Au cœur d’un dispositif trifrontal, une silhouette se tient droite derrière des rideaux de plastique transparent. Arrière-boutique de boucherie ou laboratoire clandestin, aucune des images auxquelles le décor pourrait faire référence n’est rassurante. Au fond du plateau, là où les longues bandes de tapis blanc remonte comme un mur, un texte évoque la chair et le corps, comme un accord tacite passé entre artistes et spectateurs. Alors FRANK, semblant de programme dédié à l’inhumain, peut se mettre en marche. À son service, quatre interprètes vont dès lors engager leur enveloppe physique, leur voix et leur esprit dans l’élaboration d’une vision de cauchemar toujours plus sombre.
Une certaine vision d’horreur
L’implication du corps ne fait aucun doute dans cette pièce, d’autant que la première image qui provoque l’inquiétude en émerge précisément. Au fil d’un premier tableau, le chœur infernal parcourt de long en large le carré dont il est prisonnier. La langue rouge sang et le buste penché vers l’arrière, comme tiré par les jambes qui semblent avancer seules, la vision de l’humain proposée par Cherish Menzo perturbe. Tandis que les allées et venues se multiplient, les trajectoires et les gestes s’ouvrent toujours plus au désordre. Accompagnées par l’oppressante trame sonore de Maria Muehombo, les ombres dévoilent peu à peu leurs visages. Un autre rapport commence alors à se déployer.
À travers la scénographie de Morgana Machado Marques et les lumières de Ryoya Fudetani, FRANK cherche des points de friction entre la frayeur fictive et la crainte réelle. En jouant sur une base d’apparitions et de disparitions, Cherish Menzo et ses collaborateurs artistiques font déborder la dramaturgie par-delà le plateau. Malgré les apparences, le plastique transparent ne protégera personne de ce mauvais rêve, tant la distance entre le plateau et la salle se réduit comme peau de chagrin. À force de resserrer l’étau, ce qui aurait pu être un simple spectacle vire à l’expérience collective.
Tout est chaos
Après tout, il est moins question de narration que de ressenti. C’est d’ailleurs ce qui provoque la sensation d’inconfort recherchée par la chorégraphe néerlandaise. En multipliant les moyens – humains, visuels, sonores ou textuels –, elle finit par donner vie à une forme possible de chaos. Venus alimenter des images qui espèrent défier l’attendu, les corps aux mouvements saccadés sont comme lâchés en liberté dans ce labo de l’horreur. De leur proximité ou de leur regard appuyé, difficile de déterminer ce qui est le plus angoissant. Une chose est sûre : au plateau, Malick Cissé, Mulunesh, Omagbitse Omagbemi et Cherish Menzo sont totalement habités par le projet et s’y donnent avec générosité.
FRANK se développe selon un rythme irrégulier, prenant le temps d’installer certaines atmosphères et passant rapidement sur d’autres. Dans cette approche, les tableaux ont tendance à s’essouffler, d’autant qu’à vouloir jouer sur l’imprévisible, les effets se devinent avant même d’être activés. Mais c’est bien dans le rapport qu’elle entretient entre artistes et spectateurs – et a fortiori celui que nous avons avec notre propre espèce –, que cette pièce questionne. À partir de l’artisanat et de la technique qu’elle prend pour supports, Cherish Menzo pousse en réalité les curseurs d’une humanité qui n’a pas vraiment le choix d’accepter sa prochaine évolution… monstrueuse.
FRANK de Cherish Menzo
Festival Montpellier Danse
Théâtre Jean-Claude Carrière – Cité européenne du théâtre – Domaine d’O
Les 3 et 4 juillet 2025
Tournée
Les 9 et 10 juillet 2025 à Julidans, Amsterdam, Pays-Bas
Les 24 et 25 septembre 2025 à Feeling Curious? Theater Rotterdam, Pays-Bas
Les 10 et 11 octobre 2025 au Festival Actoral, Marseille
Concept et mise en scène : Cherish Menzo
Création et performance : Malick Cissé, Mulunesh, Omagbitse Omagbemi, Cherish Menzo
Création son : Maria Muehombo a.k.a M I M I
Création vidéo : Andrea Casetti
Ingénieur du son et de la vidéo : Arthur De Vuyst
Scénographie : Morgana Machado Marques
Lumière : Ryoya Fudetani
Dramaturgie : Johanne Affricot, Renée Copraij
Costumes : Cherish Menzo
Texte : Khadija El Kharraz Alami, Cherish Menzo
Surtitrage : Jennifer Piasecki
Conseils artistiques : Khadija El Kharraz Alami, Nicole Geertruida
Régie : Pieter-Jan Buelens, Arthur De Vuyst, Ryoya Fudetani, Hadrien Jeangette
Graphisme : Nick Mattan