© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Vive le sujet ! avec Suzanne de Baecque et Solène Wachter : Histoires de rencontres

À quelques jours de la fin du Festival d’Avignon, le Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph accueille sa troisième série de performances pour cette édition, en partenariat avec la SACD.
25 juillet 2025

On peut le dire a posteriori : mettre en écho l’écriture de Solène Wachter et celle de Suzanne de Baecque dans un même programme tenait de l’évidence. Dans le cadre de Vive le sujet ! Tentatives, les deux artistes s’emparent avec succès de l’occasion qui est leur est donnée, chacune dans le domaine d’expression qui est le sien. Main dans la main avec sa consœur danseuse Bryana Fritz, la première propose une variation polyphonique sur nos constructions personnelles. La seconde convoque les codes du théâtre pour régler ses comptes avec Hervé Vilard, dans une forme irrésistible d’humour et de tendresse.

Logbook : Fusion de deux univers
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Leurs parcours respectifs ont beau être jalonnés des mêmes noms, rares sont les moments où leurs chemins se sont croisés. Toutes deux passées chez Boris Charmatz ou Anne Teresa de Keersmaeker, Solène Wachter et Bryana Fritz ont développé des univers bien distincts. Et c’est précisément sur les traces de ce qui les différencie que s’écrit Logbook.

Sur ce plateau partagé, chacune est venue avec ses propres références. Musiques, gestes et inspirations se superposent, dans une double composition qui joue sur la simultanéité des différences. À l’image d’un premier tableau chanté – admirablement – où se conjugue a capella le chant occitan Se Canto et une version revisitée de Zombie de The Cranberries, chaque étape de la performance se développe à partir de ce qui n’est pas prévu pour aller ensemble. Ainsi les deux interprètes s’amusent-elles à superposer ce qui ne va pas de soi. Ici, une chorégraphie contemporaine pour répondre à des mouvements plus classiques. Là, un tube pop qui vient se mêler à des notes de chant sacré…

Si, au premier abord, l’écriture perturbe dans la disharmonie qu’elle crée, celle-ci impose rapidement un régime d’écoute spécifique. Une fois passé l’étonnement de la forme, Solène Wachter et Bryana Fritz embarquent sans mal le public dans leur voyage à deux voix, à deux corps. C’est même avec malice qu’elles passent d’une expérience à l’autre, éveillant avec un certain sens du jeu la curiosité des spectateurs. Avec Logbook, elles ouvrent un catalogue de matériaux bruts dont les dissonances révèlent une étrange beauté.

Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre : Suzanne et son double
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Un homme entre, il semble aussi émerveillé que perdu sur ce plateau de théâtre. Pourtant la scène, ça le connaît. Et pour cause, cet homme, c’est Hervé Vilard. Autant dire qu’il n’a rien à prouver au public, d’où une forme d’étonnement à être ici, comme un besoin de comprendre le pourquoi de sa présence. La démarche faussement mal-assurée, Suzanne de Baecque s’apprête à lui apporter une réponse. Elle sera aussi hilarante que tendre et amère.

Une chose est sûre, la metteuse en scène n’a pas fait venir le chanteur pour le porter aux nues. Au contraire, elle a des comptes à régler avec lui, qui représente toute une génération d’artistes d’un autre temps, misogynes, mais pas que. À travers lui, ce sont toutes ses figures de référence qu’elle entend faire voler en éclat, de ses parents à ses professeurs de conservatoire. Mais dans cette performance qui balance habilement entre l’écrit – texte de Noham Selcer – et l’improvisation, son apparente vengeance devient un hommage à ce qui l’a construite.

Avec un sens inné de l’absurde et un humour à pleurer, elle revient pour cela aux bases mêmes du théâtre. Accompagnée dans cette douce folie par le flegmatique Zakary Bairi, elle s’attèle à déconstruire Hervé Vilard dans les pas de son homonyme, figure de proue du théâtre populaire. D’un Vilar à l’autre, il n’y a donc qu’un pas, que Suzanne de Baecque franchit avec ironie, allant jusqu’à faire une tentative à la Freaky Friday pour mieux comprendre son acolyte d’un jour.

Il y a alors une grande délicatesse à entendre la vie de l’un dans la voix de l’autre. Une belle pudeur, aussi, lorsqu’il s’agit d’aborder des anecdotes bien plus intimes. Et par-dessus tout, l’expérience est celle d’une rencontre entre deux générations, deux univers artistiques, deux mondes que tout tend à opposer. Avec une complicité communicative, le trio est d’une admirable douceur jusque dans ses maladresses. Il laisse le cœur léger d’avoir ri et d’avoir aimé.


Vive le sujet ! Tentatives – Série 3
Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph –
Festival d’Avignon
Du 23 au 26 juillet 2025, à 10h30 et 18h
Durée 1h30.

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