Une voix fend le silence. Neutre, distante, presque surréaliste dans cette scène à ciel ouvert. Elle annonce l’arrivée de Rose. Elle entre avec une démarche assurée, un brin fatiguée, mais toujours avec allure. Cinquantaine rayonnante, très beaux restes, comme elle le dit elle-même, surtout ses jambes.
Rose a connu des hommes, des histoires sans lendemain, des désillusions. Deux enfants qui appellent à Noël et pour la “fête des mémères”. Un travail sans éclat dans un cabinet comptable. Et, chaque soir, le même rituel. Elle descend quelques bières au Royal, un bar de quartier où elle retrouve Marie-Jeanne, sa sœur d’alcool et confidente. Le patron parle peu. Les verres s’enchaînent. Le rire vient vite quand les souvenirs se noient.
Une rencontre et une faille
Un soir, un homme franchit la porte du bar. Il tient une chienne ensanglantée dans les bras, renversée par une voiture. Il s’appelle Luc. Rose, sans ciller, sort son revolver, un calibre 38 acheté un jour de peur, et met fin aux souffrances de l’animal. Deux jours plus tard, Luc la rappelle.
Il est doux, attentif, différent. Une histoire étrange commence. Rose, qui croyait avoir tourné la page de l’amour, s’émeut à nouveau. Tout n’est pas parfait, mais elle se laisse approcher. L’alcool coule encore. L’armure se fissure. Et puis les vieux réflexes masculins reviennent. Le besoin de contrôler, l’envie de posséder, cette façon de faire de l’autre un objet. Cela s’installe sans bruit, insidieusement, et le piège se referme.
Nicolas Mathieu tisse un thriller psychologique au mécanisme implacable. Il donne corps à une femme ordinaire, cabossée, mais digne, belle à sa manière et qui a juré de ne plus jamais laisser un homme lui faire du mal. Et elle sait de quoi elle parle. Le père, les frères, le compagnon, les amants de passage, tous ont entamé sa confiance. Aujourd’hui, elle lit les signes. Elle sent quand ça tourne. Le cœur est abîmé, mais il bat encore.
L’histoire semble banale. C’est justement ce qui la rend glaçante. Aucun coup d’éclat, juste cette tension qui monte, lente, tenace. Une femme croit aimer une dernière fois. Et le vertige s’installe.
Un cri rentré, une présence lumineuse
Sur scène, Anne Charrier irradie. Elle incarne Rose avec une justesse rare, oscillant entre pudeur et force contenue. Toujours présente, vibrante, sans jamais forcer le trait. À la mise en scène, Romane Bohringer accompagne sans jamais imposer. Elle souligne les mouvements sans les appuyer. Le décor, un peu chargé, devient presque accessoire. L’actrice habite le plateau. Elle est Rose jusqu’au bout des ongles. Digne, drôle, blessée. Résistante.
Rose Royal, c’est un cri rentré. Une parabole sur la fatigue d’aimer, la solitude, la peur des hommes. Mais c’est aussi un hommage aux femmes qui, même au bord du gouffre, continuent de tenir debout. Une femme avec un revolver au fond du sac et un cœur encore vivant.
Comme dans Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu éclaire les marges. Ces vies qu’on croise sans les voir. Celles, que la littérature, et ici le théâtre, tirent de l’ombre. Un texte court, sec, vibrant. Politique, au sens le plus intime du mot.
Rose Royal, librement adapté du roman de Nicolas Mathieu paru aux éditions in8, 2019.
Théâtre des Halles – Festival Off Avignon
5 au 26 juillet 2025 – Relâches les mercredis 9, 16 et 23 juillet 2025
à 21h30
Durée 1h10
Tournée
à partir du 12 septembre au Studio des Champs-Élysées, Paris
Adaptation Anne Charrier et Gabor Rassov
Mise en scène Romane Bohringer
Avec Anne Charrier
Assistanat à la mise en scène Aurélien Chaussade
Lumières Thibault Vincent
Costumes Céline Guignard-Rajot