Finlandia de Pascal Rambert © Pauline Rousille
© Pauline Rousille

Finlandia, Rambert rejoue les scènes conjugales 

L'auteur et metteur en scène offre un nouveau duo show intime après le fameux Clôture de l’amour. Ce règlement de méchants comptes n’augure pas mieux des relations amoureuses dans un couple. En prime et en témoin quasi muet, l’enfant de ces parents pathétiques.

Chic famille ! Victoria, une actrice espagnole, française ou autre, tourne un film chinois en Finlande. On voyage beaucoup, sans bouger jamais, dans le no man’s land qu’est cette intense crise conjugale. C’est d’ailleurs son principe et sa structure : se mouvementer sans avancer. Le décor est classe : bel hôtel, grande chambre en bois clair avec d’immenses fenêtres et un immense lit. Et en plus, en Finlande, l’alarme incendie ne se déclenche pas quand on fume. Heureusement pour Joseph, le mari (acteur théâtreux et surtout homme au triste foyer), qui allume clope sur clope. Chic famille, ces clients qui ne respectent rien, ni les règlements ni les voisins qui vont s’en prendre plein les oreilles. 

Tout est là — du vrai, du faux, du réel, du symbolique : deux acteurs jouent à se faire une scène, à se refaire le film de leur vie ensemble, sachant qu’en vérité ils vont tourner en rond… Joseph, sur un coup de tête, ne supportant plus le silence à ses appels, est venu de Madrid avec la Volvo familiale retrouver sa femme. « Comment tu le sais, toi qui ne sais jamais rien, que la distance entre Madrid et Helsinki, c’est 4000 kilomètres ? », lui hurle -t-il au début de la guéguerre en culotte. Car Joseph s’est levé du lit, énervé, très énervé, en slip mochard et chemise à carreaux. Victoria qu’il va réveiller violemment émerge, chatounette fatiguée, en culotte et tee-shirt. Plus tard, on découvrira son soutien-gorge. C’est connu : pour être à l’aise après une journée de travail, on garde son soutien-gorge la nuit. 

Il y a des détails comme celui-ci qui grattent et dérangent. Comme les dialogues très écrits, trop écrits — la marque de Rambert — qui déréalisent la spontanéité du discours amoureux. Qui, dans une engueulade d’une telle ampleur, prononce les négations ? Qui fait des phrases d’une longueur aussi affolante sans se tromper d’un mot, sans bafouiller, sans buter, sans trouer le continuum, sans manque de mot, même et parce que la rage brouille tout ? La rage chez ces acteurs/personnages d’eux-mêmes est un moteur, c’est leur coke, plus forte que celle qu’ils s’envoient sur les draps après ou avant s’être envoyés en l’air dans ces mêmes draps. C’est du théâtre, c’est du « tu m’as vu/e, hein ? ». Et la marque distinctive du dramaturge, c’est le lancer de phrases, de mots, des tirades façon kalach, des obus d’over jouissance. Comme au volleyball, il faut que l’autre en face renvoie la balle qui tue (presque) et que la scène dans tous les sens du terme continue. Ce pourrait être épuisant, ça l’est par moments pour les spectateurs, mais les acteurs font un sacré boulot. 

Au départ, Pascal Rambert a écrit Finlandia pour deux acteurs espagnols, Irène Escobar et Israel Elejalde. La pièce remporte un tel succès qu’il décide de l’adapter pour la France et choisit Victoria Quesnel et Joseph Drouet qu’il a découverts chez Julien Gosselin. Il a eu raison, ils sont époustouflants. L’auteur aime mettre en scène les jeux de pouvoir autant que les jeux de miroir et leur a laissé leur prénom et leur boulot : l’acteur jouant l’acteur, l’actrice faisant de même. Victoria est impressionnante de montée en puissance, une Clio qui se transforme en Maserati, et Joseph le lui rend bien, taurillon désemparé, fonçant tête basse, réduit par la force de frappe de son adversaire à s’en remettre à la muflerie aveugle : « tu es à moi ! »

Ce que chacun voit de l’autre est moche, ce que chacun voit de soi est pathétique. Alors ils dinguent d’un mur à l’autre, d’une limite narcissique à une paranoïa minable, de la bave au sang, du cri à la supplique, se renvoyant leur haine comme ils font l’amour, avec mémoire mais sans espoir. Leurs personnages sont banals, « comme toutes les actrices, dit Joseph à Victoria, tu mens, tu joues la comédie, tu ne fous rien, tu ne penses qu’à toi… »« j’ai peur de toi, tu me dégoûtes, tu es devenu ventru et bedonnant de la pensée, tu es une ligne de démarcation… ». Leur moteur c’est le corps à corps, le mot à mot, le verbe à verbe, c’est enfouir l’autre sous les arguments et les cris, c’est jouir de la bombe lâchée et de constater les dégâts. Écoute, n’écoute pas ?  Aucun n’entend rien de l’autre, c’est le principe même pour que ça continue…

Car ça continue, depuis longtemps et pour longtemps, comme nous le fait comprendre Nina, leur fille de neuf ans, qui fait irruption dans la chambre, son téléphone à la main. Pas un regard à ses parents, pas besoin. Entend-elle son prénom jeté par Victoria et Joseph ? Pauvre petite mouette qui se protège, elle ne lèvera pas la tête, parce qu’elle sait bien que ces deux-là se livrent une bataille dont elle n’est pas l’enjeu, sa garde, partagée ou pas n’est qu’un prétexte. D’ailleurs elle ne leur demande rien sinon des frites. 

Quant à eux, amants terribles mais surtout terribles parents, ils finiront rincés mais prêts à en remettre une couche. Pas sûr que la juge confie à l’un ou à l’autre la garde de Nina. Quant à leurs voisins de chambre, pas sûr non plus qu’ils cotent cinq étoiles sur Tripadvisor.


Finlandia de Pascal Rambert
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, bd de la Chapelle
75010 Paris
Du 1er au 10 mars 2024
durée 1h30

mise en scène de Pascal Rambert
avec Victoria Quesnel et Joseph Drouet
Lumière d’Yves Godin
Costumes de Clémence Delille
Collaboration artistique – Pauline Rousille


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