L’Artéphile a dix ans. Que retenez-vous de cette aventure ?
Anne Cabarbaye : Je dirais un affinement progressif de la ligne artistique qui s’est précisée au fil des années. À nos débuts, avec Alexandre Mange, nous avons énormément expérimenté en mêlant dans le lieu diffusion, expositions, création, arts visuels et numériques… Puis, nous avons ressenti le besoin de nous recentrer sur la création. Cela nous semblait essentiel. Accueillir des artistes en résidence, favoriser la porosité entre les disciplines, créer un vrai lieu de travail et de partage. Ce qui nous meut profondément, c’est accompagner la création de l’écriture à la scène, sans obligation de résultat, mais avec une attention constante.
Vous évoquez l’Artéphile comme un outil. Qu’entendez-vous par là ?

Anne Cabarbaye : C’est un outil au service des artistes où l’on ose des choix audacieux, où l’on défend une parole de l’instant et où l’on peut créer sans pression. On n’est pas dans une logique de prestation, de rendement. Je n’aime pas cette posture client-prestataire. L’Artéphile, c’est un espace d’exploration et c’est aussi un lieu où moi-même, je peux m’épanouir : je reprends les arts plastiques, les arts numériques. Après trente ans dans le luxe, j’ai besoin de retrouver une matière vivante.
Et pour les dix prochaines années, de quoi rêvez-vous ?
Anne Cabarbaye : De mélange, de fusion, de frictions fécondes entre les arts. J’aimerais continuer à accueillir des formes rock’n’roll, sensuelles, engagées, à défendre l’écriture contemporaine, les auteur·rices vivant·es, les paroles intimes. Et que le festival Off soit reconnu à sa juste valeur comme un espace de découverte, de première ligne. C’est un festival qui a permis des avancées sur la transparence et sur les écritures. L’Artéphile y a contribué en étant à l’origine des cartes blanches Les Jours Off, par exemple. Ce genre d’initiative fait bouger les lignes.
L’Artéphile est aussi un lieu de résidences. Comment les accueillez-vous ?
Anne Cabarbaye : Nos portes sont ouvertes à l’année pour accueillir des compagnies qui viennent parfois créer pour le festival, parfois simplement travailler, écrire, transmettre. On n’exige jamais de sortie publique. C’est un des rares lieux à fonctionner ainsi. Si une équipe veut juste poser une régie ou avancer sur un texte, c’est possible. Quand il y a une restitution sortie, on est ravi. Mais on ne contraint pas. Cette année, par exemple, quatre spectacles programmés ont été accompagnés en amont : Le Voyage d’hiver de Denis Lachaud, Mon père, cet Arabe de la Cie El Ajouad (Les généreux), Celles que vous croyez de la Cie Les Asphodèles du Colibri, Malaga mis en scène par Renaud Danner. Ce dernier sera d’ailleurs créé le 28 mai, juste avant le festival.
Et comment tissez-vous le lien avec le territoire avignonnais ?

Anne Cabarbaye : Nous sommes dans un quartier très vivant, très mixte, avec des familles, des jeunes, des anciens. Les habitants viennent volontiers. On développe également des partenariats extra-régionaux, notamment avec le lycée Victor et Hélène Bach à Rennes. Ils ont créé une école du spectateur, et les élèves viennent à Avignon, assistent aux spectacles, aux montages, donnent leur retour. C’est précieux. Former des spectateurs avertis, c’est aussi essentiel que de former des artistes.
Un moment fort pour fêter les dix ans ?
Anne Cabarbaye : Oui ! Le 13 juillet, on organise une journée spéciale avec trois spectacles : deux contes proposés par Layla Darwiche et Fwad Darwich, et en soirée un concert du groupe électro pop NIHN de Minouche Briot. On sortira un peu des sentiers battus, comme toujours. Ce sera une fête, une célébration vivante et vibrante.