Youness Aboulakoul © Didier Olivre
Youness Aboulakoul © Didier Olivre

Youness Aboulakoul : Tisseur de mouvement

Figure montante de la scène contemporaine, le danseur et chorégraphe marocain présente un extrait de Ayta dans le cadre du programme 1 de La Belle Scène Saint-Denis à Avignon. Un moment rare pour découvrir l’univers intense et polymorphe d’un artiste qui conjugue danse, musique et arts visuels avec une même rigueur artisanale.

Voix douce, chantante, Youness Aboulakoul parle de son parcours comme on évoque une matière longuement pétrie. « Je me sens proche de lartisan face à sa matière», dit-il avec simplicité. Rien d’étonnant, l’artiste a grandi dans une famille d’ouvriers du textile à Casablanca. Sa mère, brodeuse, travaillait avec patience et minutie, fil après fil. Son père, ouvrier dans une usine, domptait les machines à tisser. Dans la maison familiale, les motifs géométriques se multipliaient sur les murs, les coussins, les rideaux, « ce monde a silencieusement façonné mon regard plastique et la manière d’ourdir et tricoter le corps dans l’espace. » Et surtout, il y avait ce son — lancinant, hypnotique — des ,métiers à tisser.

Today is a Beautiful Day de Youness Aboulakoul © Youness Atbane
Today is a Beautiful Day de Youness Aboulakoul © Youness Atbane

«Je crois que ces sons ont façonné mon écoute. Le bruit de la machine à répétition, cest comme un motif rythmique de basse continue dans mon imaginaire. À force de lentendre, tu découvres dautres nuances, des détails. Comme dans la musique électronique que je compose.» Car Youness aboulakoul est aussi compositeur, passionné de textures sonores autant que de physicalité.

Une trajectoire autodidacte

Né en 1987, il découvre très jeune la danse hip-hop, puis les danses traditionnelles marocaines, qu’il pratique au sein d’une troupe au conservatoire de Moulay Rachid à Casablanca. À peine adolescent, il foule déjà les scènes. «Mon premier contrat en tant qu’interprète, c’était avant mes 16 ans. Mes parents ont signé à ma place. Je crois qu’à partir de ce moment-là, jai su que c’était là que je voulais être : sur scène.»

Il n’est pas passé par une école. « Jai appris dans la pratique, au contact direct du métier. Jai toujours cherché à me déplacer, à me laisser façonner par chaque projet.» De la danse hip-hop à la danse contemporaine, des rythmes populaires marocains à la recherche plastique la plus abstraite, son corps devient archive vivante.

Habité par les rencontres
D'après une histoire vraie de Christian Rizzo © Sandy Korzekwa
D’après une histoire vraie de Christian Rizzo © Sandy Korzekwa

Interprète depuis plus de vingt ans, Youness Aboulakoul a dansé pour Christian Rizzo, Olivier Dubois, Bernardo Montet, Radhouane El Meddeb, Ambra Senatore, Filipe Lourenço ou encore Khalid Benghrib. «Je porte des traces de toutes ces écritures. Il y a lincisivité dOlivier, l’éthéréité de Christian, la visceralité de Bernardo… Tout ça, cest là, en moi. chaque rencontre ma déplacé. Ma appris. Ma nourri. Je porte en moi une identité multiple, comme une tapisserie tissée de fils contrastés, d’héritages entremêlés, de gestes transmis et transformés. Cette pluralité ne m’habite pas seulement, elle me définit et forge mon écriture. »

En 2018, il fonde sa compagnie Ayoun. Deux ans plus tard, il crée Today is a Beautiful Day, un solo intense, premier volet d’une trilogie consacrée à la question du corps et de la violence qu’il traverse. « Je me demandais : comment tient-on encore debout, face à la violence qui nous entoure ?» Cette interrogation intime, viscérale, devient le socle d’une démarche artistique qui embrasse la danse, la musique, les arts visuels. Suivront Mille Miles, puis le dernier volet de la trilogie Ayta, qui vient clore ce triptyque.

Ayta, un chant debout

Le mot est lourd d’histoire. Ayta, c’est un genre musical marocain porté historiquement par des figures féminines. Un chant de résistance, souvent transmis de manière orale, parfois clandestine, mais toujours vibrant. « Dans lhistoire coloniale du Maroc, lAyta servait à faire passer des messages de révolte. Ce sont des chants qui parlent de justice, de société, de vie.»

Ayta de Youness Aboulakoul © François Stemmer
Ayta de Youness Aboulakoul © François Stemmer

Dans la pièce, qu’il présente cet été à Avignon dans une version courte et épurée, il n’y a pas de scénographie, pas de lumière, juste les interprètes. «Le choix de ne mettre que des femmes au plateau s’est imposé. Mais c’est nullement le sujet de la pièce. Elles se tiennent debout pour toi, pour moi, pour le monde. Le sujet, cest cette voix enfouie en nous qui résiste, cette verticalité de l’âme que lon cherche à garder.»

Le spectacle s’inscrit aussi dans une exploration plastique et sonore. «Quand jai conçu la scénographie, jai voulu que lespace lui aussi soit plié, sous pression. Comme si le corps devait se battre contre un espace tordu. À Avignon, il ny aura pas de décor. Mais la mémoire du pli, elle, restera. Et je suis curieux de voir comment le corps réagira.»

Tisser de nouveaux liens

Depuis Paris, où il vit et travaille, Youness Aboulakoul entame une nouvelle trilogie, cette fois centrée sur ce qui relie les uns les autres «Je veux explorer les gestes qui nous mettent en lien. Ce quil en reste aujourdhui, avec les bouleversements que traverse notre monde. Et ce quon peut réinventer ensemble.»

Toujours animé par une soif de recherche, il nourrit ses créations de lectures philosophiques, de cinéma, de peinture. « Je pars dune question. Puis dun geste. Et je cherche comment ça peut exister dans le corps, dans le son, dans lespace. Je rêve. Et je tisse.»


Programme #1
La Belle Scène Saint-Denis – Festival Off Avignon
9 AU 13 JUILLET À 10H

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.