Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai huit ans, je suis en primaire, et dans la salle polyvalente, une scène est dressée, avec pendillons et compagnie. Vous imaginez bien que je n’avais jamais vu autant de tissus noirs ! Ce monolithe au milieu de notre salle blanche m’attirait et m’intriguait.
Quand les comédiens sont arrivés sur scène — des collégiens, donc les “grands” — ils ont joué avec une énergie incroyable. J’ai assisté à quelque chose de puissant : l’unisson du public, le rire, l’émerveillement de mes camarades. Mon premier souvenir, c’est ça : la joie pure, l’euphorie d’une foule.
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
J’ai passé le concours de l’ERACM (école nationale de théâtre) à dix-huit ans avec une amie. J’ai été retenu pour le second tour, qui prend la forme d’un stage. À l’époque, je ne voulais pas forcément être comédien — mon rêve, c’était plutôt la réalisation. Mais en découvrant les autres candidat·es, leur passion, leur curiosité, leur manière de partager… j’ai été happé.
Ce que j’ai aimé, c’est ce lieu où l’on a peu, mais où l’on fait beaucoup. Où l’on s’entraide. Je n’ai pas eu le concours. À la suite de ça, j’ai intégré deux écoles de théâtre… mais j’ai fini par bifurquer, à moitié abandonné pour devenir coach sportif. Finalement, c’est la persévérance qui m’a ramené là où je suis : à faire ce que j’aime.
Qu’est-ce qui vous a guidé vers cette spécialisation ?
On m’a toujours pris pour un danseur. J’ai toujours aimé me dépenser comme un danseur, transmettre de l’énergie, de la force, du mouvement. Il faut dire que j’admire profondément le travail chorégraphique de Peeping Tom, Hofesh Shechter, Ohad Naharin, Crystal Pite…
À force d’entendre, au conservatoire, que j’étais un « comédien-danseur », que j’étais celui qui arrivait le premier et repartait le dernier du plateau… j’ai fini par assumer : Je suis un comédien physique. Danseur. Performer.
Votre tout premier spectacle ?
Mes parents dans le public, un maquillage au feutre sur le visage, des abdos dessinés sur le ventre. Je suis Spider-Man. Pour mimer ses acrobaties, je virevolte au-dessus du canapé. La foule est en délire. Je peux tout faire : l’imaginaire ne me donne aucune limite.
Passions et inspirations
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Anima Ardens de Thierry Smits. Un travail chorégraphique d’une précision folle, une symbolique puissante, un rythme maîtrisé. Je me suis senti transporté, déplacé. En sortant, je savais que ma manière de voir l’art avait changé. J’aurais aimé être sur scène ce jour-là. Je l’ai été, un peu.
Quelles belles rencontres ont marqué votre parcours ?
D’abord, mes mentors : Xavier Hérédia et Peggy Mahieu, qui m’ont transmis l’amour et la rigueur du théâtre. Toujours présents dans les résidences, toujours dans les coulisses, je les suivais comme une petite souris. J’enlevais les décors, j’observais tout. C’est là que j’ai appris.
Ensuite, Stéphanie Slimani, metteuse en scène de La Métamorphose, et ma partenaire de création fidèle. Ensemble, on déplace des montagnes. On a cofondé La Divine Usine avec trois autres membres : une structure où l’on fédère, où l’on met en scène, où l’on joue. Chaque projet est un défi qu’on relève sans peur, parce qu’on est à deux.
Et puis Étienne Delfini Michel, disparu il y a deux ans. Un grand frère de théâtre. Il m’a soutenu, guidé. Auteur et metteur en scène, il écrivait pour les gens qu’il aimait, sans jamais faire de compromis. Il m’a offert un seul-en-scène où j’incarnais… un serial killer cannibale, qui parle de ses victimes avec générosité. Du théâtre qui vibre.
Où puisez-vous votre énergie créative ?
Chez les autres. Dans la rue, dans ma famille, chez les inconnu·es. Dans les petits gestes du quotidien. “Si vous voulez faire de la mise en scène, prenez les transports et marchez. Observez. Regardez les gens autour de vous.” Le monde est rempli d’intimité et de beauté.
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Je ne suis pas très administratif. Pas très solitaire non plus. Ce qui m’anime, c’est la rencontre, le partage, le labeur, l’amusement. Ce qui m’élève, c’est le collectif. Voir l’avant-spectacle, quand les artistes sont prêts, stressés, et l’après, quand le public est touché, changé. Même dans une salle de 400 personnes, si un seul spectateur a été troublé, mon travail est fait.
L’art et le corps
Que représente la scène pour vous ?
C’est un espace de confiance, de don, de tous les possibles. Le seul endroit où le public sait que le mensonge est là… et y croit. Un dialogue tacite entre l’enfant intérieur des artistes et celui des spectateurs.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Dans le besoin de me dépenser. Je donne tout, comme dans le sport. Non pas dans une logique de performance ou de compétition, mais dans l’urgence de l’instant. Il n’y aura pas de prochaine fois. Alors, je dois jouer avec mes tripes, avec toute mon envie.
Rêves et projets
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Munstrum Théâtre : une compagnie qui transpire le travail, l’amour du faire-ensemble. Ils sont ambitieux, singuliers, avec un langage à part.
Peeping Tom, pour leur sens aigu du rythme et de la physicalité. Toujours précis, jamais gratuit.
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
À un opéra. Un opéra contemporain avec de l’électro, hybride, mêlant les genres et les styles. Qui parlerait d’une bataille viking avec des morts-vivants, façon grand-guignol. Et mis en scène par Chéreau.
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch. Un tableau foisonnant, où coexistent mille scènes : drôles, étranges, troublantes. Mon parcours est pluriel. Je touche à la technique, la scénographie, la logistique, la danse, le cirque…
J’affine mes compétences premières, et je découvre sans cesse de nouveaux territoires. Ce jardin, c’est un chaos organisé. Chaque scène y est une œuvre miniature avec sa propre histoire. C’est exactement ce que je cherche à faire : créer des souvenirs vivants, sensibles et uniques.
La Métamorphose de Franz Kafka
Théâtre Transversal – Festival Off Avignon
du 5 au 26 juillet 2025 – relâches les 9, 16, 23 juillet 2025
19h40
durée 53 min
Adaptation de Stéphanie Slimani et benoît Olive
Mise en scène de Stéphanie Slimani
Avec Killian Chapput
Musique de Benoît Olive
Collaboration artistique – Ahmed Ayed
Régie d’Émilie Suzzoni