Cette édition 2025, pensée comme un remède à la grisaille du monde, réussit le pari de mêler exigence artistique et joie partagée. Le soleil est de la partie, les cigales s’en donnent à cœur joie et, sur la place, les tables du “Carbo” se remplissent doucement. Dans ce joyeux capharnaüm, Alain Reynaud, grimé en Félix Tampon, clown facétieux et hôte du festival, donne le ton.
Avec ses acolytes, il chante, amuse la galerie. Certains grimpent parfois sur les tables, virevoltent entre les groupes. Le décor est planté. Au bout de la rue Carbonica, la scène attend les « huiles essentielles », les élus, tels que les nomme le facétieux hôte des lieux. Sans chichi ni cérémonie protocolaire – juste ce qu’il faut pour permettre aux collectivités locales d’évoquer les maux du monde et leur soutien indéfectible à la culture, au spectacle vivant et à cette manifestation chère à tous. La seizième édition s’ouvre comme on entre chez des amis, à la bonne franquette, avec le cœur grand ouvert. Ici, tout est invitation à la rencontre, à la tendresse, à une forme joyeuse d’absurde qui allège les âmes et console des tempêtes.
On vient pour rire, pour s’émouvoir, pour retrouver ce qui fait lien. L’ambiance monte tranquillement, à l’image du festival : douce, festive, familiale. On s’y sent bien, tout simplement.
NO(s) Façades, la vie sur les murs
L’après-midi touche à sa fin, direction le théâtre antique où Les Josianes, dont on avait pu découvrir le travail lors de l’édition 2023, ont planté leur emblématique décor tout droit sorti d’un cartoon. Une façade de tous les possibles, où portes, fenêtres et roof top servent de terrain de jeu acrobatique. Pour ce nouveau spectacle, elles partagent la scène avec leur pendant masculin, le Cirque la Compagnie. Dans NO(s) Façades, tout circule, tout se partage. Les habitants de ce drôle d’immeuble grimpent, dansent, volent dans les airs, se cherchent, se retrouvent, s’aiment ou se bousculent.
Voleurs maladroits, amoureux transis, vieilles copines de retour… tout devient prétexte à jouer, à voltiger, à faire communauté. Il y a de la fantaisie dans chaque geste, du cirque dans chaque recoin, de la tendresse jusque dans les maladresses. En mariant leurs deux univers – l’un pétillant et théâtral, l’autre plus circassien et acrobatique –, les compagnies comparses trouvent une harmonie réjouissante. La complicité est visible à tous les étages, et la joie de jouer ensemble éclabousse les spectateurs.
Au-delà de la performance physique, le spectacle questionne le quotidien, ses tracas et ses règles. C’est une ode au vivre-ensemble, à la simplicité, à l’humanité. Et cela fait un bien fou. Heureux, le public applaudit à tout rompre cette bulle enchantée, porté par cette énergie collective qui transforme le théâtre antique en grande fête de village.
Fidji, stand-up de haute voltige (ou presque)
Plus haut dans le village, sur un terrain de sport municipal, Antoine Nicaud de la Cie la Dépliante débarque de nulle part, prend le public à partie pour raconter sa vie et ses histoires improbables. Son chat Fidji est introuvable. Enfin, pas vraiment le sien… celui de sa copine, qui a disparu aussi. Dès les premières secondes, il embarque le public dans un récit complètement déjanté, entre enquête existentielle et délire assumé. Du circassien aérien, on ne verra que peu de numéros, mais une énergie débordante, un sens du rythme et une maîtrise de la parole jusqu’au vertige.
C’est donc avec les mots qu’il jongle, qu’il grimpe et qu’il prend des risques. Il invente des théories fumeuses, mêle le vrai et le faux, comme lorsqu’il évoque l’improbable histoire des chatons acoustiques imaginés par la CIA au début des années 1960. Incroyable, absurde, et pourtant véritable, comme le confirme une festivalière en lisant les premières lignes d’un article paru dans les pages de Libération.
Il parle vite, très vite, sans jamais lâcher le fil, et réussit l’exploit de faire rire tout en dessinant en creux le portrait d’un homme un peu paumé, mais profondément vivant. Il joue avec les limites sans jamais tomber dans le lourdingue. Ce seul-en-scène, à mi-chemin entre le stand-up et le manifeste poétique « wesh wesh », est une longue et folle boutade dont les éclats de rire résonnent joyeusement dans la nuit étoilée.
Des spectacles pour toute une semaine
De retour au Carbo, on échange autour d’un verre, on débriefe les spectacles, on échange les bons tuyaux. La programmation, toujours aussi foisonnante, promet encore de belles découvertes. Il y a Strano de la Cie Trotolla, Mouton Noir de Wilmer Marquez et Paul Molina, La Traversée de Cyril Hernandez, Un dîner pour un du P’tit Cirk, et tant d’autres joyeuses propositions. Chaque coin du village cache une scène, un chapiteau, une rencontre inattendue. Le festival vit au rythme des jours, des nuits et des discussions, dans une atmosphère légère et généreuse.
À Alba, on oublie les guerres, la politique, les mauvaises nouvelles et le reste du monde. On parle à son voisin de tablée, on rit avec des inconnus, on se laisse porter. Le festival est une parenthèse, une respiration, un antidote à la morosité ambiante. Ici, le mot d’ordre est : rassembler. N’hésitez pas à faire un détour, Alba vous accueille les bras ouverts et vous donnera le goût du revenir. La bonne humeur est contagieuse, le dépaysement garanti, et le monde semble, en quelques jours, un peu moins dur, un peu plus drôle, et infiniment plus humain.
Festival d’Alba-la-Romaine
du 9 au 14 juillet 2025