Au fond, sur le mur noir, des mots apparaissent. En suspens. À peine lisibles. Presque flous. Comme les premières notes d’un récit qu’on devine intime, brûlant. La vie d’un homme, d’un rockeur, d’une star à la voix grave se déploie en flows scandés, slamés. Seul, il se livre à nu. Il parle de passion, de tournées, d’un monde à la fois proche et lointain. Il parle d’amour, de feu, d’usure. Tout passe par la voix chaude et envoûtante de Laurent Sauvage, qui retrouve ici, sept ans après Seasonal Affective Disorder, les mots de Lola Molina et la direction de Lélio Plotton. Matière brute, vivante, frémissante, le texte emporte tout sur son passage.
Le décor est réduit à l’essentiel. Une terre noire, comme calcinée, s’étend au sol. Quelques arbustes métalliques marquent les traces d’un monde ravagé. Il avance pieds nus, costume rouge carmin moiré, chemise noire, silhouette fauve. D’emblée, il magnétise les regards. Il est célèbre, porté aux nues, mais il reste lucide. Il évoque la gloire et son revers. Il dit l’industrie musicale devenue rouleau compresseur, la sensation d’être pressé jusqu’à la corde.
L’amour comme faille, la voix comme résistance
Alors il donne tout. Encore. Jusqu’à l’épuisement. Il rêve d’un lien direct avec le public, sans filtre. Mais ce lien se trouble, parasité par les agents, les producteurs. Tous réclament leur part. Lui n’est plus qu’un produit. Pourtant il continue. Il espère encore. Il se bat avec ce qu’il lui reste de plus précieux, sa voix, sa musique, son groupe.
Et puis il y a cette rencontre, surgie sans prévenir. Une femme jeune, belle, farouche, qui refuse de lui parler. Son prénom est maudit, dit-elle. Elle ne veut rien de ce qu’il incarne, ce mâle blanc dominant, déjà dépassé. Elle le réveille. Elle le désarme. Elle lui ouvre les yeux sur un monde qui a changé. Mais les guerres, les ravages, les attentats écoterroristes rattrapent le rêve. Il vacille. Pourtant, il faut continuer. Vivre malgré tout. Avec les cicatrices, avec le chaos.
Une lumière fragile dans la nuit noire
Alors le texte de Lola Molina s’enflamme. Parfois grandiloquent, toujours habité. Elle dessine un personnage au bord du sublime et du pathétique. Un rocker magnifique, punk, un peu autosatisfait sans doute, mais bouleversant de lucidité. Peu à peu, l’amour d’une femme et la violence du réel le ramènent à la terre, à l’essentiel.
Une image surgit, bucolique, presque religieuse. Celle d’une mésange. Fragile symbole de fidélité et de bonheur domestique, mais surtout réincarnation de l’amour perdu. Elle l’accompagne, le guide. Elle lui apprend à accepter l’indicible, à renaître, tel un phénix désabusé, dans une ultime clarté.
La mise en scène de Lélio Plotton, parfois alourdie par les surimpressions de texte, laisse toute la place au comédien. Elle lui offre un écrin brut, noir, minéral. Laurent Sauvage y irradie. Magnétique. Incandescent. Ténébreux et fragile à la fois.
Avec Album, son dernier flow s’insurge contre sa génération, contre le patriarcat, contre l’industrie qui l’a façonné puis broyé. Porté par la présence silencieuse de la mésange, il nous entraîne dans une traversée nocturne, poétique et anarchiste. Une quête intime du plus précieux des secrets, la liberté.
Album de Lola Molina
La Manufacture – Festival Off Avignon
du 14 au 22 juillet 2025 – relâche le 17 juillet 2025
Durée 1h environ
Mise en scène de Lélio Plotton
Avec Laurent Sauvage
Scénographie d’Adeline Caron
Création lumières de Maurice Fouilhé
Création sonore de Bastien Varigault
Composition chansons de Thomas Landbo
Composition guitares de Julien Varigault