Toute la journée, le soleil a chauffé les pierres de la façade du Palais des Papes et les pavés de la place qui s’étend au-devant. Là, des enceintes ont été installées, délimitant un espace qui, dans quelques jours, accueillera les représentations de They Always Come Back. Pour ce projet orchestré par Bouchra Ouizguen, ils sont près d’une vingtaine à avoir répondu à l’appel à participation lancé il y a quelques mois. Rarement intimes avec la pratique de la danse avant de rejoindre l’aventure, ils s’investissent pourtant avec beaucoup d’engagement dans cette vie de troupe éphémère.
Après différentes étapes de travail, c’est une nouvelle dimension qui s’ouvre à chacun d’eux. Pour la première fois, la répétition qui arrive va se jouer dans les conditions du réel. Le système de son remplace le baffle portative des jours précédents et, sous le regard attentif des équipes d’accueil et de sécurité, les passants sont tenus à l’écart de l’espace de jeu. La mise en contexte apporte naturellement son lot de trac. Autour d’une table du café le plus proche, les doutes se partagent et les détails se règlent. Vêtements et chaussures sont passés au crible par la chorégraphe, tandis qu’en régie, on finit de mettre en place le dispositif technique.
Entrer dans le concret

S’il reste encore des points d’écriture à aborder – « Soyons honnêtes, on ne sait toujours pas comment on va terminer », confie Samy Devaud avec curiosité –, la confrontation à la réalité du terrain est d’ores et déjà essentielle. Pour Bouchra Ouizguen, l’enjeu est que ses danseurs « ne soient pas déboussolés » par les éléments extérieurs à la création à proprement parler. Passer d’une salle de répétitions comme la FabricA au parvis du Palais des Papes n’a en effet rien d’évident. Le sol y est irrégulier et, dans ce contexte propice à attirer l’œil des badauds, « le regard de l’autre sur soi » peut tout changer.
C’est bien dans cette traversée de l’expérience que s’inscrit l’artiste invitée par le Festival d’Avignon : « Le résultat m’intéresse moins que tout le cheminement avec eux. C’est pour ça que j’aime ce métier aussi ». Quoiqu’il en soit, l’heure n’est pas encore à la représentation. Le premier rendez-vous public officiellement inscrit dans le programme n’aura lieu que dans quelques jours. Le 4 juillet, veille du lancement du Festival, les habitants d’Avignon sont invités à assister à l’avant-première de They Always Come Back. D’ici là, les yeux des curieux ne peuvent s’empêcher de se laisser happer par le travail en cours.
Tisser des liens
Il faut dire que les danseurs attirent l’œil, tous vêtus de noir de la tête aux pieds, tandis que l’été continue de sévir à travers les derniers rayons de soleil. D’un corps à l’autre, une balle rouge s’échange à plus ou moins longue distance. Avant même d’entrer pleinement dans la répétition, l’exercice favorise le regard, l’attention, la complicité et la conscience de l’espace. « C’est l’exercice auquel Bouchra tient le plus », assure Diego Colin, pour qui cela fait écho à la démarche de la chorégraphe dans le cadre de ce projet : « Ce qu’elle a essayé de faire, c’est de travailler une sorte de corps unique, que tout le monde soit à l’écoute de tout le monde, qu’on soit tous connectés ».
Et il suffit de peu de temps pour s’apercevoir que cette attention particulière à la dynamique collective porte ses fruits. Les premiers instants du filage en témoignent. D’abord seul à occuper le grand espace, Vincent Ledieu est rapidement soutenu par le regard de ses acolytes depuis le haut des escaliers du Palais des Papes. Dans leur silence et leur immobilité, un lien fort presque palpable s’instaure immédiatement. Il ne fléchira pas jusqu’à la fin de la répétition. Au gré des tableaux de chœur, de duo/trio ou de solo, They Always Come Back devient l’expression d’une multitude de rapports à la complicité, à la liberté et aux tentatives.
Une écriture invisible
Pour Bouchra Ouizguen, cette approche traduit avant tout « une écriture invisible et visible », qui se manifeste notamment par l’improvisation et le ressenti. « Il était hors de question d’arriver avec un vocabulaire qu’ils imiteraient. C’est vivant, ce n’est pas un concept avec lequel je suis arrivée du Maroc », affirme-t-elle en rappelant toute l’importance de la rencontre comme moteur artistique. Jeffrey Edison s’en porte garant : « On a souvent parlé du langage sans qu’elle utilise ce mot-là ». À n’en pas douter, le visage de la pièce sera donc en premier lieu celui de ses interprètes. C’est d’ailleurs le cas jusque dans la trame sonore, travaillée de l’autre côté de la Méditerranée pour un précédent projet avec les voix d’une vingtaine d’autres hommes.
Tisser des liens, voilà certainement l’un des enjeux de cette 79e édition du Festival d’Avignon, dont They Always Come Back se fait l’illustration. S’y mêlent sans distinction les horizons, les expériences et les sensibilités, dans un désir de convergence et de partage. À l’invitation de Tiago Rodrigues à reprendre sa pièce Corbeaux créée en 2015, Bouchra Ouizguen préfère ainsi « le défi du temps court ». En dépit de cette temporalité particulièrement serrée, la chorégraphe ne cède rien à la hâte. « Patienter pour moi, patienter pour eux, voir naître des rencontres », tel semble être le mantra pour cette troupe passagère à découvrir parmi les premiers rendez-vous de cet été avignonnais.
They Always Come Back de Bouchra Ouizguen
Parvis du Palais des Papes – Festival d’Avignon
Les 5 et 6 juillet 2025 (Avant-première le 4)
Avec la participation de : Alain Alfonsi, Jean-Daniel Bieler, Patrick Brasseur, Diego Colin, Samy Devaud, Jeffrey Edison, Sébastien Gontier-Gilly, Mathieu Goulmant, Pascal Hamant, Léna Ledieu, Nathanaël Ledieu, Vincent Ledieu, Jean-Marc Lopez, Pierre-Alban Mochet, Frédéric Quay, Christian Riou, Julien Ronzon, Jacques Touzain
Chorégraphie – Bouchra Ouizguen