De quoi sommes-nous complices quand nous faisons public ? Quelle altérité notre groupe dessine-t-il ? Quelle cruauté nos regards peuvent-ils trahir ? Ce sont les questions d’un spectacle inclassable qui se dessine dans l’ombre des freak shows.
Un chapiteau de pierre

Depuis les profondeurs insondables de la Basilique Saint-Pierre aux Nonnains, une figure s’avance. Du rock progressif résonne dans ce lieu unique. Au fond, une chansigneuse s’anime pour retranscrire les paroles. La silhouette se dessine progressivement en contre jour. Encagoulée d’un masque de gorille, Jéssica Texeira s’anime dans le faisceau lumineux. Derrière elle, deux musiciens. Devant, une boule à facettes.
Captivante jusque dans ses silences, la performeuse brésilienne s’avère tantôt magnétique, tantôt complice, tantôt dérangeante. Maîtresse de cette étrange cérémonie, elle trace une filiation avec un artiste mexicaine : Julia Pastrana, longtemps surnommée « la femme singe ».
Le spectateur transformé
Que reste-t-il des freak shows, ces parades qui mettaient en scène des personnes aux caractéristiques physiques hors normes ? Le voyeurisme d’un public de théâtre est-il si différent ? Où commence l’étrange ? Que manque-t-il à Jéssica Texeira ?
Dans le plus simple appareil, l’artiste s’empare de ces questions complexes et attend du public qu’il y réponde. De ce pari impossible naissent des interactions aussi cocasses que révélatrices. Ici, la chanson ne distille pas la tension. Elle sert justement à interroger, invectiver, impliquer. Fruit d’un travail sur le public d’une radicalité admirable.
Une mémoire à vif

Ce spectacle s’avère aussi une opportunité de rendre hommage à Julia Pastrana, autrice du Monga, un numéro dont il ne reste rien. De sa pilosité faciale à sa petite taille, tout a été consigné avec attention. C’est son humanité entière qui lui a été niée et avec elle, son identité artistique.
Après une existence passée à être moquée, exhibée, rejetée, l’artiste est morte à 26 ans. Son corps a été exposée à travers le monde. Elle n’a eu le droit à une sépulture digne de ce nom qu’en 2013, 153 ans après sa mort, à Sinaloa, sa ville d’origine.
En convoquant cette figure, Jéssica Texeira nous interroge : mythe ou vérité ? De la cruauté sans borne qui a dicté la vie de la jeune mexicaine à la pitié infantilisante de ceux qui se perçoivent comme « normaux », c’est une histoire au long cours que dessine Monga. Une histoire dans laquelle le spectateur, plus que jamais arraché à sa passivité, a un rôle à jouer.
Mathis Grosos – Envoyé spécial à Metz
Monga de Jéssica Teixeira
Passages Transfestival
QG, Saint-Pierre-aux-Nonnains
22 & 23 mai 2025
Durée 1h30
Tournée
30 mai au 1er juin 2025 à l’Atheneum, Dijon, dans le cadre de Théâtre en Mai
6 et 7 juin 2025 à la Maison Folie Wazemmes, Lille, dans le cadre de Latitudes Contemporaines
10 juin à L’Atelier de Paris, CDCN, dans le cadre de June Events
Direction, dramaturgie et interprétation de Jéssica Teixeira
Directeur musical et musicien – Luma Juliano Mendes
Directeur artistique – Chico Henrique
Direction technique et éclairage – Jimmy Wong
Direction vidéo/ photographie – Ciça Lucchesi
Préparation corporelle – Castilho
Backman – Aristides Oliveira