Quelle est la genèse de ce projet ?
Halory Goerger : Jack est un spectacle de théâtre musical pour trois interprètes et un DJ. Le point de départ vient de mon travail avec des musiciens aux horizons variés : musique contemporaine, expérimentale ou opéra. J’ai ressenti un manque sur les plateaux de théâtre. Les musiques dites « dures », comme la techno ou l’électro, sont peu représentées. Elles sont souvent utilisées pour illustrer des moments de fête ou de démesure, mais rarement intégrées dans le langage scénique sur toute une pièce. J’ai donc voulu créer un spectacle où elles prennent toute leur place, en confrontation directe avec la parole.
Comment avez-vous construit ce lien entre la musique et le texte ?

Halory Goerger : L’idée était de mettre en scène un groupe de parole inspiré du protocole des Alcooliques Anonymes, mais dont les membres sont confrontés à des troubles liés aux phénomènes sonores. Ils ne sont pas là pour guérir, mais pour apprendre à vivre avec. Chaque personnage développe une relation particulière avec la musique, qui devient un outil d’introspection et de partage. Le DJ ne se contente pas de jouer des morceaux : il recrée des contextes sonores, manipule la matière du son en lien direct avec les récits des personnages.
Vous avez fait une résidence aux États-Unis, en quoi cela a-t-il influencé votre écriture ?
Halory Goerger : Lors de ma résidence à Chicago et à Détroit avec la Villa Albertine, je suis allé voir de près les groupes de parole et leur mise en scène implicite. Il y a une dynamique très théâtrale dans ces cercles de discussion : la manière dont les gens se relaient la parole, la ritualisation des prises de parole, tout cela m’a inspiré pour la structure dramatique de Jack.
Comment le DJ interagit-il avec les comédiens ?
Halory Goerger : Cosmic Neman, le DJ, joue les extraits qui posent problème au groupe, en appuyant le phénomène : par exemple, pour comprendre l’influence du passage couplet/refrain sur la colère, il va ralentir progressivement jusqu’à trouver « le » moment exact où il y a crispation.
Un des comédiens se sert d’un morceau de house pour organiser une sorte de confession publique : là, les techniques classiques de club viennent renforcer l’effet.
Le DJ est un personnage muet, mais il influence activement la dynamique de la pièce.
La pièce était initialement pensée en quadri-frontal, mais elle sera jouée en frontal à l’Aquarium. Cela change-t-il l’expérience ?

Halory Goerger : Le quadri-frontal immergeait le spectateur dans le dispositif du groupe de parole, comme s’il en faisait partie. L’adaptation en frontal change l’expérience, mais nous avons ajusté la mise en scène pour que l’esprit du spectacle demeure intact. Ça fait partie du jeu de s’adapter aux contraintes techniques et économiques des contextes dans lesquels nous jouons.
Comment le spectacle articule-t-il texte et musique ?
Halory Goerger : La parole ne vient pas seulement recouvrir la musique, elle s’intègre à elle. Nous avons travaillé sur des « études » sonores où le timbre d’une grosse caisse évolue à la demande des personnages, mesure après mesure. C’est à la fois de la techno minimale et de la poésie sonore en groupe.
Parfois, on travaille uniquement l’acoustique et le volume, en tordant un impromptu de Schubert jusqu’à la saturation.
Quel impact espérez-vous que Jack ait sur le public ?
Halory Goerger : J’espère que le spectacle fera résonner chez les spectateurs leur propre rapport à la musique. Nous avons tous des morceaux qui nous hantent, qui réveillent en nous des émotions vives. Jack explore cette dimension et interroge la place du son dans nos vies, entre fascination et obsession.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jack d’Halory Goerger
Création au Phenix – Scène nationale de Valenciennes du 13 au 14 novembre 2024
Reprise
12 et 13 février 2025 au Théâtre de l’Aquarium dans le cadre du Festival Bruit
Conception et mise en scène d’Halory Goerger
Direction musicale de Cosmic Neman
avec Lisa Harder, Antoine Cegarra, Antoine Pesle, Cosmic Neman
Son de Marion Camy-Palou