© Christophe Raynaud de Lage

Avec Le Canard sauvage, Thomas Ostermeier en quête de vérité

Plus de dix ans après sa dernière venue, le directeur de la Schaubühne renoue avec le public du Festival d’Avignon. Pour l’occasion, il confie à ses interprètes la pièce d’Ibsen, qu’il adapte avec une modernité un brin surannée.
6 juillet 2025

Décors réalistes sur un plateau tournant, rideau qui s’ouvre à l’entrée et se ferme à l’entracte… Thomas Ostermeier emmène la Schaubühne dans l’univers d’Ibsen à travers une approche très traditionnelle du théâtre. Dans la scénographie de Magda Willi, le metteur en scène allemand propose une adaptation qui défait Le Canard sauvage de son contexte narratif original. Mais dans la réécriture qu’il cosigne avec Maja Zade, et qui voudrait placer le récit dans notre contemporanéité, les époques finissent par se confondre, altérant l’hypothèse du portrait intemporel de l’humanité dépeinte par l’auteur.

Ibsen et l’âme humaine
© Christophe Raynaud de Lage

Car il y a avant tout ce texte qui porte la signature de Henrik Ibsen. Comme toujours chez le dramaturge norvégien, le théâtre va fouiller au plus profond de l’être humain.

Dans ce matériau qui mêle le drame intime au regard socio-politique, le fils héritier des entreprises Werle vient perturber l’ordre des choses. Loin de prendre son père pour modèle de réussite, il se place en opposition, préférant défendre une certaine idée du communisme plutôt que le succès des élites. Dans ce combat qu’il semble mener sans vraiment en avoir conscience, Gregers s’arme d’un outil particulièrement efficace. Il brandit l’honnêteté comme un étendard contre l’hypocrisie du monde qui l’entoure.

Mais si son goût pour la vérité est directement lié aux effets nocifs du mensonge comme posture sociale, c’est bien dans l’intimité de la cellule familiale qu’il éclate avec d’autant plus de violence. Logé chez son ancien ami Hjalmar, l’homme est accueilli avec méfiance par les Ekdal. Et pour cause, sa réputation le précède, une aura de folie entoure son nom. Dès lors, dans la temporalité qui est la sienne, Ibsen développe une pièce sombre qui, d’acte en acte, révèle aussi toute la noirceur de l’âme humaine. Dans un quotidien gangréné par la tromperie, la franchise ressort peu à peu comme indésirable et destructrice. La dramaturgie est solide, ainsi l’auteur prend-il le public à revers.

Le jeu de la vérité
© Christophe Raynaud de Lage

Pour Thomas Ostermeier, cette pièce avait pourtant besoin de trouver un écho plus moderne. Dans son adaptation, le directeur de la compagnie berlinoise convoque des références qui rapprochent Le Canard Sauvage de notre siècle.

Musique pop ou métal pour passer d’un acte à l’autre, costumes d’aujourd’hui ou omniprésence de la technologie suggérée : qu’importe la forme pourvu qu’on ait le fond. En cela, cette version fait bel et bien ressortir l’intemporalité du texte, malgré un décor qui perturbe la lecture, coincé dans une ruralité prolétaire des années 70.

Sur un plateau tournant qui lui permet de délimiter des espaces naturalistes, le metteur en scène se met en quête d’une esthétique cinématographique. Jouant vaguement avec ce que les murs occultent, il met à profit lumières et fumée sans parvenir à insuffler un véritable élan à ses images. Dans ce décorum, les interprètes de la Schaubühne sont toutefois éclatants de justesse et de nuance. Au cœur du huis-clos qui les pousse à la confrontation, Marie Burchard, Magdalena Lermer et Marcel Kohler font face avec vigueur à un Stefan Stern à la personnalité glaçante. Pour une création qui remet en doute les bienfaits de la transparence, la sincérité du jeu s’avère définitivement salvatrice.


Le Canard sauvage de Henrik Ibsen
Opéra Grand Avignon – Festival d’Avignon.
Du 7 au 16 juillet 2025
Durée 3h avec entracte.

Tournée
12 au 21 septembre 2025 à la Schaubühne (Berlin)
23 et 24 janvier 2026 au Teatro Argentina (Rome)
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Avec Thomas Bading, Marie Burchard,Stephanie Eidt, Marcel Kohler, Magdalena Lermer, Falk Rockstroh, David Ruland, Stefan Stern
Texte – Henrik Ibsen.
Adaptation – Maja Zade et Thomas Ostermeier
Traduction – Hinrich Schmidt-Henkel
Mise en scène – Thomas Ostermeier.
Scénographie – Magda Willi
Costumes – Vanessa Sampaio Borgmann
Musique – Sylvain Jacques
Dramaturgie – Maja Zade.
Lumière – Erich Schneider
Traduction surtitrage français – Uli Menke
Traduction surtitrage anglais – Corrine Hundleby

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