Création 2023 - Yuval Pick - Maison de la danse - résidence de répétition © Romain Tissot

Un après-midi d’hiver avec Yuval Pick

En résidence à la maison de la Danse à Lyon, Yuval Pick prépare sa prochaine création, une pièce pour dix danseurs, présentée à la Biennale.

Création 2023 - Yuval Pick - Maison de la danse - résidence de répétition © Romain Tissot

En résidence à la maison de la Danse de Lyon, le chorégraphe à la tête du CCN de Rillieux-la-Pape prépare sa prochaine création, une pièce pour dix danseurs qui sera présentée à la Biennale en septembre prochain. Le temps d’un filage, Yuval Pick a montré les coulisses d’un spectacle choral.

© Romain Tissot

Le mois de février touche à sa fin. Un air glacé enveloppe la cité des Gaules. Au cœur du 8e arrondissement, en lieu et place de l’ancien théâtre, La Maison de la Danse, immense vaisseau de verre et de béton, impose sa façade brutaliste. Dans la grande salle, en tee-shirt et survêt, Yuval Pick, de sa voix de stentor, teinté de cet accent, un brin rugueux, donne quelques instructions, quelques recommandations. « L’objectif est de faire un bout à bout de tout ce que l’on a travaillé depuis la semaine dernière, voire comme tout cela s’imbrique et fait sens. » Au plateau les neuf danseuses et danseurs – l’une des interprètes, en tournée sur un autre spectacle, ne pouvait être présente sur ces dates de résidence – , s’affairent, s’échauffent, prennent leur marque, avant de disparaître en coulisse. Derniers échanges, chacun se met en place. Silence, noir.

Folklore et transe
Portrait de Yuval Pick - ©  Sébastien Erôme
© Sébastien Erôme

Les premières notes de musique résonnent et se perdent dans l’immensité de l’espace. Des lumières chaudes donnent à la scène des airs d’été. En toile de fond, un rideau lamé argent. Au sol, un revêtement ouaté fait de fils métalliques souples, de mousse noire. Tout est fait pour qu’un jeu de reflets module l’espace, le démultiplie. Le son s’amplifie, envahit la cage de scène. Une jambe tendue apparaît, un bras timide lui fait suite, puis c’est un corps tout entier qui s’aventure sur les planches. Les gestes sont précis, la diagonale parfaite. Tourne et retourne et puis s’en va. Ainsi de suite, les interprètes vont l’un après l’autre, investir les lieux. Au fil du temps, certains resteront sur scène, d’autres partiront pour mieux revenir. Redondantes, rappelant quelques lancinantes transes, les mélodies galopent, s’enchaînent ou se superposent. Certaines ont un côté très folklorique, d’autres un air plus classique. Pas de deux, danses de groupe, solos, les tableaux défilent, emportent vers des ailleurs où rites et danses traditionnelles lient les individus entre eux, où l’humanité fait corps. Quelques motifs itératifs ponctuent la grammaire très étudiée du chorégraphe. Loin de l’écriture très technique de Vocabulary of need, Yuval Pick revient à ses premières amours, un geste très viscéral, ancré dans la terre, dans la chair. « Je cherche à libérer les corps, explique-t-il, tout en construisant des ponts, des attaches entre les êtres. Qu’ils soient en ligne, en cercle, qu’ils jouent la même partition, ou des variations différentes sur une même rythmique, le tout doit faire ensemble. J’aime l’idée d’aller au-delà de l’image, de dépasser l’apparence. Les danseurs avec lesquels, je travaille, sont d’âges, de morphologies et d’horizons différents. Certains, je les connais, pour avoir déjà travaillé avec eux. Alors qu’avec les autres, nous apprenons à nous connaître. Cela fait aussi partie du processus créatif. Faire de nos diversités, un récit commun. »

Les mythologies, d’ici, d’ailleurs, comme substrat
Création 2023 - Yuval Pick - Maison de la danse - résidence de répétition © Romain Tissot
© Romain Tissot

C’est un étrange méli-mélo qui naît sur scène, une profusion d’images. Ici, les uns verront des hiéroglyphes prendre vie. Là, les autres imagineront un rituel païen, héritage des mayas, saisir les corps des danseurs. Multipliant les références, se nourrissant des histoires des uns des autres, Yuval Pick entremêle des histoires, des instants de vie. Le bestiaire du chorégraphe, à l’image de son vocabulaire, n’a pas de limite. Deux corps s’enlacent, et tout de suite on pense au Jardin des délices de Jérôme Bosch. Une danseuse porte un gilet couvert de cloches, et c’est en Sardaigne qu’il nous transporte, au carnaval de Mamoiada, où chaque année, les Mamuthones et les Issohardes paradent ainsi vêtus, font un bruit d’enfer pour que les récoltes à venir soient bonnes. Des sons gutturaux flottent dans les airs, les danseurs chantent, et l’immersion au cœur d’une peuplade inuite est totale. « C’est tout un monde que j’appelle au plateau, souligne-t-il. Je veux parler d’amour, d’union sacrée, d’entre-aide, de solidarité, d’imaginaire et de lien humain. C’est pour cela que se conjugue au plateau, des communions transcendantales, une orthographe libre, hétérogène qui parfois à des airs plus classiques, mais souvent se nourrit du collectif, d’une diversité de langue, de style. » 

Les neuf artistes arpentent la scène, font d’elle un terrain de jeu de tous les possibles. Rien n’est arrêté, tout est à réécrire, rebroder, combiner. En maître de cérémonie, Yuval Pick sourit à cette fusion chorégraphique, s’amuse de ce mélange des genres, qui bien qu’hétéroclite, finit par faire sens, par raconter sa volonté de communauté humaine, d’un geste multiple autant que rassembleur. Toujours en processus créatif, l’artiste cherche, explore de nouveaux chemins, de nouvelles manières de relier entre elles, les pièces d’un puzzle chorégraphique, qui déjà semblent porteuses de belles promesses. 

Propos recueillis d’Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon 

Création 2023 – Yuval Pick
CCN de Rillieux-la-Pape

Chorégraphie : Yuval Pick assisté de Sharon Eskenazi
avec Gilles Baron, Julie Charbonnier, Céline Gayon, Simon Hervé, Axel Escot, Anne Foucher, Madoka Kobayashi, Adrien Martins, Francesca Mattavelli, Ernest Sarino Mandap
Musique de Max Bruckert assisté de Pierre-Jean Heude
Scénographie de Bénédicte Jolys
Lumières de Sébastien Lefèvre
Costumes de Gabrielle Marty assistée de Florence Bertrand

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