Le personnage de Georges Duroy imaginé par Maupassant, tout comme l’Octave Mouret de Zola, doit son irrésistible ascension aux femmes. Grâce au sexe dit faible, ce fils d’aubergistes normands devient Baron du Roy de Cantel. Si l’amitié lui a ouvert les portes d’une belle carrière de journaliste, l’amour lui a donné l’argent et la gloire.
L’ambition n’a pas de prix

Georges – surnommé Bel-Ami par les femmes de son entourage – est un antihéros par excellence. Avec sa gueule d’ange, son sourire ravageur, son regard naïf, l’homme cache un terrible prédateur. Si l’histoire se passe au XIXe siècle, elle résonne toujours aussi fortement dans ce XXIe siècle, qui grâce au mouvement #Metoo aura débuté par une profonde prise de conscience.
Comme pour L’Écume des jours, Claudie Russo-Pelosi a découpé les différentes parties du roman en saynètes qui s’enchaînent dans de beaux mouvements. La metteuse en scène prend un parti esthétique très habile. Elle utilise des arrêts sur images qui font songer aux daguerréotypes de l’époque et permettent une respiration dans ce récit foisonnant. Par un système ingénieux d’accessoires posés sur des roulettes, le plateau se transforme en rue de Paris, jardin, bistrot, salon mondain, théâtre, salle de presse… N’oubliant pas qu’au-delà des histoires de cœurs, Maupassant décrivait son siècle, elle a su en faire ressortir la quintessence.
Un homme à femmes peu affable
En bonne meneuse de troupe, elle s’est entourée des compagnons de route de son précédent spectacle. Dans le personnage de Georges le Bel-Ami, on retrouve celui qui incarnait Vian, Aurélien Raynal. Le comédien possède les atouts nécessaires dont le charme et la fougue, pour incarner à la perfection ce grand manipulateur. Très proche de Dom Juan, sans foi ni loi, le sourire ravageur, le regard frisant, il passe de l’une à l’autre sans se soucier des conséquences, ne craignant aucun jugement.
Une galerie de personnages croquée avec soin

Dans le rôle de Clotilde de Marelle, la maîtresse qui met le pied à l’étrier à Georges, Sara Belviso est divine. Clémence Roche incarne avec une belle sensibilité, Madeleine Forestier, cette femme de talent journalistique perdue dans l’ombre des hommes du XIXe, et Rachel, la prostituée qui se venge. Hanna Rosenblum émeut dans les fragilités et les tourments de la pauvre Mme Walter qui se meurt d’avoir aimé un ingrat. Sophie Condette s’est glissée avec aisance dans les personnages des jeunes filles en fleurs, Laurine et Suzanne. Ces comédiennes remarquables dressent de magnifiques portraits de femmes.
Adrien Grassard livre une interprétation sensible dans les différents rôles du narrateur qui ponctue les scènes, du propriétaire du journal M. Walter et du poète pessimiste Varenne. Dans les personnages de Forestier, l’ami qui aide Georges à trouver sa place dans la société, et de Laroche-Mathieu, le ministre en vue, Aymeric Haumont fait preuve de justesse et de retenue. Ensemble, ils dessinent, sans forcer le trait, un portrait convaincant des hommes de l’époque. Ce Bel-Ami est une proposition soignée, que l’on recommande avec intérêt.
Marie-Céline Nivière
Bel-Ami d’après Guy de Maupassant
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Du 30 avril au 27 juillet 2025
durée 1h20.
Mise en scène et adaptation Claudie Russo-Pelosi
Avec Aurélien Raynal, Sara Belviso ou Coline Girard-Carillo, Aymeric Haumont ou Thomas Lefrançois, Clémence Roche ou Emma Laurent, Adrien Grassard, Hanna Rosenblum ou Julie Bordas, Sophie Condette ou Messaline Paillet
Lumières Dan Imbert
Costumes Marie-Coralie Sussan et Clare Robinson
Décor Fabrice Puissant
Ambiance sonore Claudie Russo-Pelosi
Arrangement musical Adrien Ribat et Pablo Clevenot
Animation visuelle Marguerite Teulet.