Johan Bichot © DR
Johan Bichot © DR

Johan Bichot : « Mettre en corps les mots de Beckett »

Créé ce mardi 20 mai à La Villette dans le cadre de Plateau Cirque, Glissement Opus 2 poursuit une recherche autour de la danse acrobatique, de l’écriture scénique et du mât autonome. Rencontre avec un artiste à la croisée des gestes et des mots.

Johan Bichot : C’est venu par mon père. Il suivait des ateliers de danse avec Joseph Nadj au Centre chorégraphique d’Orléans. C’est lui aussi qui m’a emmené voir ses spectacles et ceux d’autres artistes. J’étais ado, je faisais du roller, un peu de théâtre. Un jour, il m’a conseillé la danse, il était sûr que cela me plairait. Ce n’était pas vraiment mon univers, mais j’y suis allé. Et là, j’ai senti que c’était la possibilité de trouver d’autres moyens d’expression. 

© Garance Li
© Garance Li

Johan Bichot : En parallèle de mes études, je prenais des cours de danse et de théâtre. Une prof, Laurence Levasseur – qui avait travaillé avec Mathilde Monnier – m’a guidé dans cette voie. Comme je pratiquais beaucoup d’activités sportives et artistiques, elle m’a suggéré de tenter les écoles de cirque. Elle avait mis en scène un spectacle au CNAC, elle connaissait  donc bien ce monde-là. Après le bac, je suis parti à Montpellier, à l’école du Centre des arts du cirque Balthazar, pour me préparer aux concours. J’ai été reçu à l’École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois, où je suis resté trois ans, puis à l’Académie Fratellini. Un parcours classique dans le milieu circassien, mais toujours teinté de théâtre et de danse.

Johan Bichot : Je n’ai pas choisi un agrès tout de suite. À Rosny, je faisais du trapèze volant, en tant que voltigeur. C’était très gymnique. En parallèle, je continuais la danse. À Fratellini, j’ai découvert l’équilibre, le mât chinois… Et le mât, justement, m’a suivi. Il s’est glissé dans plusieurs projets, notamment avec Joseph Nadj dans Cherry brandy, dans un musical avec Arturo Brachetti, que j’ai accompagné sur une de ses tournées pendant un an, puis dans mes propres pièces. Ce n’était pas prémédité, mais il est resté. Aujourd’hui, ma vraie spécialité, c’est la danse acrobatique, du moins en tant qu’interprète, que ce soit pour Christian Rizzo ou les Frères Ben Haim. C’est ce qui me porte le plus, ce qui me définit le mieux.

© Domitille Martin

Johan Bichot : C’est une version modifiée du mât chinois. Il n’a pas besoin d’être haubané, il tient debout sans câbles grâce à une base. C’est un objet fait de tubes emboîtés, que je peux manipuler, incliner, déplacer. Il peut être à la verticale, mais aussi penché, couché, détourné. C’est un partenaire de jeu à part entière. Le personnage du spectacle apprend à l’apprivoiser, à dialoguer avec lui. C’est une quête de verticalité qui passe par le corps, le contact et le mouvement.

Johan Bichot : C’était là depuis un moment, mais je le repoussais par manque de temps et par peur aussi. Et puis en 2019-2020, je travaillais comme interprète avec Christian Rizzo… Julie Guibert, une de ses interprètes, m’a poussé à me lancer. Ça a été le déclic. Christian Rizzo et Joseph Nadj m’ont soutenu et m’ont permis de franchir le pas.

Johan Bichot : Toujours les mêmes questions, assez simples en apparence. Comment on tient debout, pourquoi on est là, qu’est-ce qu’on fait avec ce qu’on a. C’est des interrogations existentielles que je passe au filtre du corps. Mon langage, ce sont la danse, l’acrobatie, le théâtre. C’est avec eux que je cherche des réponses, ou plutôt que je mets les questions en mouvement.

© Thomas Bohl
© Thomas Bohl

Johan Bichot : Oui. Deux textes m’ont particulièrement inspiré : Sans, tiré de Têtes-mortes, et un extrait de Textes pour rien. Dans Sans, il y a la description d’un paysage, très précise, avec au milieu, un petit homme qui tente de se tenir debout et d’avancer. J’ai eu envie de traduire ça en mouvement, de construire ce paysage sur scène, morceau par morceau, tout en faisant surgir la présence d’un corps dans cet espace. Textes pour rien, c’est un autre versant : un personnage y fantasme une vie qu’il aurait pu avoir. Dans le spectacle, il y a deux tentatives de récit, l’une balbutiante et empêchée, l’autre plus fluide, plus construite.

Johan Bichot : Le texte n’est pas plaqué, il émerge. Il prend corps. Même si la matière est métaphysique, je souhaite que chacun puisse y trouver une porte d’entrée. Glissement Opus 1 parlait de la pensée de Vladimir Jankélévitch et pourtant, les enfants y réagissaient avec joie, ils riaient. Les adultes y voyaient autre chose. Ça me plaît, cette double lecture.

Johan Bichot : J’ai commencé par manipuler des objets. Monter une scénographie en direct, tirer une drisse, soulever un tapis… Tous ces gestes deviennent une matière chorégraphique. Le mouvement naît du travail. Et même quand il n’y a plus rien à déplacer, le corps garde la mémoire de ces gestes. J’ai construit une danse concrète, ancrée, nourrie de manipulations, de déplacements, d’esquives. J’ai aussi travaillé avec Denis Lavant sur l’écriture de Samuel Beckett, il m’a donné des clés pour la comprendre et la porter au plateau. 

Johan Bichot : Exactement. Le mât n’est pas monté à la verticale dès le départ. Il se transforme. Il devient obstacle, appui, partenaire. Le personnage apprend à vivre avec. Et à la fin, il s’élève, il grimpe, il raconte. Mais il faut tout un parcours avant d’en arriver là.

Johan Bichot : Parce qu’il y a un Opus 1, bien sûr ! (rires) Celui-là était très lié à Jankélévitch et à l’idée de glissement de pensée. Le personnage est le même, il porte les mêmes vêtements, les mêmes codes gestuels. Mais il évolue, traverse un autre paysage. Dans Opus 2, j’ai intégré de nouveaux éléments : l’argile et la craie. J’ai beaucoup travaillé autour de la trace, de ce que l’on laisse derrière soi. J’écris en direct sur scène, à la craie. Ce geste fait partie du jeu. Peut-être qu’il y aura un Opus 3. Je ne sais pas encore. Je laisse venir.


Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com