic. © Philippe Weissbrodt

Couvert de sang, Liam (exalté Yann Philipona), le frère d’Helen, fait une entrée fracassante dans le salon. Il n’était pas attendu dans l’intimité ouatée du couple. Après tout, il a les clés, il est comme chez lui. Son air apeuré, sa dégaine, tout questionne. Entre suspicion et incrédulité, entre foi aveugle et doute, la vérité crue, violente, implacable que l’irréparable a été commis, qu’un drame abominable a eu lieu, fait jour faisant voler en éclat les certitudes, les fondements d’une famille en apparence tranquille.  Questionnant le lien très particulier qui unit deux orphelins, le dramaturge anglais entraîne ses personnages vers un point de non-retour.

Le mouvement comme échappatoire

Orphelins de Dennis Kelly. Mise en scène de Philippe Saire. Arsenic. © Philippe Weissbrodt

En adaptant ce thriller féroce de KellyPhilippe Saire, dont l’Angels in America a cet été à Avignon était une belle découverte,  ne cherche pas tant à coller à la réalité qu’à donner vie aux émotions qui tiraillent, secouent les corps des trois protagonistes. Derrière les mots, dits avec un rythme syncopé, haché, les mouvements saccadés, les gestes sur-expressifs, révèlent les pensées secrètes, les véritables intentions, les idées sombres qui traversent les âmes de chacun. Saisissant l’attention du public en permanence sur le fil du rasoir, le chorégraphe signe un spectacle total, puissant et terriblement noir. Dans cette descente aux enfers, rien n’est laissé au hasard, tout est étudié pour que chaque nouvelle pièce de ce puzzle fatal, funeste, fasse surgir la nature sombre des personnages, leur triste réalité.

Art total

Avec Orphelins, Philippe Saire affine sa maîtrise profonde du théâtre du corps, sa capacité à dépasser le texte grâce à une matière chorégraphique parfaitement ciselée. Dirigeant ses acteurs avec précision, leur faisant prendre conscience de l’importance de leur corps, il fait mouche et insuffle à la pièce de Kelly une dimension tragique, charnelle d’une belle intensité.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lausanne

Orphelins de Dennis Kelly
Traduction Philippe Le Moine, publié et représenté par l’Arche – éditeur et agence théâtrale
Arsenic – Centre d’art scénique contemporain
Rue de Genève 57
1004 Lausanne
Jusqu’au Dimanche 3 octobre 2021
Durée 1h50 

Tournée
Comédie de Genève
du 20 au 24 octobre 2021

Mise en scène et chorégraphie de Philippe Saire assisté de Chady Abu-Nijmeh 
avec Valéria Bertolotto, Adrien Barazzone, Yann Philipona, un enfant 
Dramaturgie de Carine Corajoud 
Lumière d’Eric Soyer 
Scénographie de Philippe Saire 
Création sonore de Jérémy Conne
Costumes d’Isa Boucharlat 
Maquillage de Nathalie Monod 
Conseil image d’Anne Peverelli

Crédit photos © Philippe Weissbrodt

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