Avant d’emprunter le grand escalier du Palais Garnier, un choix s’offre au spectateur, comme souvent pour les pièces du chorégraphe israélien : s’emparer ou non des bouchons d’oreilles mis à disposition. Décider de s’en dispenser, c’est oser l’expérience radicale, quasi physique, à laquelle nous convie Hofesh Shechter, en « vivant la danse comme s’il s’agissait d’un concert ». Rarement pareille partition n’aura résonné dans la grande salle de Garnier.

Pour cette pièce intitulée Red Carpet, le chorégraphe installé à Londres depuis 2002, récemment nommé codirecteur de l’Agora – Cité internationale de la danse, à Montpellier, crée du sur mesure pour treize danseuses et danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris. Et continue de tisser le fil d’une histoire commune avec la compagnie, démarrée en 2018 avec la transmission de The Art of Not Looking Back, suivie quatre ans plus tard d’Uprising et In your rooms. Effectivement, la complicité artistique irrigue chaque pas, chaque membre de ce petit groupe se coulant à merveille dans la gestuelle unique du chorégraphe.
La vie en rouge
La pièce s’ouvre dans une ambiance festive. Les interprètes déboulent tels des clubbers exubérants et un peu superficiels, dans des tenues – signées Chanel – excentriques et sophistiquées. De loin, on les entendrait presque s’esclaffer si la musique, interprétée par quatre musiciens installés dans une sorte de tribune en fond de scène, ne saturait pas tout l’espace sonore. Ancrés dans le sol par des pliés, mais aussi parfois comme en suspension dans l’air, bustes en extension, bras levés vers le ciel, danseuses et danseurs se fondent dans cette gestuelle impulsive.
Alors que l’Opéra de Paris célèbre cette année les 150 ans du Palais Garnier, Red Carpet apparaît comme un hommage à ce lieu qui abrite tant d’histoires. Le lustre central, reproduction de celui qui trône dans le Foyer de la danse, semble être là pour en témoigner. Si Hofesh Shechter voit la vie en rouge, c’est à travers les tentures qui encadrent la scène et créent différents cadrages, de la vision panoramique au plan rapproché sur l’un des interprètes.
De la frénésie à la lenteur

Parfois, le chorégraphe nous surprend en levant le pied. La frénésie se mue en lenteur. Un mystère s’installe. Derrière le faste un peu factice sourd soudain une inquiétude ou une aspiration nouvelle. Une danseuse, Adèle Belem, commence à se dépouiller de sa belle parure. Plus tard, une autre, Ida Viikinkoski, défie longuement la salle du regard. La pièce se teinte d’une tonalité moins tapageuse, laissant les interprètes plus hagards, habités d’une fragilité nouvelle, débarrassés de leurs tenues clinquantes pour un vêtement seconde peau qui les met à nu. Soulignés par le magnifique travail de lumières de Tom Visser, ils deviennent des silhouettes dansantes, presque désincarnées.
Mais ce beau bizarre n’est pas purement esthétisant. La signature chorégraphique est là, généreuse et précise, venant éteindre la voix de ceux qui voudraient lui reprocher de ne pas assez se renouveler d’une pièce à l’autre. Au contraire, Hofesh Shechter polit une œuvre aux mille facettes qui met en valeur les interprètes et les pousse à puiser en eux des ressources nouvelles. C’est à eux que le chorégraphe déroule, avec une jubilation perceptible, ce tapis rouge XXL.
Red Carpet de Hofesh Shechter
Du 10 juin au 14 juillet 2025 au Palais Garnier
Durée 60 mn
Chorégraphie, décors et musique d’Hofesh Shechter
Costumes de Chanel
Lumières de Tom Visser
Assistante chorégraphique – Kim Kohlmann, Hofesh Shechter Company
Collaboration à la musique – Yaron Engler
Musiciens – Olivier Koundouno, violoncelle ; Sulivan Loiseau, contrebasse ; Brice Perda, instruments à vent ; Yaron Engler, batterie.
Avec les danseuses et danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris : Clémence Gross, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Laurène Lévy, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Antoine Kirscher, Alexandre Gasse, Mickaël Lafon, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard