Qu’est-ce que la BIAM ?
Isabelle Bertola : C’est un complément du travail que l’on mène à l’année au Mouffetard – Centre National de la Marionnette, où nous programmons des spectacles en série, afin d’offrir aux artistes une plus grande visibilité. Le festival permet de présenter des spectacles internationaux, ce que nous ne pouvons pas toujours faire dans le cadre d’une saison. Avec la 12e Biennale, nous présentons des spectacles venus d’un peu plus loin. C’est le cas du premier spectacle qui ouvrira l’édition au Mouffetard le 13 mai, Body Concert de Kevin Augustine. Cet artiste, danseur, performer américain, proche du butō, vient pour la première fois en France.
La BIAM est aussi un moyen de faire rayonner sur plusieurs lieux les arts de la Marionnette…

Isabelle Bertola : Ce festival rayonne sur plusieurs lieux à Paris et en banlieue. Ces partenariats permettent d’élargir la programmation et de faire circuler les publics d’un théâtre à l’autre, d’une ville à l’autre. Ce qui est pertinent pour les artistes. C’est un vrai travail de coopération qui mobilise des personnes ensemble pour défendre et promouvoir les arts de la marionnette.
Cela permet aussi – car, malheureusement, la salle du Mouffetard ne s’y prête pas – de programmer des grandes formes…
Isabelle Bertola : Effectivement, certains spectacles nécessitent des plateaux plus grands, plus vastes, et surtout une cage de scène plus haute. Grâce à nos partenaires avec lesquels nous nous engageons pour le festival, nous pouvons présenter des grandes formes avec une jauge plus importante.
L’art de la marionnette est un vaste monde où l’imaginaire règne en maître, un art extrêmement riche…
Isabelle Bertola : Les marionnettistes s’inspirent et puisent leur technique dans les formes traditionnelles. Lorsque l’on crée un spectacle, il faut savoir maîtriser les fondamentaux pour être au bon endroit de la manipulation. En revanche, les imaginaires sont débridés (le propos, le sujet, le récit, l’histoire). Il y a une grande liberté dans les arts de la marionnette aujourd’hui, dont les artistes s’emparent pour donner du sens aux propos qu’ils ont envie de mettre sur le plateau.
Dans tout ce foisonnement, comment faites-vous votre programmation ?

Isabelle Bertola : Cela fait plus de trente ans que je travaille dans ce secteur. J’ai donc une bonne connaissance des compagnies, des artistes qui travaillent depuis longtemps. Je suis de très près les travaux des jeunes marionnettistes qui sortent des écoles, comme l’ESNAM à Charleville-Mézières, mais aussi d’autres comme le Théâtre aux Mains Nues à Paris ou l’école de formation à Mons, en Belgique, qui présente des travaux très intéressants. Étant curieuse, je me rends disponible pour aller voir beaucoup de choses. J’essaye également d’être présente pour assister aux sorties de résidences, suivre des étapes de travail. C’est par cette connaissance des projets que je peux faire des choix. Je suis assez attachée aux contenus des spectacles et à ce qu’ils vont soulever comme problématiques, comme questionnements sur notre société… La programmation est assez variée, mais ce sont globalement des sujets engagés.
Quels sont les points forts de cette 12e BIAM ?
Isabelle Bertola : Plusieurs sujets reviennent, car les artistes marionnettistes vivent dans la société telle qu’elle est aujourd’hui. Leurs préoccupations sont celles des citoyens. On a des spectacles qui questionnent le monde vivant et la transformation écologique, comme Poussière de la compagnie Infra, qui porte sur la renaissance après un grand chaos, Cosmohills du Fras – Puppet Theatre Company, qui est l’histoire d’un volcan qui entre en éruption. On a aussi Sous Terre de la compagnie Matiloum, qui questionne le monde vivant souterrain.
Il y a aussi des sujets en lien avec l’intelligence artificielle ou l’évolution technologique. Je pense à Jean-Clone, spectacle dans lequel Julien Mellano du collectif Aïe Aïe Aïe traite avec beaucoup d’humour du clonage et des imaginaires qui en découlent. De la même manière, Mathieu Enderlin, avec Code Source, se questionne sur la place du téléphone mobile avec lequel on est connecté presque 24h/24. Parmi les sujets politiques, il y a Subjectif Lune, dans lequel la compagnie Les Maladroits s’amuse, à travers l’histoire des premiers pas sur la lune, à questionner les fake news, les complotistes, les négationnistes.

Il y a aussi l’Histoire, avec Min El Djazaïr de la compagnie Hékau, qui raconte les itinéraires individuels et collectifs d’une famille juive à Alger en 1950. Il y a un très beau spectacle slovène à voir en famille, Somewhere Else, qui raconte, à travers l’histoire d’une petite fille ayant perdu son chien, toute la problématique de vivre dans un pays en guerre. Et sur la question du colonialisme, il y a aussiLes Lettres de mon père d’Agnès Limbos.
Vous vous battez depuis des années pour que les arts de la marionnette soient plus reconnus, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Isabelle Bertola : Ça avance, mais il y a encore du chemin à parcourir. Il y a eu des grandes étapes, quand même. L’implantation du Théâtre de la Marionnette à Paris, qui a été itinérant pendant vingt ans, au théâtre Mouffetard. Avoir un lieu dédié à la marionnette au cœur de la capitale a été une étape importante pour sa reconnaissance. Cela nous a permis de travailler sur des séries et surtout de donner une reconnaissance à la forme artistique. Une autre étape a été la labellisation de ce lieu, mais aussi de six autres lieux en France, qui sont aujourd’hui labellisés Centres Nationaux de la Marionnette.
Cette labellisation est très importante…
Isabelle Bertola : Ce 13e label est, du point de vue de l’État, une reconnaissance qui fait avancer la cause. Avant cette labellisation, il y a eu les conventionnements de certains théâtres municipaux, qui pouvaient opter pour une discipline majeure – le jeune public, la danse, les arts du cirque – dans leur programmation. Cela leur permettait de donner de la visibilité à une forme artistique sur leur territoire. Certains directeurs de ces lieux ont souhaité s’ouvrir à la marionnette. Le Théâtre à Ifs, en Normandie, est le premier théâtre à avoir été conventionné « formes inclassables », incluant les arts de la marionnette et du cirque, avant 2007. Par la suite, d’autres théâtres ont sollicité un conventionnement « marionnette ». Une fois que les DRAC ont accepté ce conventionnement, il s’est répandu.
Ce furent les prémices de la labellisation et de la naissance des Centres Nationaux de la Marionnette. Aujourd’hui, il y a le Pôle de la Marionnette à Charleville-Mézières, qui rassemble le festival et l’Institut International de la Marionnette en une seule structure. Tous ces actes ont permis de faire avancer l’image de la marionnette. Ce qui est également important, c’est la nomination d’artistes marionnettistes à la tête de Centres Dramatiques Nationaux. Je pense aux Anges aux Plafond à Rouen, Bérangère Vantusso à Tours. Avant il y a eu Renaud Herbin à Strasbourg, Johanny Bert à Montluçon.
Avec les spectacles de Johanny Bert accueillis au théâtre de l’Atelier, le succès d’Une Maison de Poupée au Rond-Point, on a le sentiment que les arts de la marionnette commencent à trouver une ouverture vers le grand public…

Isabelle Bertola : Renaud Herbin, Yngvild Aspeli, Alice Laloy, Bérangère Vantusso sont des artistes que nous avons accueillis dès leur sortie d’école dans notre festival Scènes Ouvertes à l’Insolite. Nous avons poursuivi notre collaboration en les programmant au fil de nos saisons. Leur art a évolué, a grandi, et d’une certaine manière s’est aussi précisée. Un plus grand nombre de directeurs de lieux, en France et à Paris, ont pu voir leur travail, s’y intéresser et donc les intégrer à leur programmation. Cela ne fait qu’amplifier cette reconnaissance. Cela ne fait qu’amplifier cette reconnaissance.
Comment vous projetez-vous dans l’avenir ?
Isabelle Bertola : Pour le Mouffetard – Centre National de la Marionnette, la projection est celle d’un déménagement. Il faut absolument que la Ville de Paris, le Ministère de la Culture, la DRAC Île-de-France s’engagent ensemble pour trouver un lieu adapté aux projets des artistes. Ce Centre National de la Marionnette a besoin d’au moins deux salles, avec un plateau plus grand, plus profond, plus haut, pour vraiment accueillir toutes les formes qui existent aujourd’hui.
Par ailleurs, il faut que le Centre de Ressources, qui existe déjà, trouve aussi sa place, et que toutes les actions que l’on mène puissent se développer. Et, bien évidemment, des moyens financiers supplémentaires, l’équivalent d’un CDN, pour que les artistes puissent créer dans de bonnes conditions et qu’ils aient rapidement la possibilité de montrer leur ouvrage, avec un nombre suffisant de représentations pour qu’ils soient remarqués. Comme les artistes l’avaient exprimé dans une lettre ouverte réclamant un lieu plus vaste et mieux équipé, il est nécessaire, et même extrêmement urgent, que ce théâtre déménage.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
12e Biennale Internationale des Arts de la Marionnette
Du 13 au 28 mai 2025