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Hillel Kogan, chorégraphe des maux

Chorégraphe deWe love arabs, Hillel Logan revient sur cette extraordinaire expérience.

Après son passage remarqué en Avignon l’été dernier, Hillel Kogan présente pour trois dates exclusives sa pièce phare We love arabs au Théâtre Sylvia Monfort, avant de faire l’ouverture de saison en septembre 2017 au théâtre du Rond-Point. Rencontre avec un chorégraphe singulier, engagé.

Né à Tel Aviv en 1974, de parents ayant quitté l’Union soviétique deux ans plus tôt, le danseur israélien est, depuis 2005, assistant chorégraphe de Ohad Naharin et, à ce titre, travaille comme directeur de répétition avec le Batsheva Ensemble. Membre actif des communautés de danse israélienne et internationale en tant que chorégraphe indépendant, auréolé de plusieurs distinctions et récompensé par plusieurs prix prestigieux, il est actuellement directeur des Programmes éducatifs et directeur artistique de la série de spectacles «Batsheva Hosts» au sein de la Batsheva Dance Company.

Quel a été votre parcours d’artiste ?

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Hillel Kogan : J’ai commencé la danse dès mon plus jeune âge. Très vite, elle a fait partie de mon parcours éducatif. Au début des années 1990, j’ai obtenu un diplôme du département de théâtre du lycée pour les arts. Ensuite, j’ai suivi les études au sein du studio de danse Bat Dor à Tel Aviv puis au studio Merce Cunningham à New York, grâce à une généreuse subvention de la Fondation culturelle américano-israélienne. Très vite, j’ai intégré différentes compagnies internationales dont la Bikurei Machol, le Batsheva Ensemble, la Nomades Dance Company de Suisse et le Ballet Gulbenkian du Portugal. Bien que souvent à l’étranger, j’ai toujours continué à m’intéresser à la vie artistique israélienne. J’ai ainsi, soit en tant que danseur ou que chorégraphe, travaillé avec de nombreuses compagnies indépendantes, ainsi qu’avec la Batsheva Dance Company. De 2005 jusqu’à l’été dernier, j’ai été l’assistant-chorégraphe de Ohad Naharin au sein du Batsheva Ensemble. Avec lui, j’ai appris à développer la méthode de danse baptisée « Gaga », qui base la mise en mouvement de l’être sur l’écoute du corps et des émotions. Parallèlement à cela, j’enseigne cette méthode, ainsi que d’autres types chorégraphiques du répertoire contemporain à travers le monde, et notamment à la Carte Blanche en Norvège, au Gauthier Dance en Allemagne, à l’IT Danza en Espagne et au Srtut en Australie. Je donne aussi des cours de danse à des étudiants de premier cycle de l’Académie de musique et de danse de Jérusalem. Passionné par mon métier, aimant partager mes expériences, je rédige aussi des articles sur la danse dans le magazine israélien en ligne Maakaf et dans le trimestriel Machol Achshav.

Depuis quand écrivez-vous des pièces chorégraphiques ?

Hillel Kogan : Je crée des œuvres de danse depuis 1996. Les neuf premières années, je me suis surtout concentré sur de créations courtes. Il m’a fallu du temps pour développer ma grammaire, mon vocabulaire chorégraphique. J’ai aussi été pas mal sollicité pour des pièces « sur commande ». J’ai ainsi travaillé en tant que chorégraphe indépendant pour le Ballet national du Portugal, pour la Muza Dance Company, pour le Festival Shades of Dance au Suzanne Dellal Center de Tel Aviv, ainsi que pour d’autres compagnies de nationalités différentes. En 2011, j’ai signé mon premier ballet long, intitulé The Rite of Spring. Puis, en 2013, j’ai créé We Love Arabs, qui a reçu plusieurs prix et m’a valu une reconnaissance internationale. Depuis, ce spectacle, qui me tient particulièrement à cœur, tourne dans le monde entier. Il est diffusé en trois langues : hébreu, anglais et français. En 2015, j’ai été nommé par le ministère de la Culture comme co-directeur artistique du Festival Curtain Up, un important festival de danse en Israël.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au rapport entre Israël et Palestine dans votre spectacle « We love Arabs » ?

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Hillel Kogan : Je crois que le contexte sociopolitique en Israël est tel qu’en tant qu’artiste, cela me touche, me déprime. J’avais besoin de réagir, de créer autour de cette question fondamentale qui, tous les jours, ébranle et questionne mon pays. J’ai voulu aborder ce sujet avec beaucoup d’autodérision, montrer l’absurdité, l’impasse dans laquelle on se trouve. J’ai donc pensé à faire une parodie sur l’art politique et ses clichés. Je suppose qu’en raison de cette situation si particulière à Israël, je voulais aborder le sujet du racisme banal et quotidien. Au début, je pensais que la pièce porterait sur ce qu’est un mouvement arabe et ce qu’est un mouvement juif. Je voulais dénoncer cette posture jusqu’à l’aberration, en faire l’antithèse comme s’il y avait deux façons de se déplacer :  comme un arabe, comme un juif. un peu comme la théorie de la race, que je voulais appliquer à la danse. Durant le processus de création, ma posture a évolué, j’ai changé d’avis et j’ai décidé que le morceau porterait plutôt sur la façon dont un Juif regarde un arabe, et comment l’Orient et l’Arabe est vu, perçu, à travers les yeux de la personne occidentale, en particulier le blanc, Israélien juif et de gauche.

Pourquoi est-il aussi important pour toi de traiter ce sujet avec autodérision ?

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Hillel Kogan : Habituellement, lorsque l’art israélien (théâtre, littérature, arts visuels, cinéma) traite du conflit israélo-arabe, il le fait d’une manière très émotionnelle, réfléchie et dramatique. Bien évidemment, il est naturel de prendre ce sujet au sérieux. Je voulais l’aborder différemment. J’avais besoin de parler avec humour des relations délicates entre nos deux peuples et surtout du racisme sous-jacent qui en découle.  Ma pièce est une satire et une parodie sur la gravité du discours politico-artistique, parce que la réalité entre les ethnies en Israël est si violente et douloureuse, parce que le discours politique et ethnique est chargé de beaucoup d’émotions si lourdes de sens que cela finit par nous rendre un peu aveugles, par masquer à la réalité. L’approche comique nous permet d’examiner les questions avec moins d’émotions pesantes, avec moins de lourdeur. Et le plus important, cela offre l’occasion de rire de nous-mêmes.

Quel accueil ce ballet a-t-il eu en Israël et en Palestine, ainsi que dans le reste du monde ?

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Hillel Kogan : Depuis sa création, en 2013, nous avons présenté le spectacle devant des publics très divers, y compris le public arabe en Israël, mais pas dans les territoires palestiniens. Nous avons reçu de très bons commentaires et de nombreux téléspectateurs israéliens m’ont remercié d’avoir abordé ce sujet sur la scène, soulignant les préjugés, toujours présents dans la vie quotidienne israélo-arabe. Nous avons également joué dans de nombreux pays, comme aux États-Unis et en Europe, et à chaque fois, nous avons eu de bons retours et une vraie adhésion du public. Nous avons constaté des réactions très émouvantes, très touchantes. Quelles que soient les nationalités, les gens rient beaucoup. Parfois, à la fin du spectacle quand nous partageons le houmous, plat traditionnel du Moyen-Orient à base de Pois chiche, certains spectateurs sont venus vers nous pour nous dire qu’ils avaient été tellement bouleversés par le sujet qu’ils avaient pleuré.  Je pense, au fond, que malgré  son sujet, elle a finalement une portée universelle. Elle traite des questions qui touchent tout le monde, de la situation politique majoritaire-minoritaire, ainsi que des préjugés entre Orient et Occident.

We love arabs est une vraie prise de position qui amène à réfléchir et à regarder autrement le conflit israélo-palestinien, As-tu eu des discussions à ce sujets à la sortie du spectacle ?

Hillel Kogan : Après le spectacle, il y a toujours et très souvent un échange avec le public, qu’il soit organisé ou non. C’est là que nous pouvons avoir une discussion ouverte sur le fond de la création : de nombreuses fois, les gens veulent savoir comment nous nous sommes rencontrés, et quelle est la position réelle du monde de la danse en Israël, s’il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de danseurs arabes en Israël, et quelle en est la raison. Ils veulent savoir comment Adi ressent la pièce. Avec les spectateurs, nous parlons aussi du rôle des artistes aujourd’hui dans la société, nous parlons des clichés sur l’art, sur la danse…

Dans ce spectacle, vous égratignez aussi une certaine vision de la danse contemporaine.  Trouvez-vous que parfois, le message, l’écriture, manquent de simplicité et en empêchent la lecture par le plus grand nombre ?

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Hillel Kogan : il est très difficile de répondre. Je ne sais pas trop quoi dire. Je pense que la danse est souvent un art difficile à digérer, à assimiler. Dans de nombreux cas, il n’est pas aussi communicatif qu’il le devrait. Après, je ne pense pas que le rôle des artistes soit de créer des pièces « pour le goût du public ». Ils doivent suivre leur propre chemin, leur propre voie, dire ce qu’ils ont envie d’exprimer dans une liberté totale. Il est vrai que j’ai tendance à souligner les « problèmes» du créateur pris dans  son inspiration prophétesse,  des clichés qui en découlent, et d’en rire. Mais le fait de rire de quelque chose ne signifie pas pour autant être contre. Je ne suis pas contre la danse, quelle qu’elle soit. J’aime juste rire des problèmes qui existent dans ce milieu. Je pense aussi que cette restriction de la danse à ne pas utiliser de texte, de mots en général, et que tout doit passer à travers le corps, est quelque chose d’étrange. Pourquoi le danseur ne peut-il pas parler ? Cette interdiction de s’exprimer par des mots crée, au final, quelque chose d’un peu bizarre pour le spectateur.  Il regarde le danseur comme si c’était une énigme, un mystère. C’est devenu un code. Pour moi, c’est étrange et drôle. Je reconnais aussi  qu’il y a une tendance des danseurs à regarder leur corps comme un lieu saint, et toute la relation entre l’espace et le corps devient une chose sainte. Dans ma parodie, je voudrais déconstruire cette « sanctification », et non pas la détruire, mais la mettre sur la table, afin que nous puissions poser des questions à ce sujet.

Véritable triomphe à Avignon, We love arabs semble parti pour une longue vie, mais avez-vous d’autres spectacles en préparation, d’autres projets ?

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Hillel Kogan : Oui, je travaille actuellement sur une nouvelle pièce, mais je veux prendre mon temps. Je pense que cette nouvelle création devrait être prête pour la scène d’ici à la fin de l’année 2017, mais je ne sais pas quand encore. Je n’ai pas de délai et je me laisse porter par le processus créatif. J’ai besoin de réfléchir encore et encore à ce que je souhaite montrer, quels sujets je veux aborder. Je travaille avec une jeune danseuse. Elle a 22 ans et vient de terminer l’école. Elle a encore besoin de temps pour appréhender la scène. Cet écart entre nous m’intéresse beaucoup. Nous avons beaucoup de lacunes : homme-femme, mûr-jeune, patron-ouvrier, expérimenté-inexpérimentée, etc… Je suis sûr que ce morceau sera non seulement une pièce de danse mais aussi une pièce sur la danse, sur la danse comme médiateur d’émotion. Ne seulement composer que des mouvements dans le temps et l’espace m’intéresse moins. J’ai besoin de poser des questions sur la façon dont nous dansons, pourquoi nous avons choisi telle ou telle posture, quel a été le processus créatif, etc… Pour l’instant, je pense que ce sera un duo pour nous deux, mais ce sera peut-être plus vaste, et nous serions plus nombreux. Je ne sais toujours pas. C’est encore en réflexion.

Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore


We love arabs d’Hillel Kogan
Le Monfort Théâtre – Grande Salle
Du 18 au 19 novembre 2016
le vendredi et le samedi à 21h et une représentation supplémentaire le samedi 19 novembre à 17h.
Durée 55 min

Texte et chorégraphie de Hillel Kogan
Avec Adi Boutrous et Hillel Kogan
Création lumières d’ Amir Castro
Musiques de Kazern Alsaher et W.A. Mozart
Traduction de Talia De Vries

Crédit photos © Gadi Dagon

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