LEs meutes d'Éloïse Mercier © Vincent Bérenger
© Vincent Berenger

« Les Meutes » ou comment se jeter dans la gueule du loup

Au Château de Saint-Chamand, hors-les-murs de la Manufacture d'Avignon, c'est sur le mode du conte qu'Eloïse Mercier s'attaque au carcan de la vie conjugale. Mais dans cette métaphore filée, subsistent quelques nœuds.

C’est une histoire d’amour hétérosexuelle comme il en pleut par milliers sur les écrans et sur les planches. Lou est une jeune femme qui trouve du charme dans l’aplomb de son partenaire et qui bien vite se plie à sa vision du couple, de la famille et, tant qu’à faire, du monde. Par le registre du conte, Éloïse Mercier promet un pas de côté, une distance, vis-à-vis de ce personnage, porté par un désir sourd d’émancipation. Cette narration à deux voix tend vers l’omniscience et fait peser sur la jeune femme une lourde fatalité.

Très vite, « quelque chose se resserre ; des mâchoires, des points de vue ». Les fulgurances du texte viennent sublimer cette envie de fuir de la future épouse, parquée dans une forêt d’immeubles gris. « Domestiquée » par sa belle-famille catholique qui la juge tantôt trop belle, tantôt trop libre, Lou peine à reconnaître l’homme qu’elle a aimé. À cette réflexion, un Dennis Kelly apporte d’ailleurs une réponse cruelle : cet idéal, il n’a probablement jamais existé.

LEs meutes d'Éloïse Mercier © Vincent Bérenger
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Eloïse Mercier file une métaphore pour parler des errances de la vie conjugale. Prise au piège dans sa belle-famille, son personnage se sent traquée comme un loup. Alors que la présence des chasseurs se fait de plus en plus pesante, le danger va croissant et il semble évident que la future mariée est une proie. L’idée d’une femme-loup qui s’invite dans chaque scène avec une série de jeux de mots et autres expressions communément partagées : « hurler avec les loups », « il y a un loup », « connu comme le loup blanc »…

Malgré la prégnance de ces parallèles, subsistent parfois quelques zones d’ombre. Notamment quand la famille semble toute désigner pour incarner cet esprit de meute que laisse envisager le titre. À travers la pression qui pèse sur la future épouse, tout un environnement social se dessine et avec lui, du mépris pour « ce qui ne va pas avec la tapisserie ». Mais si la famille est meute et que la jeune mariée est loup, pourquoi cette incompatibilité ? Le loup est-il victime ou bourreau ? Enlisé dans les contradictions de nos métaphores animales, le propos se trouble.

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C’est sans doute avec ces double sens que la proposition tend à perdre en radicalité. Sans rien taire de la complexité des relations amoureuses, sûrement est-il possible d’imaginer un message plus clair, plus universel. Si le texte vient parfois surexpliquer les situations, il tend parfois à se contredire. Cet entre-deux vient d’ailleurs se matérialiser dans les choix scénographiques. Au registre du conte et au métaphorique répond un décor plus littéral dans lequel les écrans représentent minutieusement les descriptions du texte.

Les Meutes fourmille pourtant de vraies trouvailles poétiques et jouit d’une grande cohérence artistique, notamment du fait de sa bande originale. À sa décharge, la pièce souffre sûrement la comparaison avec la myriade d’analyses du modèle hétérosexiste qui ont été portées sur scène. Le spectacle n’est que l’arbre qui cache la forêt, ce qui ne l’empêche pas de demeurer un bel objet théâtral.


Les Meutes d’Éloïse Mercier
Festival off Avignon

La Manufacture – Château de Saint-Chamand
2 rue des Ecoles
84000 Avignon

jusqu’au 21 juillet 2024 à 12h45 – relâche les 10 & 17 juillet 2024
durée 1h30

Avec Eloïse Mercier et Gautier Boxebeld
Création sonore Vincent Berenger
Collaboration artistique Sophie Engel et Gautier Boxebeld
Création vidéo Vincent Berenger et Eloïse Mercier
Création lumières Jean-Louis Barletta
Scénographie Eloïse Mercier
Construction décor Jean Louis Barletta
Costumes Augustin Rolland, avec la participation de Corinne Ruiz
Arrangements et mixage Charlie Maurin
Violoncelle Martin Baudu
Accompagnement recherches Noé Mercier
Son à Avignon Mateo Provost
Lumières à Avignon Côme Poupinel
Avec la participation vidéo de Bernard Traversa
Ainsi que de Lina Belhadj, Michel et Nicole Braxmeyer, Claude Buisson, Sara Chantraine, Guy Chiambaretto, Tiphaine Chopin, Camélia Dahmani, Cécile Grillon, Ylies Hassoun, Evan Leclerc, Olivier Lemierre, Shymene Ouraga et Didier Taveau.

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