Les Imprudents d'Isabelle Lafon. Marguerite Duras. Printemps des Comédiens

Isabelle Lafon ravive avec finesse, tendresse la face cachée de Duras

Au printemps des Comédiens, théâtre d'O, Isabelle Lafon invite à rencontrer Marguerite Duras, non l’auteure, mais l’intervieweuse.

Au printemps des Comédiens, théâtre d’O, Isabelle Lafon invite à rencontrer Marguerite Duras, non l’auteure, mais la militante, la journaliste, l’intervieweuse, celle qui est allée à la rencontre des mineurs du Nord de la France dans les années 1970. Un portrait drôle et intime de la scandaleuse.

Après la touffeur du week-end dernier, un vent frais souffle sur la pinède du Domaine d’O. En ce milieu d’après-midi, quelques personnes profitent de l’ombre, installées aux tables disposées non loin du théâtre Jean-Claude Carrière. Pour rejoindre le théâtre d’O, il faut traverser tout le parc, longer le château, passer au travers du jardin à la Française. La balade est agréable. Tout le long du chemin, on rencontre quelques badauds, des joggers motivés par l’approche de l’été, des mères de famille et leurs enfants. 

Travail au plateau 
Les Imprudents d'Isabelle Lafon. Marguerite Duras. Printemps des Comédiens © Printemps des Comédiens

Devant le bâtiment moderne qui abritent deux salles de théâtre, un attroupement attend que les spectateurs venus voir l’intéressant Studio Stendhal imaginé par Frédéric Borie, sortent, pour à leur tour pénétrer à l’intérieur. Sur scène, une longue table, couverte de papiers, de livres, de verres d’eau, et un piano noir servent d’unique décor. Ce n’est pas à une pièce de théâtre ordinaire qu’on assiste, mais plutôt à une séance de travail. Isabelle Lafon et ses comédiens, Johanna Korthals Altes et Pierre-Félix Gravière, investissent le plateau. Ils échangent des regards complices. En quelques mots, la metteuse en scène plante le décor, parle de leur connivence, de leur liens étroits, de leur coups de gueule, de leurs mauvais caractère. Les répliques fusent, les anecdotes amusent. Imperceptiblement, le spectacle a commencé.  

Duras or not Duras

Le point de départ de leur interrogation est simple, doit-on faire un spectacle sur Duras ? Est-ce que tout n’a pas déjà été dit sur la scandaleuse, l’auteure de L’Amant ? Reste-t-il des zones inexplorées de sa vie ? Passant du coq à l’âne, des promenades au bois de Vincennes de Margo, setter Lemon de neuf mois, des discussions d’Isabelle Lafon avec les autres propriétaires de chiens, de cet impératif éducatif de rentrer dans le rang, de ne pas faire de vague, de ne pas contrarier les autres, se dessinent en filigrane des traits de caractères, des images, des impressions rappelant une Marguerite Duras, intime, moins connue du grand public. 

Les vertiges de la pensée
Les Imprudents d'Isabelle Lafon. Marguerite Duras. Printemps des Comédiens © Printemps des Comédiens

Avec une virtuosité, une aisance, les trois artistes changent de peau, évoquent les mineurs de Harnes, les stripteaseuses de Pigalle, les enfants placés dans un foyer des Yvelines, les habitués de la rue Saint-Benoit, des hommes de sa vie, tous ceux qui ont croisé la route de Duras, la femme, celle qui s’intéresse aux autres, qui questionne le monde, qui est communiste dans l’âme non le parti, mais bien le courant de pensées. Au fil des digressions, des différentes saynètes qui s’enchainent joliment, savoureusement, on découvre un autre visage moins revêche, une autre personne qu’on se prend à aimer, à vouloir rencontrer. 

Duras lumineusement ressuscitée

En donnant à son spectacle, le titre du premier roman de Duras, Isabelle Lafon creuse entre les lignes, cherche à convoquer au plateau bien plus que l’insupportable, sectaire, humaine, géniale et mythique écrivaine. Elle fait bien plus que cela. Elle lui insuffle la vie avec un densité bouleversante, généreuse, troublante. Elle donne au fantôme qui hante le plateau, un nouveau corps, une âme. Tout se confond entre rires et larmes, entre passé et présent, entre rêves et réalités. Saisi, captivé, le public se laisse emporter par la tornade Duras, savoureusement ciselée par la metteuse en scène et comédienne, qui déploie avec légèreté, facilité une palette de jeux incroyable. Que dire de plus, à part Bravo ! Bravo Isabelle de continuer à rêver, à nous faire partager cette tendresse, cette finesse qui fait de vous une si formidable artiste !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial de Montpellier

Les Imprudents d’Isabelle Lafon
Printemps des Comédiens
Domaine d’O – Théâtre d’O
Les 18 et 19 juin 2021 à 19h30

d’après les dits et écrits de Marguerite Duras
Conception et mise en scène d’Isabelle Lafon
Écriture et jeu de Pierre-Félix Gravière, Johanna Korthals Altes et Isabelle Lafon
Assistante à la mise en scène - Jézabel d’Alexis
Lumière de Laurent Schneegans

Crédit photos © Printemps des Comédiens

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