Face aux crispations identitaires, à une censure de plus en plus criante, et aux tentatives d’intimidation qui visent les artistes queer, Rainbow Day & Night oppose une autre narration. Pluridisciplinaire, transnationale, flamboyante. Pour cette deuxième édition avignonnaise, des voix venues du Liban, de Palestine, de Belgique, du Maroc, d’Algérie font entendre des récits tissés en langues arabes, en gestes de révolte et en promesses de fête. Une programmation en résonance avec celle du Festival d’Avignon, qui fait de l’intime et du politique un même champ de bataille.
Des mots pour habiter les silences
La soirée débute avec Les Loyautés (3la slamtek) de Marwane Lakhal, une œuvre traversée d’une tendresse brûlante où se conjuguent les langues. Mis en espace par Brandon Kano Butare, le texte prend vie grâce au jeu tout en nuance d’Adil Hassaïni. Dans une banlieue en pleine gentrification, Smaïn, éternel aidant comme tant d’enfants issus de l’immigration, revient chez sa mère, Fatima Zo’ra. Un voisin surgit, les mots s’échangent. Une invitation à rejoindre une performance drag, à se laisser bousculer par d’autres normes, d’autres possibles.
Le récit à six voix devient une constellation d’existences marginales qui trouvent leur densité dans le travail d’incarnation du comédien. L’homosexualité y est dite, dans un monde qui ne sait pas — ou refuse — de regarder.
Des gestes pour réécrire l’histoire
Puis vient Back/Bridge d’Habibitch, performance frontale et percutante. D’abord les images, saturées : violences coloniales, islamophobie, répression policière. Ensuite, le silence. Un corps en blanc entre en mouvement. La danse se déploie, pulsative, pop, saccadée, tremblante, ondulante. Chaque geste est mémoire, chaque vibration, une lutte. Le solo devient rituel, le plateau se transforme en lieu d’exorcisme collectif. Une pièce dense, saturée, mais essentielle.
Andrea Givanovitch clôt cette trilogie performative avec Untitled (Some Faggy Gestures), en entrant seul sur scène, sans musique. Habillé de bleu et de jaune, il affronte les regards, enchaîne gestes maniérés, figures codées, clichés queer détournés et revendiqués. Il répète, il insiste, jusqu’à l’épuisement. Sa danse minimaliste flirte avec l’excès : c’est un manifeste du corps résistant, un cri muet contre la caricature.
La nuit comme manifeste
Enfin, la fête s’empare du Mahabharata. Paillettes, lumières, corps en mouvement : plus de deux mille personnes venues danser, communier, se retrouver. Sous les beats électro d’Habibitch, puis de Jenia Gatash, fondatrice de Queer Paradise, les identités se dévoilent et se libèrent. On se mêle, on rit, on sue. On appartient.
Ce n’était pas qu’une nuit. C’était une réponse. Une promesse tenue. Et un rendez-vous est déjà pris : le 18 juillet, pour une nouvelle traversée. Toujours aussi indocile, toujours aussi queer.
Les Rainbow Day & Night
Théâtre du Train Bleu
les 11 et 18 juillet 2025