Comme Bossuet, l’entourage de Bérenger 1er pourrait dire, en cette matinée sans soleil : « ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle »… Le roi se meurt !
Se libérer de nos angoisses
Ionesco est un malin. Son théâtre de l’absurde, savant mélange de comique et de tragique, parle avant tout de la solitude de l’homme et de l’insignifiance de son existence. Dans cette pièce, il aborde un homme face à son inévitable destin, la mort. Ce roi d’un pays en décrépitude, qui a cru en son immortalité, se refuse à accepter l’idée qu’il va mourir dans quelques heures. Sa première réaction est la négation, suivie de près, comme un dernier sursaut, par la révolte. Pour finir, c’est bien de cela qu’il est question, il va se résigner.
Un grand roi
Dans son pyjama, les cheveux hirsutes, Bérenger nous apparaît dans la salle du trône, non pas comme un souverain mais comme un homme d’aujourd’hui. Cette idée est agile. Christophe Lidon place le spectateur dans la tête de cet homme en proie à ses peurs. Ainsi, toutes les « absurdités » du dramaturge prennent sens. À la fois grand enfant capricieux et malicieux, mais aussi dictatorial et de mauvaise foi, Vincent Lorimy est royal. Quel comédien !
Pour deux grandes reines
L’humain est rarement seul face à la mort, il y a son entourage. Celui-ci doit affronter également l’épreuve et chacun le fait à sa manière. À travers les deux Reines, Ionesco met en miroir deux comportements, celui de l’accompagnement et celui du refus. L’esprit pragmatique et le caractère bien trempé, sa première femme, la Reine Marguerite met toute sa puissance pour lui faire accepter la situation. Il faut préparer l’avenir, le royaume en bien besoin. Dans sa robe rouge flamboyante, la longue chevelure brune, Valérie Alane, impériale, confirme la grande comédienne qu’elle est. Son monologue final bouleverse. En bleu et blanc, chevelure blonde en bataille, pleurant à chaudes larmes, Chloé Berthier virevolte toute à son aise en Reine Marie. Celle qui se refuse à laisser son homme partir.
Des pions imposants
Tel un mage mystérieux, jouant des oracles et des potions, Thomas Cousseau incarne le médecin bourreau. Il excelle dans sa longue tirade prémonitoire sur le temps, les étoiles, le climat. En femme du peuple, servante exploitée, Nathalie Lucas est aussi drôle que touchante. En garde pittoresque, annonçant solennellement les nouvelles de la cour, Armand Eloi est impayable. Cette troupe est accordée à l’unisson par la direction de Lidon. Chacun est à sa place, avec la note juste et du talent à revendre.
Une mise en scène au cordeau
Christophe Lidon fait ressortir toute la richesse de cette parabole tragi-comique et poétique sur l’homme face à sa fin. Comme l’a voulu le dramaturge, cette œuvre est aussi un hommage au théâtre. Le metteur en scène va jouer sur les codes. Le sceptre est le fameux bâtonnier qui servait à taper les trois coups avant la représentation. La salle du trône est conçue comme un décor de film hollywoodien des années cinquante. L’action et les personnages circulent avec aisance autour du trône magistral qui se transforme en lit d’hôpital. Du très bel ouvrage.
Le roi se meurt d’Eugène Ionesco
Théâtre des Gémeaux Avignon – Festival Off Avignon
Du 5 au 26 juillet à 18h10, relâche mercredi
Durée 1h25.
Mise en scène et scénographie et Christophe Lidon
Avec Valérie Alane, Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Armand Eloi, Vincent Lorimy, Nathalie Lucas
Lumières Cyril Manetta
Musiques Cyril Giroux
Vidéo Léonard
Assistante à la mise en scène Mia Koumpan