En s’emparant de Wonnangatta de l’auteur australien Angus Cerini, traduit brillamment par Dominique Hollier, Jacques Vincey revisite un “cold case” retentissant et certainement le crime non élucidé le plus célèbre d’Australie. En 1918, le fermier Jim Barclay et son cuisinier Bamford disparaissent. Deux hommes, Harry et Riggall, se lancent dans une enquête à travers la montagne. À la croisée du road-movie et du thriller, leur périple charrie solitude, peur de la mort et violence latente.
Une langue rugueuse

Dès l’entrée du public, les comédiens Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter attendent, figés sous un faisceau de lumière, comme prêts à dégainer le premier mot. Les répliques claquent, : hachées, elliptiques, tendues. L’écriture d’Angus Cerini supprime les pronoms, dépouille les phrases, impose une scansion sèche, presque martiale.
Une langue de paysans, aride et terrienne, où la narration s’entrelace aux dialogues. Jeu précis, présence habitée et terrienne, les comédiens endossent ainsi un double rôle, personnages et narrateurs. À l’unisson, ils traversent la pièce en équilibre sur ce fil tendu entre incarnation et distanciation. Une performance tout en maîtrise.
Personnages beckettiens
L’enquête devient rapidement un prétexte à introspection. La mort de Barclay confronte Harry et Riggall à leurs propres démons, ainsi qu’à la réalité âpre de la vie de fermier dans cette Australie du début du XXe siècle, où les moindres distances se comptent en centaine de kilomètres. L’un veut comprendre, l’autre fuir.
Dans ce duo, on devine des échos beckettiens. Dans ce western théâtral, le peureux fait face à l’obstiné, le clown mélancolique, bravache. L’ironie affleure, ultime rempart contre le vertige existentiel. Elle révèle une solitude immense, une perte de repères. Une humanité nue, livrée à l’inconnu. Ultime défense humaine, l’ironie est révélatrice de leur solitude et de la perte d’ancrage dans la réalité.
Australie mentale

Le plateau, recouvert de carrés de mousse aux différentes nuances de gris, devient un terrain de jeu métaphorique. Tour à tour, les comédiens y creusent des tombes, s’y effondrent comme sous des gravats, y dessinent des reliefs. De cette matière informe, Jacques Vincey fait naître un paysage mental, mouvant, qui se réinvente à chaque scène où le spectateur y projette ses propres visions du désert, de la montagne et de l’abîme…
Les lumières tantôt zénithales, crues, tamisées ou légèrement stroboscopiques, renforcent les effets dramatiques de la mise en scène. Trois vagues de néons scandent la pièce comme autant de chapitres météorologiques. Du plein soleil à la nuit tombée, en passant par une terrible tempête de neige, ils accompagnent tout autant qu’ils soulignent la dérive psychologique des personnages. Le décor sombre se teinte peu à peu de verts inquiétants, comme dans un cauchemar de thriller rural.
Dans cette atmosphère brumeuse, une seule question reste suspendue : qui a tué Jim Barclay ? Mais peut-être n’est-ce pas la véritable énigme.
Sarah Fournier
Wonnangatta d’Angus Cerini
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières
75020 Paris
du 12 au 24 mai 2025
durée 1h30
Traduction de Dominique Hollier
Mise en scène de Jacques Vincey
Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter
Collaboration artistique- Céline Gaudier
Scénographie de Caty Olive et Jacques Vincey
Création lumière de Caty Olive
Création musicale d’Alexandre Meyer
Costumes d’Anaïs Romand
Regard chorégraphique – Stefany Ganachaud
Régie générale de Sébastien Mathé
Régie son de Maël Fusillier
Régie lumière de Thomas Cany