Répétitions au TNS de Lacrima de Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez
Répétitions au TNS de "Lacrima" de Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez
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Caroline Guiela Nguyen dans les coulisses d’une maison de haute couture

À quelques jours des avant-premières de LACRIMA au TNS, qu’elle dirige depuis septembre dernier, et avant de s’envoler pour le Festival d’Avignon, l’autrice et metteuse en scène lève le voile sur l’intimité d’un secret bien gardé, celui de la confection de la robe de mariée d’une princesse anglaise.

Au centre du tout nouveau projet de Caroline Guiela Nguyen, le premier qu’elle porte en tant que directrice du TNS, il y a des ateliers : ceux d’une grande maison de haute couture à Paris, ceux d’une dentellerie à Alençon et ceux d’une broderie à Mumbaï. À quelques jours des avant-premières du spectacle, l’autrice et metteuse en scène a accepté de nous ouvrir les portes de ses répétitions. Et ce qui nous frappe tout d’abord, c’est l’effervescence au plateau. Telle une ruche habitée de mille ouvrières, la scène de la salle Koltès fourmille de comédiennes, de comédiens, mais aussi de techniciens et techniciennes, de retoucheuses et de membres de l’équipe venus assister au filage d’une des parties centrales de la pièce.

Lacrima de Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Au cœur de cette ébullition, deux personnages, l’un de chair et de sang et l’autre, inanimé, fait de rembourrage, de bois et de tissu. La voix calme, posée, Caroline Guiela Nguyen donne à chacun quelques consignes, revoit rapidement les enchaînements entre les scènes. Précise dans ses mots, elle mène sa troupe avec beaucoup de délicatesse, faisant en sorte que tout le monde trouve sa place. Face à elle, en hauteur, posé sur une grande table de bois clair, un mannequin de couture sans tête arbore fièrement une robe blanche à peine esquissée. Entre les deux, un rapport singulier, une histoire de secret bien gardé, qui a nourri sur ce projet l’écriture de l’autrice et metteuse en scène. « C’est en tombant sur un article faisant le récit de la création de la mythique robe de mariée de Lady Di, digne d’un roman d’espionnage tant la confidentialité et la peur de fuite dans la presse étaient au cœur de cette aventure, que l’idée m’est venue d’écrire un spectacle autour de la réalisation d’une tenue extraordinaire. Non pas que la royauté m’intéresse ou que la mode me passionne, mais ce que je trouvais fascinant, d’autant que cela faisait écho à une thématique que j’avais déjà travaillée mais pas encore de manière frontale, c’était le secret. »

Ayant à cœur un dispositif choral d’où s’entrelacent et se tissent des récits intimes, Caroline Guiela Nguyen a imaginé une unité de lieu : un atelier de couture modulable permettant de passer de Mumbaï à Alençon ou à Paris en un rien de temps. Un écran surplombant la scène permet de situer l’action en cours au plateau, tout en observant ce qu’il se passe au même moment dans les autres endroits de l’intrigue. « Derrière l’histoire de cette robe de princesse, que je trouve très mainstream et populaire, ce qui m’intéressait tout particulièrement était d’aller à la rencontre de ces petites mains, de ces gens de l’ombre, qui sont les chevilles ouvrières indispensables. Sans elles, il n’y a pas de robe. Mais derrière leur savoir-faire, il y a des vies avec leurs joies et leurs peines, et c’est cela que je voulais porter au plateau. »

D’horizons très différents, les comédiennes et comédiens, qu’ils soient professionnels ou amateurs, ont à cœur de rendre réel ce qui se passe sur scène. « Il est essentiel que l’on croie ce qui se passe sur scène. En tout, cas je dois pouvoir me dire que c’est réel. Tous ont donc travaillé étroitement avec l’atelier de costumes du TNS et Benjamin Moreau, mon costumier. Que ce soit Maud [Le Grevellec] qui incarne la première d’Atelier, que ce soit Nanii, artiste venant du rap, ou Vasanth [Selvam], comédien que l’on a pu voir dans Dheepan de Jacques Audiard, tous ont de près ou de loin un lien avec la couture et ont eu envie de creuser ce rapport singulier. »

Dans un souci de réalisme, l’autrice et metteuse en scène a demandé à son costumier de créer différentes pièces de haute couture. « Au cours des différents voyages que nous avons effectués avec Caroline, explique Benjamin Moreau, notamment en Inde, j’ai fait énormément de croquis, imaginé différentes tenues. Je me suis aussi beaucoup inspiré des créations d’Alexander McQueen et de Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la maison Dior depuis 2017. Ce qui m’intéressait, c’est leur capacité à mélanger les matières, les styles. C’est extrêmement visuel. Ainsi, où que l’on soit dans la salle, on a l’impression de luxe. »

Pour comprendre le projet de l’autrice et metteuse en scène, il faut d’une part visiter les ateliers de costumes, mais aussi s’intéresser à cet artisanat ancestral qui fait la rareté des vêtements haute couture. En compagnie de Benjamin Moreau, nous suivons les dédales du TNS, passons par les loges, avant de pénétrer dans le lieu où toutes les robes et les costumes du spectacle ont été et sont encore créés. Taffetas rose, tulle lilas, dentelles blanches, de la chef d’atelier aux couturières maison, toutes s’agitent autour d’une veste, d’une jupe ou d’un caraco. En feuilletant son cahier, le costumier retrace son propre processus de réflexion. Au fil des dessins et des pages se dessine une ligne directrice. « L’important est qu’on ait l’impression d’authenticité. C’est vraiment ce qui importe à Caroline. »

Afin d’être au plus près de son sujet, la directrice du TNS s’est rendue en Inde et à Alençon. « Afin d’appréhender ce savoir-faire très spécifique, il était nécessaire d’aller à la rencontre des artistes de l’ombre, découvrir le travail des dentellières, celui des brodeurs. Cela m’a permis aussi de saisir ce qu’est leur vie, ce qui se cache derrière le glamour des podiums. Par exemple, toutes les maisons de haute couture occidentales font appel aux ateliers de broderies indiens, les seuls actuellement capables de fournir un tel travail de précision. En les observant œuvrer, cela m’a permis de prendre conscience de la beauté de leur geste. C’était évident qu’il fallait que cet artisanat de précision soit visible au plateau. Cela a alimenté mon processus créatif. »

Centrant son propos autour des secrets de toutes les personnes qui gravitent autour de la création de cette robe mythique, Caroline Guiela Nguyen a tissé de multiples récits qui n’ont que peu à voir avec la haute couture, mais qui y sont pourtant intimement liés. Se servant d’un sujet très people, elle s’insinue dans le quotidien de ses personnages, donne à voir leurs joies et leurs peines, leur histoire entre fiction et réalité. Des violences subies des réalités peu connues — les broderies de perles en Inde sont réalisées uniquement par des hommes musulmans —, c’est tout un microcosme qui habite le plateau et donne à LACRIMA une dimension humaine des plus palpables. Dépliant chaque sujet abordé avec délicatesse, l’autrice et metteuse en scène, très à l’écoute de son équipe mais aussi des personnes dont elle s’est inspirée, fait de son théâtre une œuvre-monde habitée par des héros ordinaires, mais terriblement attachants.  


Lacrima de Caroline Giuelia Nguyen
spectacle en Français avec des scène en Tamoul, en Anglais et en Langue des signes
Avant-Premières du 14 au 18 mai 2024 au TNS

Création du 1er au 11 juillet 2024 au Gymnase du Lycée Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon

Texte et mise en scène de Caroline Guiela Nguyen
Traduction langue des signes, anglais, tamoul de Nadia Bourgeois, Carl Holland et Rajarajeswari Parisot
Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel,
Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot et Vasanth Selvam
et en vidéo – Nadia Bourgeois, Kathy Packianathan, Charles Schera et Fleur Sulmont
et avec les voix de Louise Marcia Blévins, Myriam Divin et Jessica Savage-Hanford
Collaboration artistique – Paola Secret
Scénographie d’Alice Duchange
Costumes et pièces couture de Benjamin Moreau
Lumière de Mathilde Chamoux et Jérémie Papin
Son d’Antoine Richard en collaboration avec Thibaut Farineau
Musiques originales de Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois et Antoine Richard
Vidéo de Jérémie Scheidler, Motion design et Marina Masquelier

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