L’endroit rêvé pour découvrir la culture brésilienne ? Metz. La ville pour accueillir le récital de contestataires russes en exil ? Metz. Poètes gazaouï, contestations autochtones et imaginaires décoloniaux ? Metz. Passages Transfestival est le résultat d’un double pari : hybrider les formes artistiques et abattre des frontières. Au milieu de programmateurs curieux et d’un public sensibilisé à ces prises de risque scéniques, son directeur, Benoît Bradel, est au four et au moulin.
Ici à assurer la traduction d’un jeune artiste palestinien, Mohammed Al Qudwa, venu présenter l’ébauche de sa prochaine création, là à distribuer les coussins pour que les enfants puissent prendre place aux premières loges d’un spectacle de plein air. Stylo dans la poche, étoiles dans les yeux, le directeur artistique et général assure volontiers des grands écarts dans la programmation.
Grands écarts et premiers pas

Au milieu d’une trentaine de spectacles, présentés du 15 au 25 mai, figurent l’argentin Tiziano Cruz, repéré au Festival d’Avignon 2024, la génialissime Betty Tchomanga venue présenter deux de ses créations, mais aussi de grands inconnus pour le public français. Artistes venus du Mozambique, de Russie, du Chili se partagent une affiche marquée par la Saison du Brésil en France.
Dans la programmation dédiée à la jeune création, on trouve entre autres Elina Kulikova et Dima Efremov, jeunes prodiges russes en apparence, venus livrer un récital mêlant folklore et patriotisme. Mais le surtitrage trahit le souffle de révolte qui anime le duo. Aussi informatif qu’introspectif, Un champ brûlé cultive un sens du décalage peu commun. Derrière une façade conservatrice, le binôme dénonce aussi bien la guerre en Ukraine que ses antécédents en Crimée et en Géorgie, sans oublier la manière dont la Russie de Poutine traite les homosexuels. S’il manque sans doute une montée en tension dans la dramaturgie, les questions de résistance qu’ils soulèvent résonnent avec une ampleur glaçante.
Le Festival accompagne aussi des créations singulières comme Le Grand Inconnu, entre cirque et marionnette. On connaissait la marionnette comme une métaphore de la manipulation, mais avec la Cie Via Verde, ce qui se dessine, c’est une élévation par le collectif, l’entraide et la confiance. Sous les yeux médusés d’un (très) jeune public, les trois interprètes, au son d’une contrebasse, défient la gravité en plein air.
Les héritages en discussion

La dimension défricheuse du festival permet aussi au public de se familiariser avec des cultures et des contre-cultures venues du Brésil, à l’image de 3 contra 2 : Psico Trópico, que les parisiens pourront découvrir au Théâtre de la Ville du 26 au 28 mai prochain. Ce spectacle signé Marcela Levi et Lucía Russo déplace des fragments de voguing dans une forêt tropicale. Un kaléidoscope auquel la répétition, la rupture et l’étrange confèrent une cohérence, bien que la partition soit a priori très composite. Loin de la culture ballroom dans lequel le voguing relève autant d’une danse que d’un langage, ici, les interprètes restent isolés, à l’image des motifs qui semblent les porter, tour à tour, sans que se dessine un véritable fil rouge. Véritables hiéroglyphes, le visage couvert de peinture du fait de la transpiration, tous trois déclinent une même grammaire et offrent par le métissage comme un air d’inédit.
À la Galerie Octave Cowbell, Gê Viana rediscute, elle aussi, les héritages avec Terra Preta. À partir des dessins de Jean-Baptiste Debré, l’artiste transforme ces scènes avilissantes où les esclaves déshumanisés des premiers dessins deviennent, par une succession de collages, des personnages d’une réalité alternative, fantastique et flamboyante. Habillant les protagonistes de tenues aux couleurs chatoyantes ou faisant sauter une porte pour laisser deviner la plage, Gê Viana repense l’héritage colonial du Brésil avec un travail singulier, aussi bien présent dans la galerie que dans quelques rues de la ville de Metz.
Prise à partie

Dans Passages Transfestival, le rapport frontal au public permet aussi de caractériser de nombreuses propositions retenues. On pense à Uyra Sodoma dans cette même galerie Octave Cowbell qui, les yeux rivés sur l’objectif, occupe des espaces pollués de l’Amazonie, des espaces dans lesquels les ressources n’en sont plus. Terre exsangue, rivières de déchets plastiques et autres lieux de prédation sont le décor d’une série de poses de l’artiste. Venant brouiller par ses camouflages la frontière entre humain et végétal, Uyra Sodoma crée des images uniques qui valent mille mots.
Une prise à partie des plus remarquables reste évidemment celle de Jéssica Texeira qui réalise avec Monga une performance virtuose, engageante et jusqu’au-boutiste. Affublée d’un masque de gorille, Jéssica Texeira interroge l’héritage des freaks shows et la prégnance du validisme dans la mémoire collective. Autant prise à partie théâtrale que concert, elle convoque la figure de Julia Pastrana, artiste mexicaine jetée en pâture dans les cirques du monde entier. En revendiquant cette filiation, l’autrice de Monga montre que, si les zoos humains appartiennent au passé, la curiosité malsaine, elle, se recycle à l’infini. Interpelant le public sur ses croyances, ses aspirations, ses peurs, Jéssica Texeira, non contente de briser le quatrième mur, imagine un théâtre sans frontières dans lequel de la musique live peut succéder à une tournée générale de cachaça.
Mathis Grosos
Passages Transfestival
du 15 au 25 mai 2025