Un samedi de mai, quelques heures avant de monter sur scène, Charly Voodoo s’installe dans un café de quartier, à deux pas du mythique Théâtre de l’Atelier. Pantalon de survet blanc, débardeur immaculé, kimono noir ample, baskets TN à paillettes, Le sourire est franc, le geste vif, il est ici chez lui. Montmartre est son terrain de jeu. Il tutoie le patron, s’installe confortablement. Ses mains volent à mesure qu’il parle, ponctuent ses phrases de mouvements amples. Il s’exprime vite, sans détour, avec un mélange d’élan et de précision.
Le piano, une passion tardive mais obsessionnelle

Hors norme, singulier, irradiant, il l’est depuis l’enfance. Loin d’un parcours classique, il commence le piano à 14 ans. Tard, souligne-t-il avec malice, mais clairement sans modération, avec un désir de tout dévorer, de parcourir sans satiété les touches blanches et noires de l’instrument. « J’étais le plus vieux du groupe au conservatoire. Mais j’ai foncé. Je jouais sept à huit heures par jour. Le dimanche, je me levais à l’aube. Je ne savais pas m’arrêter. » Plus qu’une passion, la musique, et tout particulièrement le piano, devient une véritable obsession. « Je ne mangeais plus le midi. Mes parents avaient transformé le sous-sol, juste en dessous de ma chambre, en pièce insonorisée pour y installer mon piano. Je pouvais jouer nuit et jour. »
« La musique est entrée dans ma vie avec La Leçon de piano de Jane Campion. Les premières fois où le film est passé à la télé, je n’avais pas le droit de le voir. J’avais six ou sept ans. Alors caché, dans le couloir, j’écoutais la bande-son. La musique me fascinait. » Des années plus tard, en rangeant avec son frère l’impressionnante collection de VHS de leur père, il tombe sur la cassette. Jubilation. Il arrête tout, laisse son frère en plan, s’enferme dans la maison, volets clos et la regarde seul. « À la fin, il y a des mouches sur l’écran gris et blanc. Je suis resté là dix minutes. À ce moment précis, j’ai compris que ce serait ma vie, l’art, la musique. »
Jouer, ne faire que ça
Il apprend vite. Trop vite pour sa professeure. « Elle me donnait trois morceaux, je faisais tout le bouquin. J’avais besoin de dévorer. Dès qu’on allait quelque part, chez des amis, dans un resto, s’il y avait un piano dans un coin, je devenais fou. C’était un défi de ne pas y toucher. C’était une drogue, une vraie addiction. »
Afin de canaliser son énergie, ses parents l’inscrivent au conservatoire à Toulon, puis à Paris, où sa mère s’installe. En parallèle, il découvre l’improvisation, le plaisir de se perdre dans l’erreur. « Je travaillais un morceau, je me trompais, je préférais la fausse note. Je partais en digression pendant une heure. Et à la fin, j’étais crevé. Je n’avais pas avancé sur le morceau, mais j’avais créé et appris. » Ingérable ou presque, il déconcerte ses profs qui ne savent que faire de lui. Qu’il ait travaillé des heures, nul doute, mais jamais exactement l’exercice demandé.
Dix ans d’enseignement, et un virage

À 20 ans, formation terminée, une amie lui propose un remplacement dans un conservatoire de banlieue. Il hésite, puis accepte. Sans imaginer que cela l’ancrerait dix ans dans l’enseignement. « C’était ma première expérience. J’ai eu le poste, et je suis resté. »
Mais au fil des années, l’envie s’émousse. « La génération avait changé. Les enfants auxquels j’enseignais étaient de plus en plus connectés à leurs écrans. C’était très compliqué de capter leur attention, de leur imposer une rigueur. Je me suis dit : je ne vais quand même pas ne plus aimer la musique à cause de ça. »
Madame Arthur, une nouvelle vie
En novembre 2015, Madame Arthur rouvre ses portes pour une soirée exceptionnelle, après des années de fermeture. « Un ancien ami me propose de faire partie du trio fondateur de cette nouvelle ère. J’y vais : j’aime jouer, me déguiser, transgresser les codes, et je joue du piano. » À la fin de la soirée, le patron des lieux les remercie pour l’ambiance et leur propose de revenir la semaine suivante. Malheureusement, c’est le 13 novembre 2015, jour des attentats, ils sont en loge, maquillés, prêts à monter sur scène quand la nouvelle tombe. « On a joué dix minutes. C’était trop dur. Le patron n’a cependant pas baissé les bras et nous a demandé d’être là le samedi suivant. Et ça ne s’est plus arrêté. »
Charly Voodoo trouve au cabaret un terrain d’expression libre. Il y chante, compose, se travestit. « Madame Arthur, c’est la fête, mais c’est aussi un endroit où on peut faire passer énormément de messages. Et surtout, chaque soirée est différente. En dix ans, je n’ai jamais vécu deux fois la même chose. Parce qu’on laisse la place au public. Et on s’autorise à réagir. Aujourd’hui, on est 25 dans la troupe, et « Je suis le dernier des premiers ». » Le cycle est comme bouclé.
Le chant, longtemps un tabou

Chanter ne va pas de soi. « C’était très dur pour moi. Très intime. Comme traverser la rue nu. » D’abord, il fredonne en se cachant, dans un registre parlé-chanté. Puis, petit à petit, il s’y met. Et y prend goût. « Des amis chanteurs m’ont dit : mais tu chantes bien. Tu devrais prendre des cours. Aujourd’hui, je le fais naturellement. Je pense que je joue mieux du piano que je ne chante. Mais ça ne me pose plus aucun problème. »
Théâtre : un nouveau chapitre
En 2024, Valérie Lesort, qu’il avait déjà croisée grâce à des connaissances communes, l’appelle. Elle monte Que d’espoir !, une pièce construite à partir des textes d’Hanokh Levin. « J’aime son univers baroque et déjanté. J’ai dit oui. Sans savoir ce que ça allait donner. C’était aussi le bon timing. Cela faisait dix ans que j’étais à Madame Arthur. Alors tenter une nouvelle expérience, pourquoi pas ? Et puis j’ai lu les textes. J’ai ri. J’ai été embarqué. »
Non seulement elle lui demande d’être sur scène, de jouer du piano, d’incarner différents personnages, mais aussi de composer la musique. « Je ne voulais pas de références. Je ne voulais rien entendre de ce qui avait été fait. J’ai improvisé à partir des textes, des voix. J’ai pris mon temps. Les premières répétitions m’ont permis de capter des intentions, des intonations, des rythmiques et des sonorités. »
Il doute. Beaucoup. « Je ne suis pas un acteur. À la fin de la première semaine de répétitions, j’étais certain de me faire virer. » Mais les retours sont bons. La musique plaît. La scène prend.
Et la suite ?
Charly Voodoo avance par cycles. « Dix ans d’études. Dix ans d’enseignement. Dix ans de cabaret. Aujourd’hui, pourquoi pas tenter ma chance au théâtre ? Tout est possible, je refuse les barrières. L’important, c’est de vivre, d’être heureux. »
Le cinéma ? Il y pense. Il aime l’ambiance des tournages. « Arriver à 6h du matin, boire un café dégueu, dire bonjour à tout le monde. J’adore les plateaux. J’adore toute la machinerie. » Il ne cherche pas à briller, mais à créer, à rencontrer de nouveaux personnages, à être bien entouré. Il ne souhaite pas entrer dans une case, mais ouvrir des espaces. « Ce que je joue, c’est moi. Une version augmentée. Mais ce n’est pas un masque. »
Et pour le public, l’effet est là : sincère, drôle, précis. Comme un poisson dans l’eau dans le Montmartre bigarré d’aujourd’hui, Charly Voodoo avance à sa manière. En touchant juste.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Que d’espoir ! Cabaret théâtral – Textes choisis parmi les cabarets de Hanokh Levin
Textes français de Laurence Sendrowicz © Éditions Théâtrales
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris
à partir du 24 avril 2025
Durée 1h10 environ
Mise en scène Valérie Lesort assistée de Florimond Plantier
Avec Valérie Lesort en alternance avec Céline Milliat-Baumgartner, Hugo Bardin, David Migeot, Charly Voodoo
Collaborateur artistique – Hugo Bardin
Composition de Charly Voodoo
Création lumières de Pascal Laajili
Mise en espace de Robin Laporte
Création costumes et prothèses de Carole Allemand
Réalisation costumes – Elisabeth Cerqueiras, Lucie Charrier, Maxence Moulin, Fabienne Touzi dit Terzi, Carole Allemand
Réalisation prothèses – Laurent Huet, Maxence Moulin, Carole Allemand
Perruques et maquillages – Hugo Bardin
Régie de scène – Élodie Galmiche et Klore